Etats-Unis/Zone euro : le grand écart

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les prévisions de croissance de ce début d’année révèlent un écart important entre les perspectives américaines et européennes pour 2012. Nous anticipons un écart de croissance de 2 points entre la croissance des Etats-Unis et celle de la zone euro, les premiers à 2,1% alors que cette dernière enregistrerait une croissance nulle.

L’écart est encore plus marqué du côté du consensus, avec une prévision de croissance américaine à 2,2% et une récession européenne de 0,3%. Plusieurs facteurs, certains techniques d’autres purement économiques, expliquent une telle divergence.

Si les Etats-Unis et la zone euro ont enregistré des rythmes de progression en moyenne quasiment similaires en 2011 (respectivement 1,7% et 1,5%), leur profil de croissance sur l’année aura été très différent : une croissance faible au premier trimestre aux Etats-Unis (0,1% T/T) avec un rebond en deuxième partie d’année (0,8% T/T attendu au T4) alors que la zone euro affichait encore un rythme de croissance très honorable en début d’année 2011 (0,8% T/T au T1) mais la finissait en récession !

Outre les situations réelles dans lesquelles se trouvent les économies, le profil de croissance sur une année a son importance car il détermine l’acquis de croissance1 pour l’année suivante. Ainsi, la zone euro commence l’année 2012 avec un acquis de croissance négatif (-0,1%) alors que les Etats-Unis enregistreraient une croissance de 0,8% en moyenne en 2012, même avec un taux de croissance nul chaque trimestre. Ne nous y trompons pas, ce qui compte réellement c’est la dynamique de croissance et pas le chiffre en moyenne annuelle, mais ceci explique déjà une partie de l’écart de croissance attendu entre les deux zones en 2012.

Concernant les facteurs économiques, la crise de la dette souveraine est évidemment le principal facteur à la source de la récession européenne de fin 2011/début 2012 : elle explique les divergences de réaction des agents économiques, celles des conditions de crédit et celles en termes de politiques budgétaires entre les deux zones.

  • La confiance des entreprises et des ménages américains s’est améliorée ces derniers mois alors que la crise européenne continuait de peser sur celle de la zone euro. D’ailleurs, le dynamisme de la croissance en fin d’année 2011 a, en partie, été lié au maintien de la consommation des ménages financée par une baisse du taux d’épargne.
  • La désinflation va être plus marquée aux Etats-Unis que dans la zone euro ; l’inflation américaine reviendrait vers 2% en 2012, en forte baisse après le 3,2% de 2011 alors que l’inflation de la zone euro ne baisserait que très modérément (de 2,7% à 2,4%). La dépréciation de l’euro au premier semestre et la hausse de la TVA dans certains pays de la zone euro limiteraient la désinflation liée à la stabilisation du prix des matières premières après le choc inflationniste de 2011.
  • Les conditions d’accès au crédit sont également différentes avec une nette dégradation en Europe alors que la situation ne montre pas de signes de détérioration aux Etats-Unis.
  • La différence de politiques budgétaires : aux Etats-Unis, les baisses d’impôts et les transferts (payroll tax, allocations chômage,…) vont vraisemblablement être étendus sur l’ensemble de l’année 2012, évitant un choc restrictif sur les ménages alors que des efforts importants sont faits sur le déficit public structurel de la zone euro. 
  • Jusqu’à présent, la politique monétaire américaine avait un caractère plus expansionniste que celle de la zone euro : taux à 0/0,25%, forte augmentation du bilan (puis modification de la structure pour maintenir les taux longs bas) permettant aux taux 10 ans de rester proches de 2% et aux taux réels d’être négatifs. En zone euro, le taux refi a été abaissé mais se situe encore à 1% et la BCE refuse toujours de soutenir les dettes publiques. Pour autant, les écarts de politique monétaire se réduisent en 2012 avec les nouvelles baisses de taux refi (2x25pb attendues au T1) et les injections de liquidité de la BCE au secteur bancaire.
  • Le taux de change constituera l’un des seuls facteurs plus positifs pour la croissance de la zone euro que pour les Etats-Unis avec la poursuite de la dépréciation de l’euro au moins au premier semestre.

La différence de policy-mix2 entre les Etats-Unis et la zone euro constitue donc un facteur important à l’origine de l’écart de croissance entre les deux zones. Il faut cependant souligner que, si à court terme le policy-mix mis en place permet à l’économie américaine de s’en sortir, les Etats-Unis n’échapperont pas à la consolidation fiscale dès 2013

NOTES

  1. Acquis de croissance pour l’année : croissance en moyenne sur l’année si la croissance est nulle chaque trimestre.
  2. Combinaison de la politique monétaire et de la politique budgétaire.

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