Fed : vers un changement de wording ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Notre vue concernant la politique monétaire américaine, caractérisée par la fin des achats d’actifs par la Fed en octobre 2014 et par une remontée des taux d’intérêt directeurs en juin 2015 devient aujourd’hui de plus en plus consensuelle, plusieurs économistes ayant avancé la première hausse de taux à mi-2015 en réponse à la publication du dernier rapport sur l’emploi. Les contrats Fed funds sont aussi en phase avec un tel scénario. A ce stade, ce dernier nous semble toujours le plus probable mais nous n’excluons pas quelques turbulences dans les mois qui viennent.

Il y a un mois, nous nous posions la question de la possibilité d’une remontée plus précoce de l’objectif des Fed funds1. Est-il envisageable que la Fed puisse augmenter son taux directeur beaucoup plus rapidement qu’attendu et soit finalement la première, parmi les grandes banques centrales, à sortir de sa politique monétaire à taux zéro. Cette question se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité.

Lors de son témoignage semi-annuel devant le Congrès le 15 juillet, J. Yellen a prononcé un discours dont la teneur s’est révélée très proche de celle du dernier FOMC le 18 juin2, avec notamment l’idée que les Fed funds seraient maintenus à leur niveau actuel pendant une période « considérable »3 après la fin du tapering. Rappelons qu’en mars dernier, Yellen avait répondu que « considerable » pouvait s’apparenter à six mois même si elle n’a pas réitéré ce propos depuis. Malgré une tonalité très proche, on peut toutefois noter deux nuances dans son témoignage. La première concerne l’appréciation de l’inflation, Yellen prenant acte de la hausse récente et ne précisant pas, comme c’était le cas dans les derniers communiqués, « qu’une inflation inférieure à 2% de façon persistante pouvait poser des risques à la performance économique ». La deuxième concerne la condition qui pourrait pousser la Fed à monter les taux plus rapidement. Dans son témoignage, Yellen mentionne comme condition le fait que « le marché du travail continue de s’améliorer plus rapidement qu’attendu par le Comité ». Précédemment, une hausse précoce était conditionnée à une amélioration plus rapide que prévu de la conjoncture économique. Le verbe « continuer » a semé le trouble, pouvant suggérer que l’on était déjà engagé dans ce processus…

Les deux évolutions que nous soulignions le mois dernier, à savoir la progression de l’inflation et l’accélération de l’amélioration sur le marché du travail se sont poursuivies. D’une part, le PCE deflator, la mesure d’inflation préférée de la Fed, a sensiblement augmenté en mai pour atteindre 1,8% alors qu’il était inférieur à 1% il y a quelques mois. D’autre part, les créations d’emploi ont encore été très fortes en juin (288K) et le taux de chômage a continué de baisser pour atteindre 6,1% sans diminution du taux de participation…

Ainsi, l’inflation et le taux de chômage ont déjà atteint les niveaux qui étaient attendus pour la fin de l’année 2014, avec six mois d’avance… En effet, la « tendance centrale » des prévisions de la Fed début juin donnait un taux de chômage de 6,0%/6,1% et un déflateur PCE entre 1,5% et 1,7% pour décembre 2014…

La Fed va devoir prochainement adapter son wording. Il va être de plus en plus difficile de garder une formulation spécifiant que l’inflation est trop faible. L’inflation (CPI) va vraisemblablement rester proche de 2% dans les mois qui viennent (2,1% attendue en juin) et le PCE deflator devrait également, même s’il reste inférieur à 2%, se maintenir proche de 1,8%, ce qui n’est plus très éloigné de l’objectif de la Fed. Le risque de voir l’inflation déraper nous semble toutefois très faible. En revanche, le risque que le taux de chômage baisse plus rapidement qu’attendu conduisant à une hausse plus précoce des Fed funds nous paraît loin d’être nul.

Pour le moment, les marchés ne s’émeuvent guère de ces évolutions, seul le dollar semble commencer à pricer un changement de ton. Il n’est pas sûr que les marchés de taux restent longtemps indifférents si la Fed modifie son wording. Toutefois, elle devrait le faire avec prudence et opérer par petits pas pour éviter de provoquer un choc sur les marchés.

NOTES

  1. Cf. Edito d’Eco Hebdo « La Fed pourrait-elle remonter les taux plus rapidement ? »
  2. Cf Data Snap « June 17-18 FOMC statement: no surprises, slightly more hawkish “dots” »
  3. « Considerable period »

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