Etats-Unis : les perspectives s’assombrissent

par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis

Lors de la seconde estimation du PIB du T2, la croissance américaine a été révisée à la baisse, passant de 1,3% à 1,0%. Cette révision provient essentiellement de la publication des chiffres du commerce extérieur et des stocks du mois de juin qui n’étaient pas connus lors de la première estimation. En effet, finalement les stocks ont contribué négativement à la croissance tandis que l’effondrement des exportations en juin a considérablement amoindri la contribution positive du commerce extérieur (de 0,6 pt à 0,1pt).

Cependant, la révision à la hausse de la consommation privée (de +0,1% à +0,4% T/T en ra) peut être considérée comme une nouvelle positive. Effectivement, les dépenses de consommation de biens non durables et des services ont été plus fortes qu’initialement estimées. La révision à la baisse des dépenses de biens durables peut être attribuée à la baisse des ventes d’automobiles liée à la pénurie de voitures neuves disponibles à la vente et à la hausse dissuasive des prix de ces biens (les deux effets résultant des perturbations des chaînes de production en raison des événements au Japon).

Poursuite du ralentissement généralisé en début de S2

Les facteurs temporaires qui ont heurté la reprise en première partie d’année ont désormais disparu et leurs effets négatifs tendent à s’estomper. En effet, malgré la persistance de tensions inflationnistes en juillet, les prix de l’énergie ont considérablement baissé et devraient permettre à l’inflation de décélérer progressivement. De même, la production industrielle et les commandes de biens durables suggèrent que la production d’automobiles se normalise peu à peu. De plus, les prix des automobiles qui avaient fortement augmenté au deuxième trimestre ont eu tendance à se normaliser. On peut dès lors attendre un léger rebond des ventes de voitures en seconde partie d’année.

Toutefois, la publication des indicateurs macroéconomiques en ce début de deuxième semestre, suggère que ces facteurs temporaires masquaient un essoufflement de la reprise et que le ralentissement de la croissance revêt en réalité un caractère beaucoup plus durable qu’on ne l’imaginait. La hausse marquée des ventes au détail et de la consommation privée du mois de juillet, accueillie en premier lieu comme une bonne nouvelle, a finalement était compensée par une baisse significative des indices de confiance des ménages. Ainsi, les chiffres des dépenses de consommation des ménages pour le mois d’août peuvent s’avérer plus modestes en dépit d’une baisse attendue des prix. Les commandes de biens durables, déflatées du secteur des transports et de l’aéronautique (qui ont tiré à la hausse le total des commandes), ont reculé de 1,6% M/M en juillet. L’ISM manufacturier a reculé en juillet et en août avec une composante « production » passant dans la zone de contraction d’activité. La nouvelle hausse marquée des prix à la production (les prix « core » ont gagné 0,4% M/M) pourrait entrainer dans son sillon de légers effets « pass- trough» sur l’inflation sous-jacente. Des effets certes temporaires, mais dommageables pour la consommation des ménages. Pour sa part, le marché de l’immobilier reste fidèle à lui-même et les ventes de maisons (aussi bien neuves qu’existantes) continuent de se dégrader malgré leur niveau déjà extrêmement déprimé.

Révisions à la baisse de nos prévisions

Au regard de ce flux toujours inquiétant de publications macroéconomiques, nous avons revu à la baisse nos prévisions de croissance américaine pour les trimestres à venir. En effet, une révision baissière des comptes nationaux et une détérioration marquée de certains indicateurs avancés évoquée ci-dessus (comme les ISM) suggèrent une reprise de l’activité moins importante que prévu auparavant. Par conséquent, le rebond en deuxième partie de l’année ne devrait pas permettre à la croissance annuelle d’atteindre les chiffres attendus auparavant. Nous tablons désormais sur une croissance du PIB de 1,6% en 2011 et de 1,7% en 2012 (contre 1,8% et 2,1% respectivement).

Faiblesse durable de la consommation privée

Le point principal de notre révision est la perspective dégradée pour les dépenses de consommation à moyen terme d’où une faiblesse des perspectives de la demande intérieure et donc un frein à l’embauche et à l’investissement des entreprises. Les ménages font toujours face au défi de désendettement couplé à une baisse continue de la richesse immobilière (avec une nouvelle chute des prix immobiliers), une reprise atone du marché de l’emploi (avec le taux et la durée de chômage encore très élevés) et l’expiration des mesures du stimulus fiscal d’administration Obama.

La non-prolongation de l’assurance chômage de long terme et d’une baisse du taux de cotisation sociale des salariés (« payroll tax holiday ») devrait ponctionner au moins 1 pt du RDB des ménages en 2012 par rapport au niveau de 2011. Cependant, l’impact négatif d’une envolée des prix (tirés à la hausse par les prix des matières premières) devrait s’estomper dans les trimestres à venir, apportant un soutien pour les revenus réels des ménages.

Effet favorable de la désinflation

Les effets de la désinflation qui auraient dû apparaître avec une baisse prononcée du prix du pétrole ne se sont pas encore révélés dans les chiffres. En effet, les prix de l’essence habituellement bien corrélés avec le prix du pétrole n’ont suivi le recul des prix du WTI que partiellement.

Ainsi, l’inflation totale n’a pas encore diminué comme attendu. Cependant, une baisse importante des prix du pétrole en août ainsi qu’une détérioration des perspectives de la demande des ménages laissent présager un changement de « pricing » des stations services vers une baisse.

Nous attendons par conséquent un soutien mécanique à la consommation réelle avec une baisse des pressions inflationnistes encore présentes à l’heure actuelle.

Toutefois, les perspectives pour les dépenses privées restent limitées. Nous anticipons un léger rebond des dépenses de consommation au S2 2011 avec un ralentissement par la suite à horizon 2012 (en l’absence du stimulus fiscal).

Le plan de l’administration Obama pour une introduction de nouvelles mesures fiscales de soutien à l’économie constitue cependant un risque haussier sur notre scénario.

Que peut faire la politique fiscale ?

Au début du mois de septembre, le président Obama devrait présenter une série de mesures fiscales pour soutenir l’économie américaine. En effet, la politique fiscale reste un des seuls outils disponibles pour soutenir la croissance. De plus, la pression des marchés pour implémenter une consolidation fiscale crédible porte sur le long-terme (les mesures d’austérités ne seront mises en place qu’à partir de 2013). De fait, ce côté de la politique conserve des marges de manœuvres, que les Républicains pourraient toutefois amoindrir.

Prolongation du stimulus fiscal de décembre 2010

Pour le moment, les informations disponibles à ce sujet1 nous suggèrent que le premier objectif d’un nouveau stimulus fiscal sera d’éviter un resserrement de la politique budgétaire résultant de l’expiration des mesures mise en place en décembre 2010 qui pourrait constituer un frein à la croissance en 2012. Par la prolongation de ces mesures, le gouvernement évitera donc d’heurter la reprise fragile. D’autres mesures pourraient éventuellement être mises en place : une baisse du taux de cotisations sociales côté entreprise, une banque d’infrastructure et des baisses d’impôts supplémentaires pour les petites entreprises. Le coût total estimé (y compris les prolongations) pourrait atteindre 350 Mds de dollars, soit 2,4 points de PIB et devra être compensé par des mesures d’austérité supplémentaires sur le long-terme. Cependant, le projet dans la forme décrite ci-dessus a peu de chances de voir le jour compte tenu des divergences importantes idéologiques entre les deux partis politiques opposés dans un contexte de campagne électorale pour les primaires. Il est donc probable que l’administration Obama et le camp Démocrate vont devoir introduire plus de mesures du côté de la fiscalité des entreprises (notamment, des baisses d’impôt ou autres allégements fiscaux) pour séduire les adversaires républicains qui contrôlent actuellement la Chambre des Représentants du Congrès.

Favoriser les refinancements hypothécaires

La dépression durable du marché immobilier étant le facteur principal freinant la reprise de l’économie, les autorités américaines considèrent également de nouvelles mesures de soutien pour ce secteur. En effet, pour l’instant les forces de marché ont été incapables d’arrêter le « cercle vicieux » d’une spirale baissière des prix immobiliers : une baisse de ces derniers entraine davantage de défauts hypothécaires (dont environ 1⁄4 sont des défauts stratégiques) maintenus par le nombre important des ménages en situation « d’equity négative »2. Les défauts et les saisies des maisons alimentent constamment l’offre des maisons existantes à la vente en diminuant encore plus les valeurs immobilières et en décourageant la construction de maisons neuves dont l’offre se trouve sur ses plus bas historiques. Sans stabilisation des prix immobiliers la reprise devrait rester freinée par une baisse durable de la richesse immobilière et par un processus douloureux de désendettement des ménages via les nombreux défauts.

Les propositions de l’administration Obama consiste en deux volets : une facilitation des refinancements des prêts aux taux actuels (beaucoup plus favorables qu’avant crise).

En effet, les programmes existants d’assistance aux refinancements des prêts hypothécaire ne s’avèrent pas suffisamment efficaces : sur 3-4 millions de modifications/refinancements des prêts promis seulement 1,7 million ont été modifiés avec des programmes fédéraux. L’obstacle principal pour des modifications est une absence d’incitation pour les banques – détenteurs des dettes – à procéder à une modification au lieu d’un défaut (foreclosure). Par ailleurs, certaines restrictions inscrites dans les programmes publics limitent également la participation : par exemple, les ménages avec un ratio de la valeur d’un prêt sur la valeur du bien immobilier supérieur à 125% sont exclus. Les détails des nouvelles propositions sont encore en discussion mais la solution semble attirante par sa neutralité vis-à-vis du budget ce qui pourrait gagner l’approbation des Républicains. Cependant, le programme de refinancement seul ne résoudra pas le problème central de l’abondance des saisies : une spirale baissière des prix immobiliers et une baisse imprévue des revenus des ménages en raison de chômage élevé.

Le deuxième volet du projet prévoit une vente de maisons saisies détenues par les agences Freddie Mac et Fannie Mae aux investisseurs privés qui seront dans l’obligation de les mettre sur le marché de location. Une hausse marquée des loyers permettra en effet d’attirer les investisseurs privés alors qu’une réduction de l’offre des maisons à la vente soutiendrait les prix immobiliers.

L’agenda d’Obama devrait donc rester chargé dans les mois qui viennent. Cependant, une opposition politique des Républicains qui ne semblent pas devenir très inclins aux compromis pourrait menacer le passage des projets proposés.

Le risque de retour en récession remonte

Malgré une révision baissière de nos prévisions de croissance, nous ne prévoyons pas de retour en récession de l’économie américaine pour le moment. Toutefois un certain nombre de risques (poursuite d’une spirale baissière des valeurs immobilières, resserrement fiscal prématuré ou contagion de la crise européenne) pourraient encore peser sur la croissance à moyen terme.

NOTES

  1. Pour des informations plus détaillées cf Special Report No 98 « Etats-Unis : Obama évoque un nouveau stimulus ».
  2. « Equity négative » correspond à une situation où la valeur du prêt hypothécaire est supérieure à la valeur du bien immobilier qui a été financé avec ce prêt. Actuellement environ 11 millions (soit 23% du total) des emprunteurs se trouvent dans cette situation avec le montant total de « l’equity négative » de l’ordre de 700 Mds de dollars.

Retrouvez les études économiques de Natixis