Euro/Dollar : montagnes russes

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après un mouvement haussier quasi continu depuis début 2011, l’eurodollar a chuté en mai passant d’un point haut à 1,48 en début de mois à 1,40 le 23 mai. Cette chute s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : le premier est le changement de ton de J.C Trichet lors de la dernière réunion de politique monétaire (5 mai), suggérant un statu quo en juin alors qu’une hausse de taux était largement anticipée.

Par ailleurs, les craintes sur les pays périphériques européens se sont intensifiées avec le regain d’inquiétudes sur la capacité de la Grèce à revenir se financer sur le marché en 2012 et la nécessité de mettre en place un deuxième plan de sauvetage1. De plus, la publication de statistiques mitigées en Chine et aux Etats-Unis a également provoqué un mouvement de panique sur les marchés (craintes sur la croissance mondiale), engendrant une baisse du prix des matières premières et une appréciation du dollar (corrélation négative pétrole/USD). Les positions longues en euros ayant atteint des niveaux historiquement élevés, les événements précités ont provoqué d’importants débouclements de position accentuant le mouvement baissier.

Comment pourrait évoluer l’eurodollar dans les mois qui viennent ? A court terme (d’ici fin juin), l’euro pourrait continuer de souffrir de la crise des dettes européennes, en particulier du bras de fer entre les deux Jean-Claude (Juncker et Trichet), le premier étant favorable à un rééchelonnement de la dette grecque, le second souhaitant éviter à tout prix un événement de crédit qui impliquerait une forte dégradation de la dette grecque (D ou SD) avec des conséquences potentiellement déstabilisantes pour le système bancaire européen (au moins grec). Un objectif à 1,37 pourrait être atteint à la fin du printemps. L’ampleur de la baisse pourrait toutefois être limitée par l’annonce attendue d’une hausse du taux refi en juillet lors du prochain comité de politique monétaire début juin. Dans le cas contraire, l’annonce d’un statu quo provoquerait certainement une nouvelle chute de l’eurodollar.

En supposant que les autorités européennes finissent par se mettre d’accord sur le sauvetage de la Grèce et que les tensions grandissantes sur d’autres pays de la périphérie se calment (outlook négatif sur la Belgique et l’Italie ; inquiétude sur l’Espagne), l’euro pourrait reprendre des couleurs au cours de l’été, profitant d’un écart de taux réels favorable : en effet, non seulement les taux nominaux resteront plus élevés dans la zone euro mais l’écart d’inflation (environ 2,7% au T3 en zone euro, 3,4% aux Etats-Unis) renforcera l’effet sur les taux réels. L’eurodollar pourrait alors repasser au dessus de 1,40 (objectif à 1,42 en septembre).

L’automne sera marqué par une nouvelle hausse de taux refi en Europe (la 3ème) mais accompagnée probablement d’un discours suggérant ensuite un statu quo. En revanche, nous attendons un changement de ton de la part de la Réserve Fédérale, marquant la fin de la politique monétaire à taux zéro, avec une hausse de taux dès janvier 2012. Pour le moment, un tel scénario n’est pas du tout anticipé par le marché qui prévoit un premier resserrement monétaire aux Etats-Unis en milieu d’année prochaine. Jusqu’à présent, le marché a plutôt eu tendance à prendre acte que la croissance américaine ne serait pas de 3,2% comme attendu par le consensus en début d’année, une révision à la baisse des prévisions de croissance n’allant généralement pas de pair avec une politique monétaire plus restrictive… 

Pour autant, avec une croissance légèrement supérieure au potentiel de l’économie (2,5%) impliquant la poursuite du mouvement de baisse du taux de chômage, et une hausse de l’inflation sous-jacente (supérieure à 1,5%), la Fed devrait être tentée de sortir progressivement de la politique à taux zéro menée depuis trois ans. Si notre scénario se réalise, on pourrait assister à d’importants mouvements sur les courbes de taux favorisant une remontée du dollar à partir de l’automne qui pourrait se poursuivre en début d’année 2012.

Au total, après son mouvement d’appréciation début 2011, l’eurodollar pourrait suivre un chemin ressemblant à des montagnes russes dans les mois qui viennent, des périodes de hausse suivant des dépréciations en raison des péripéties sur les dettes souveraines et des différences de timing dans les resserrements de politique monétaire.

NOTE

1 Edito Eco Hebdo n°19.

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