par Marie-Pierre Ripert et Elsa Dargent, économistes chez Natixis
• Les dernières statistiques publiées suggèrent que la croissance américaine se stabilise après la très forte chute enregistrée depuis l’été dernier : les indicateurs de confiance, traditionnellement considérés comme avancés du cycle, montrent des signes nets d’amélioration mais restent encore en avril à des niveaux compatibles avec une contraction modérée de l’activité.
Nous continuons de penser que la croissance pourrait être légèrement positive dès le deuxième trimestre (ce qui nous différencie du consensus qui attend une stabilisation de l’activité en deuxième partie d’année) grâce notamment à la stabilisation de l’immobilier résidentiel, à une forte progression des dépenses publiques après leur baisse surprise du T1 et à un moindre déstockage. C’est cette dernière variable entourée d’une forte incertitude – le comportement de déstockage des entreprises- qui sera primordiale.
• Malgré ces nouvelles plutôt bonnes, nous restons convaincus que l’économie américaine ne reviendra pas rapidement sur son sentier de croissance potentielle. La croissance restera faible fin 2009 et en 2010. Les marchés actions, après leur rallye, pourraient trouver décevantes les perspectives à moyen terme.
• L’expansionnisme des politiques économiques n’est évidemment pas étranger à l’amélioration conjoncturelle. Pour autant, si comme nous le croyons, la croissance reste durablement sous son rythme potentiel, l’output gap restera fortement négatif et de façon équivalente le taux de chômage demeurera au dessus de son taux naturel. Dans ce contexte, la sortie des politiques actuelles sera extrêmement périlleuse.
Nous revoyons une nouvelle fois notre prévision de croissance à la baisse pour 2009 à -2,2% en moyenne annuelle (contre -1,9% précédemment), principalement en raison d’un premier trimestre finalement plus négatif qu’anticipé. Nous n’avons guère modifié les prévisions pour les trimestres suivants et les grandes lignes de notre scénario restent inchangées :
- Stimulus fiscal, baisse des taux d’intérêt hypothécaire, forte désinflation et effet cyclique des stocks permettront à la croissance de redevenir positive dès le deuxième trimestre.
- L’activité immobilière pourrait finalement se stabiliser.
- Désendettement structurel et en corollaire remontée tendancielle du taux d’épargne des ménages ne permettant pas à la croissance de revenir à son rythme potentiel en 2010.
- Politiques économiques qui resteront durablement expansionnistes : peu d’amélioration sur le déficit public et maintien des taux d’intérêt à un bas niveau. La chute de la croissance se poursuit en début d’année 2009
L’économie américaine a continué de se contracter très fortement au premier trimestre 2009 (-6,1% T/T en rythme annualisé (ra)), à un rythme similaire de celui enregistré au dernier trimestre 2008.
Pour autant, comme attendu, la structure de la croissance a été fort différente en T1-09 comparé à T4-08. En particulier, la consommation est redevenue positive (2,2% en ra) après deux trimestres de chute (environ 4% en ra) et les entreprises ont très fortement déstocké (contribution négative de 2,8pts). Par ailleurs, les dépenses publiques ont reculé sur le trimestre sous l’effet conjugué de la baisse des dépenses fédérales et des collectivités locales. Enfin, le commerce extérieur a contribué positivement à la croissance (2pts) avec une contraction plus marquée des importations (34% en ra) que des exportations (-30% en ra). Comme nous le soulignions le mois dernier, nous pensons que l’ajustement sur les exportations sera plus marqué et que les importations pourraient reprendre plus rapidement (décalage de cycle/ ampleur du stimulus) impliquant une contribution négative du commerce extérieur dans les trimestres à venir. Le change ne jouera qu’un rôle marginal.
Le point marquant de cette première publication est l’importance de l’ajustement de tous les types d’investissement : l’investissement résidentiel chute de 38% en ra, l’investissement en structures recule de 44% et l’investissement en équipement et logiciels se contracte de 34%. Au total, à travers leur comportement de déstockage et de contraction de l’investissement, les entreprises ont une contribution négative à la croissance de 7,4pts au T1-09 (2,8 de stocks, 4,6 d’investissements).
Cette première publication du PIB, si elle est fondamentalement négative, augure d’une nette amélioration en T2. Plusieurs facteurs techniques pourraient jouer à la hausse au T2 : Les stocks en particulier : même si les entreprises continuent de déstocker, si elles le font à un rythme moins rapide cela impliquera une contribution positive des stocks (c’est la variation qui importe pour le PIB). Par ailleurs, les dépenses publiques fédérales pourraient sensiblement rebondir au deuxième trimestre. Enfin, l’investissement résidentiel pourrait nettement moins baisser.
Entre signes positifs et statistiques encore décevantes
Le mois écoulé a été marqué par la publication de rapports mitigés. Du côté des bonnes nouvelles :
- les indicateurs de confiance des entreprises (ISM) et des ménages se sont retournés à la hausse ; les ISM restent en dessous du seuil de 50 (respectivement à 40,1 pour l’ISM manufacturier et 43,7 pour l’ISM non manufacturier) ce qui suggère encore une contraction de l’activité au début du deuxième trimestre mais beaucoup moins marquée que fin 2008/début 2009.
- certaines statistiques immobilières ont montré des signes de stabilisation si on les lisse sur les mois de février/mars (ventes de maisons, mises en chantier). Par ailleurs, les commandes de biens d’équipement hors défense et avions ont eu tendance à se stabiliser en fin de premier trimestre.
Concernant les mauvaises nouvelles, certaines statistiques ont continué de chuter, comme la production industrielle (-1,5% M/M en mars), l’emploi (-663K destructions d’emplois en mars) ou les prix immobiliers.
Cette dichotomie, si elle peut apparaître étonnante, s’explique par la position cyclique des indicateurs. En effet, les indicateurs type ISM ou de demande des ménages sont des indicateurs avancés du cycle alors que l’emploi ou les prix immobiliers sont des variables retardées de l’activité.
Typiquement lorsque l’on régresse la production industrielle sur l’ISM, l’ajustement est le meilleur avec des retards de 1 et 3 trimestres. De la même façon, l’emploi a un retard de 1 à 3 trimestres sur le PIB et les prix immobiliers ont 2 à 3 trimestres de retard sur l’activité immobilière.
Il n’est donc pas étonnant que les indicateurs retardés du cycle ne s’améliore guère actuellement.
Des effets positifs des politiques économiques
L’efficacité des politiques économiques est souvent remise en cause, en particulier, celle de la politique monétaire, les arguments mis en avant étant la faiblesse des crédits octroyés par les banques malgré l’expansionnisme monétaire et la remontée des taux longs depuis le début des achats de treasuries par la Fed. Nous voyons plusieurs contre-arguments :
- Avec la mise en place des facilités de crédit (CPFF, TALF,…), la Fed tente de prêter directement à l’économie sans nécessairement passer par les banques. La Fed finance actuellement environ 250Md$ de commercial papers et 6,3Md$ d’ABS (TALF). Ce dernier montant peut paraître ridicule comparé au montant maximum envisagé par la Fed (1 trillion de $) mais le programme pourrait monter en puissance dans les semaines qui viennent, la Fed ayant élargi le collatéral éligible en particulier au CMBS et augmenté la maturité à 5 ans contre 3 ans précédemment.
- Les achats de treasuries (de 68Md$ à fin avril sur les 300Md$ prévus) n’ont certes pas permis aux taux longs de baisser. Depuis l’annonce du 18 mars où les taux 10 ans avaient atteint 2,53%, ils n’ont cessé de ré-augmenter et sont actuellement proches de 3,2%. Mais à quel niveau seraient-ils sans l’action de la Fed ? Il ne faut en effet pas négliger l’effet de la baisse de l’aversion pour le risque observé depuis mi-mars, comme en témoigne la baisse de notre indice de perception du risque.
- Les achats de MBS d’agences ont permis une forte baisse des taux d’intérêt hypothécaires, le taux fixe à 30 ans est passé de 6,2% en octobre dernier à 4,8% en avril. Cette baisse est probablement à l’origine de la stabilisation des ventes de maisons au cours des derniers mois. Elle permet également aux ménages de refinancer leur prêt. D’après Freddie Mac, le recul des taux permet un gain de 160$ mensuel sur un prêt de 200 000$ lors du refinancement ce qui est loin d’être négligeable.
- Le resserrement des conditions de crédit s’est révélé moins marqué au cours des trois derniers mois que dans l’enquête de janvier d’après la dernière Senior Loan Officer Survey. Cette tendance est particulièrement marquée pour les prêts aux entreprises (commercial and industrial mais aussi construction) alors que les conditions se sont plutôt détériorées pour les prêts hypothécaires aux ménages (surtout les prêts non traditionnels). Or les conditions de crédit (moyenne pondérée des différents types de prêts)sont bien corrélées avec le PIB retardé de deux trimestres (en glissement annuel). La dégradation des conditions de crédit a atteint son paroxysme en octobre 2008 (crise financière), ce qui serait compatible avec un point bas de croissance au T2-09 en glissement annuel (ce qui est d’ailleurs notre scénario).
L’enquête a également révélé une forte dichotomie dans les évolutions de demande de crédit : alors que la demande de crédit pour les prêts des entreprises est restée très négative, celle des ménages pour les prêts hypothécaires s’est sensiblement améliorée : 35% des banques déclarent une demande de prêt plus forte sur les trois derniers mois. Cette amélioration est probablement due à la forte baisse des taux d’intérêt hypothécaires depuis décembre dernier.
Les politiques économiques durablement expansionnistes Notre scénario repose sur l’idée de désendettement structurel des ménages américains ce qui implique une croissance sous le rythme potentiel encore en 2010. Or ceci n’est pas anodin car cela signifie que le taux de chômage va continuer d’augmenter et que l’output gap (différence entre le PIB et le PIB potentiel) ne se refermera pas sur cet horizon de prévisions.
Dans ce contexte, malgré l’amélioration de la conjoncture, il semble difficile que les autorités publiques rendent leurs politiques économiques moins expansionnistes. En 2010, le déficit public pourrait se réduire quelque peu sous l’effet de la disparition du financement du TARP (700Md$, 4,7% du PIB). Le besoin de financement de l’Etat Fédéral (y compris opérations en capital) passerait de 13,5% du PIB en 2009 à 8,7% en 2010.
Concernant la politique monétaire, certains programmes pourraient diminuer en raison de la normalisation des conditions de marchés (par exemple facilité de crédit pour le financement des commercial papers,…) impliquant une réduction de la taille du bilan de la Fed. En revanche, nous n’anticipons pas de resserrement monétaire à l’horizon de la prévision fin 2010. Les marchés sont actuellement trop agressifs dans leurs anticipations de taux courts, en particulier sur l’année 2010.