par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
Comme le montrent les analyses et commentaires récents sur les États-Unis, c’est la perspective dans laquelle l’on se place qui dicte le sens des messages, d’où la divergence, sinon la contradiction entre ces derniers. Le Président Trump a souligné, la semaine dernière, que l’économie connaîtrait une ascension fulgurante si la Fed décidait à abaisser les taux directeurs, ajoutant que la banque centrale avait contribué à freiner l’activité économique. 2020 étant une année électorale aux États-Unis, il n’est pas étonnant que les hommes politiques scrutent l’état de l’économie. Chacun se souvient à cet égard de la célèbre formule de Bill Clinton : « c’est l’économie, idiot ! » dans sa campagne pour l’élection présidentielle de 1992, qu’il remporta contre le président sortant George Bush sr.
La Réserve fédérale n’a d’autre perspective que d’atteindre ses objectifs de politique monétaire. Les minutes de la réunion du mois de mars montrent que les membres du FOMC sont plutôt sereins pour ce qui est des perspectives économiques : leurs projections font état d’une bonne tenue persistante de la croissance (légèrement supérieure au potentiel), d’un faible taux de chômage et d’une inflation toujours maîtrisée. Par rapport au mois de décembre, leur incertitude quant aux perspectives n’a guère changé même si le risque d’un rebond du taux de chômage et d’un repli de l’inflation a augmenté quoique très légèrement.
Les minutes font également ressortir la confiance des équipes d’économistes de la Fed à l’égard des perspectives. D’après eux, le ralentissement du premier trimestre serait transitoire et la croissance devrait rebondir au deuxième. De plus, l’incertitude de leurs projections serait en ligne avec la moyenne historique et ils estiment les risques pesant sur les perspectives relativement équilibrés. La banque centrale affiche ainsi une patience confiante : si les perspectives de croissance ne lui inspirent pas d’ inquiétude, elle se donne le temps d’attendre avant d’envisager une nouvelle décision sur les taux directeurs. Pourquoi se hâter alors que l’inflation se maintient obstinément à un niveau proche de l’objectif et que les vents contraires venant du reste du monde n’ont pas disparu ?
Dans ce rapport intitulé Facteurs de vulnérabilité dans un cycle du crédit qui parvient à maturité, les auteurs soulignent que le cycle du crédit des entreprises américaines semble avoir atteint son plus haut niveau de l’histoire récente (tout en restant inférieur à celui d’autres pays) ; les émetteurs moins bien notés occupent une place grandissante parmi les emprunteurs du secteur des entreprises et l’endettement a atteint des plus hauts cycliques dans la plupart des catégories de notation. Une telle évolution est assez logiquement le résultat d’une longue période de politique monétaire accommodante et d’une expansion de l’activité mondiale.
Cependant, si ces facteurs de soutien cycliques se transforment en vents contraires, les conséquences d’une résilience réduite ne tarderont pas à apparaître : une sensibilité accrue à la baisse des bénéfices ou à une hausse des taux d’intérêt, suite à l’accroissement du spread de la dette des entreprises par rapport aux Treasuries en cas d’augmentation des risques de récession. L’ampleur du retournement de la conjoncture est dès lors déterminante : « Même si les bilans des entreprises paraissent suffisamment solides pour endurer un ralentissement économique modéré ou un resserrement progressif des conditions financières…un ralentissement prononcé de la croissance bénéficiaire ou un resserrement brutal des conditions financières pourrait se traduire par une dégradation notable de la qualité du crédit des entreprises ».
Il y a lieu d’être attentif au risque d’effets de contagion qui partiraient des émetteurs les moins bien cotés car ils subiront davantage la détérioration macroéconomique. Cela pourrait finir par affecter les sociétés mieux cotées en raison de leurs activités avec des entreprises fragilisées et de la détérioration de leur propre capacité à se financer auprès de banques et d’investisseurs en général plus prudents. Compte tenu des effets différés de la détente monétaire pour faire face à une telle évolution, la Fed doit relever un double défi : éviter un resserrement excessif de la politique monétaire quand l’environnement est toujours satisfaisant et s’assurer de pouvoir l’assouplir assez rapidement quand il se détériore. Car au-delà de la patience confiante, la politique monétaire sera aussi affaire de prudence patiente.