par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• La Fed confirme le statu quo monétaire sans donner de message fort pour les prochaines réunions. Pourtant, il y a bien un message fort: Janet Yellen nous enjoint à ne pas nous focaliser sur la première hausse de taux.
• Plus que la date à laquelle il sera initié, ce sont l’ampleur et le rythme du cycle de resserrement qui importent. Ici, le message est très accommodant : malgré un taux de chômage sous le niveau estimé du NAWRU, le taux cible des fonds fédéraux devrait demeurer inférieur à son niveau d’équilibre à la fin de 2017.
C’est sans surprise que la Fed a annoncé cette semaine le statu quo monétaire. Le diagnostic conjoncturel, que ce soit dans le communiqué ou la conférence de presse de Janet Yellen, est légèrement plus optimiste, avec des points positifs comme le rebond de la consommation des ménages, de la construction et de l’emploi, et des points négatifs, avec principalement l’investissement des entreprises et les exportations. Les ventes de détail, publiées la semaine dernière, ont en effet illustré un important rebond des dépenses en mai, alors que les mises en chantier ont atteint, dans le même temps, leur plus haut niveau en près de huit ans.
Pour ce qui est de l’emploi, les nouvelles inscriptions à l’indemnisation du chômage sont restées, la semaine dernière, sous la barre des 300 000 pour la quinzième semaine consécutive. La semaine prochaine, le rapport sur l’activité dans l’industrie des biens durables en mai nous permettra, espérons- le, d’y voir plus clair, après des données heurtées d’un mois sur l’autre depuis le début de l’année. Il faudra attendre une semaine de plus pour savoir si le rebond des exportations esquissé en avril se confirme. Les dernières données couvrant le secteur manufacturier sont peu encourageantes, avec un niveau recul de la production en mai. En l’absence de rebond en juin, la croissance serait limitée à 0,6% (taux trimestriel annualisé) au deuxième trimestre, après un recul de 1,2% au premier. Si rebond il y a, il pourrait être de nouveau limité. C’est le message de notre Indice NEM – qui agrège les données d’enquêtes des Feds de New-York et Philadelphie – qui s’établit à 52,3 en juin, soit marginalement au-dessus de sa moyenne des trois mois précédents (52,0).
L’évolution des prix reste ténue. Si en mai le rebond des prix de l’énergie a conduit à une progression mensuelle de 0,5% de l’indice des prix à la consommation, ceci est resté insuffisant à ramener le glissement annuel en territoire positif, alors que l’indice sous-jacent (hors énergie et produits alimentaires) a décéléré (à 1,7% en g.a. après 1,8% en mars et avril). Si on exclut également les charges liées à la résidence principale, l’IPC progressait de 0,7% d’un an sur l’autre en mai ; cette progression est inférieure à 1% depuis plus de deux ans. On comprend ainsi mieux les projections d’inflation des membres du FOMC. C’est très consensuellement que les membres de la Fed projettent l’inflation – au sens du déflateur de la consommation privée, ou PCE – à 1% ou moins pour cette année, alors qu’il y a trois mois, certains d’entre eux la prévoyaient à 1,5%.
Suite à la contraction de l’activité au premier trimestre, les prévisions de croissance pour 2015 sont également revues en baisse (de 2,5% à 1,9% pour la prévision médiane). L’une des révisions les plus marquantes est celle du taux de chômage, qui n’avait pas été revue en hausse depuis décembre 2014. Mais c’est bien entendu le « nuage de point » (ou dot plot) qui a concentré l’attention. Et ce fameux nuage continue de se déplacer vers le bas. Si quatre membres prévoyaient un taux cible pour les fonds fédéraux (Fed Fund Target) au-dessus de 1% à la fin de 2015, il n’y en a plus aucun aujourd’hui. Le consensus se fait sur une à deux hausses de taux cette année. D’ici fin 2016, les taux seraient relevés de 100 points de base supplémentaires, et les taux directeurs finiraient 2017 à seulement 3%, soit 75 points de base de moins que la projection de décembre dernier.
Fin 2017 semble une date bien lointaine et on pourrait être tenté de l’ignorer. Cette projection est pourtant bien plus importante que la date précise de la première hausse de taux. La plupart des membres du FOMC prévoit que dans deux ans et demi les taux seront toujours sous leur niveau de moyen terme (actuellement estimé à 3,75%). C’est un message puissamment accommodant, d’autant plus que d’ici là, le taux de chômage devrait avoir évolué sous non niveau non- accélérateur des salaires (NAWRU, Non-Accelerating Wage Rate of Unemployment) pour la deuxième année consécutive.
La première hausse de taux pourrait bien intervenir cette année, avec une fenêtre en septembre. Mais il n’est pas possible d’en être certain. La dépendance des décisions à l’évolution conjoncturelle n’est pas une promesse en l’air : la Fed est très sérieuse à ce sujet. Si aucune certitude n’est permise sur cette question, il est pourtant possible d’affirmer que la Fed va bien contribuer de soutenir la reprise pour longtemps. C’est ce message qui importe, et ce n’est pas une fois, même pas deux mais trois fois que Janet Yellen l’a répété.