Fed : « sooner than later » ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après le lancement de son QE par la BCE le 22 janvier, les yeux se tournent maintenant vers les Etats-Unis et la politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine. Va-t-elle finalement se décider à augmenter les taux cette année ou pas ? Ces dernières semaines, les marchés ont fortement corrigé leurs anticipations sur la date de la première hausse de taux outre Atlantique la repoussant de l’été à la fin d’année 2015.

Le communiqué du FOMC du 28 janvier est resté globalement assez neutre avec d’une part une appréciation plus positive de la situation domestique – l’activité économique progressant sur un rythme « solide » vs « modéré » précédemment, mais d’autre part la Fed introduit l’environnement international comme facteur supplémentaire influençant ses décisions de politique monétaire. En l’absence de conférence de presse, la Fed n’a pas pu donner plus de détails sur ce facteur « environnement international » mais qui peut englober la faiblesse des grands émergents, les différents risques politiques et géopolitiques (et en corollaire la chute du prix du pétrole) et bien sûr l’appréciation du dollar. Au final, la Fed peut rester « patiente » avant de normaliser sa politique monétaire ce qui signifie au moins pendant deux réunions. Si la décision de la Fed dépendra de l’évolution des variables économiques et financières dans les mois qui viennent, il nous semble que la situation de l’économie américaine s’est suffisamment améliorée pour justifier une sortie de la politique monétaire à taux zéro.

Sur le front de la croissance, l’économie américaine a certes décéléré en fin d’année 2014, avec une croissance de 2,6% en rythme annualisé au T4 mais ce ralentissement n’est guère surprenant car intervenant après deux trimestres de croissance à presque 5% ! Qu’un certain nombre d’indicateurs suggère un retour vers le potentiel, soit une croissance entre 2% et 2,5% n’est guère étonnant. La consommation va rester dynamique, les ménages profitant de l’embellie sur le marché du travail et de la baisse du prix de l’essence. De son côté, l’investissement des entreprises devrait en revanche quelque peu ralentir. De plus, le marché du travail s’est nettement amélioré, la plus grande partie des surcapacités (slack) ayant été absorbée. Certes, le taux de participation est faible suggérant qu’une partie des américains se tient à l’écart du marché du travail et pourrait y revenir limitant ainsi les tensions. Par ailleurs, la progression des salaires est restée modeste jusqu’à présent (proche de 2%). Si nous ne croyons pas à une forte accélération de ces derniers, il nous semble toutefois qu’ils pourraient augmenter un peu plus rapidement dans les mois qui viennent. A ce stade et compte tenu de la rigidité des salaires à la baisse ces dernières années, la modération salariale actuelle n’augure pas nécessairement l’absence de tensions dans le futur. Autre reflet de l’absorption des surcapacités, la hausse du taux d’utilisation des capacités de production qui est revenu vers sa moyenne de long terme.

L’absence de tensions inflationnistes à court terme, renforcée par la chute du prix du pétrole, est-il un argument pour maintenir le statu quo ? Nous ne le pensons pas. En revanche, cela milite certainement pour une remontée très progressive des taux d’intérêt.

Dans une configuration où l’économie est presque revenue à son niveau et son rythme de production potentielle, il nous semble raisonnable que la Fed commence à sortir de sa politique à taux zéro petit à petit en ajustant les taux d’intérêt directeurs à la hausse, l’objectif n’étant pas de lutter contre un risque inflationniste inexistant mais d’ajuster les conditions monétaires à une situation économique qui a fortement évolué ces dernières années. Le souhait d’éviter une montée des risques financiers en maintenant une politique monétaire ultra expansionniste trop longtemps constitue également un argument. Par ailleurs, la faiblesse actuelle des taux longs (le 10 ans est inférieur à 1,8%) permet d’envisager la sortie plus sereinement. Plus la Fed commencera tôt, plus elle pourra prendre le temps et éviter des sur-réactions de marché.

L’appréciation du dollar de ces derniers mois (10% en termes effectifs (indice large) depuis mai dernier) peut-elle constituer un obstacle ? Alors que la renaissance de l’économie américaine reposait en partie sur un avantage compétitif lié à l’émergence du gaz de schiste (faiblesse relative du coût de l’énergie) et à un dollar tendanciellement plus faible que lors de la décennie précédente, la chute du prix du pétrole et l’appréciation du dollar changent quelque peu la donne et constituent des facteurs de risque pour l’économie américaine à moyen terme. A court terme toutefois, il faudrait une poursuite du mouvement de forte appréciation pour empêcher la Fed de passer à l’acte.

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