par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Évoluant dans une fourchette 1,27/1,36 depuis septembre 2012, l’eurodollar s’est renforcé ces dernières semaines dépassant la borne haute de 1,36 début octobre, les positions spéculatives sur l’euro redevenant acheteuses. Comment expliquer l’appréciation de l’euro par rapport au dollar alors que les perspectives économiques semblent toujours nettement plus favorables aux Etats-Unis que dans la zone euro ?
Plusieurs facteurs ont joué dans le même sens :
• Alors qu’une réduction des achats de titres par la Réserve Fédérale américaine était largement attendue lors de son dernier FOMC le 18 septembre, celle-ci a finalement décidé d’attendre encore avant de « taper1 » et a adopté un discours plus prudent suggérant que la politique monétaire allait rester encore accommodante.
• Toujours aux Etats-Unis, l’absence de compromis sur le budget 2014 avant le 1er octobre a conduit finalement à un « shutdown » de l’administration américaine2, le premier depuis 1996, avec un effet direct limité sur la croissance si la fermeture ne dure que quelques jours mais avec un impact potentiellement déstabilisant via une dégradation de la confiance des agents.
• Le risque politique italien s’amenuise avec le vote de confiance positif pour le gouvernement de E. Letta et le ralliement de dernière minute du parti de S. Berlusconi.
• Enfin, la Banque Centrale Européenne, après avoir agité le spectre d’un nouvel VLTRO3 via différentes déclarations des membres du Conseil des gouverneurs au cours du mois de septembre, n’a rien délivré lors de sa réunion mensuelle le 2 octobre. Toutes les portes restent ouvertes avec différentes options pour rendre la politique monétaire plus accommodante mais pour le moment la BCE semble peu encline à agir. Faut-il s’attendre à une poursuite du mouvement d’appréciation de l’euro ou celui-ci est-il temporaire ?
• Nous continuons de penser qu’un accord va être trouvé d’ici le 17 octobre (date butoir officielle) ou d’ici le 22 octobre (date limite donnée par le CBO4). Pour autant, plus le « shutdown » dure, plus l’effet sur la croissance va être important et pourrait remettre en cause le « tapering ». En effet, jusqu’à présent, nous pensions que la Fed allait finalement diminuer ses achats en décembre. Ce scénario pourrait toutefois être remis en cause par les incertitudes politiques. En effet, la politique de la Fed dépendra grandement des données macroéconomiques qui seront publiées en octobre et novembre, or celles-ci pourraient être perturbées par le « shutdown » compliquant leur lecture. A un horizon de début d’année prochaine, ces deux incertitudes devraient être levées permettant au dollar de se renforcer.
• Du côté de la BCE, elle pourrait être contrainte à faire davantage dans les mois qui viennent. Si le taux de change ne fait pas partie des objectifs de politique monétaire, comme l’a répété M. Draghi, son appréciation via ses effets sur la croissance et surtout l’inflation pourrait finalement être un facteur favorisant l’action. En effet, les risques sur l’inflation restent encore équilibrés mais le risque baissier pourrait finir par prévaloir dans un contexte de hausse des prix des produits importés. Une baisse de taux de 25pb du taux refi ne nous semble toujours pas exclue.
• Les incertitudes sur la revue des banques européennes (AQR)5 qui va être mise en place par la BCE pourraient également être un facteur de fragilité pour la monnaie unique dans les mois qui viennent.
• Enfin, les perspectives de croissance à moyen/long terme plaident plutôt en faveur d’une appréciation du dollar.
L’économie américaine devrait en effet revenir sur un rythme de croissance proche de son potentiel dès 2014 alors que la croissance de la zone euro, certes en amélioration comparé à 2013, devrait rester encore inférieure à 1%. Si l’euro pourrait rester assez « fort » à court terme, il nous semble que sa tendance à moyen terme reste celle de la dépréciation.
NOTES
- Cf. Edito du 24 septembre « Fed : reculer pour mieux taper ? »
- Cf. Texte n°3 Eco Hebdo « Etats-Unis : les risques associés aux négociations budgétaires ».
- VLTRO : Very Long Term Refinancing Operations; operations de refinancement à long terme.
- Cf. Texte n° 3 « Etats-Unis : les risques associés aux négociations budgétaires »
- Cf. Texte n°1 « L’union bancaire en deux pages »