par Arthur Jurus, Bénédicte Kukla et Paola Monperrus-Veroni, économistes au Crédit Agricole
– Les prix de l’énergie, notamment du pétrole, continuent d’être le principal moteur de l’inflation en zone euro.
– La hausse de la TVA en France et en Italie en 2012 pourrait avoir un impact sur l’inflation en zone euro de l’ordre de 0,4 à 0,7 point.
– Pour l’instant, les risques d’effets de second tour sur les salaires restent faibles. Le niveau très élevé du taux de chômage, à 10,8% en zone euro en février, devrait limiter les hausses de salaires.
– Avec l’hypothèse d’un léger dégonflement des primes de risque liées aux tensions politiques en Iran, les prix du pétrole devraient progressivement baisser en 2012. Nous anticipons un ralentissement de l’inflation au deuxième trimestre 2012 à 2,2%, après 2,7% au premier trimestre.
Selon la deuxième estimation d’Eurostat publiée cette semaine, l’inflation en zone euro s’est établie à 2,7% en mars 2012, stable pour le quatrième mois consécutif. L’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentaire) n’a que légèrement accéléré en mars (de 1,6%, contre 1,5% en février). Au plan géographique, l’inflation sous-jacente a augmenté en France (à 1,7% a/a) et en Italie (à 2,5%), mais a baissé en Allemagne (à 1,3%) et en Espagne (0,7% a/a). Le risque de déflation en Grèce augmente, l’inflation sous-jacente est en territoire négatif depuis deux mois (à -0,1% en mars).
Globalement, les prix de l’énergie, notamment du pétrole, continuent d’être le principal moteur de l’inflation en zone euro (en hausse de 8,5% a/a en mars), même s’ils ont moins accéléré par rapport au mois dernier (9,5% a/a en février), en raison d’effets de base liés à la hausse du prix du pétrole pendant la période du « Printemps Arabe ». Pour l’instant, les risques d’effets de second tour sur les salaires restent faibles. Le niveau très élevé du taux de chômage à 10,8% en zone euro en février, devrait limiter les hausses des salaires.
Les prix de l’énergie : principal moteur de l’inflation
Les prix des produits énergétiques représentent, en moyenne, 10% de l’indice des prix pour l’ensemble de la zone euro. L’énergie est également la composante la plus volatile de l’indice des prix, en raison des fluctuations importantes du prix du pétrole, qui représente environ la moitié de l’indice des prix de l’énergie.
Après une hausse de 18% sur l’année 2011, le baril de Brent a augmenté de 13% entre janvier et mars atteignant le niveau très élevé 125 USD le baril. Cette hausse, qui a été amplifiée par la baisse de l’euro, est liée à l’amélioration des perspectives mondiales, aux nombreuses mesures d’assouplissement quantitatif sur le front monétaire et à la crise iranienne.
Avec l’hypothèse d’un léger dégonflement des primes de risque liées aux tensions politiques en Iran, le prix du pétrole devrait progressivement baisser en 2012. Cependant, il restera élevé, au-dessus de 110 USD le baril. En plus des éventuelles perturbations dans la production de pétrole, la consommation des pays émergents, bien que ralentie, devrait maintenir la demande mondiale de pétrole relativement soutenue et donc les prix élevés.
Au total, les prix de l’énergie devraient augmenter de 7,5% en 2012 (contre 11,9% en 2011).
Les effets de la fiscalité indirecte
Dans un contexte de rééquilibrage budgétaire et de hausse généralisée de la fiscalité indirecte (TVA), se pose la question de l’impact sur la hausse des prix en zone euro.
En France, la hausse de 1,6 point de la TVA normale («TVA sociale») prévue pour octobre 2012, s’inscrit dans cette perspective. Elle s’accompagne, en effet, d’une baisse des cotisations salariales employeurs. La mesure aurait un impact haussier sur l’indice global des prix estimé entre 0,3 et 0,7% sur un an, cet écart restant tributaire de l’évolution des prix hors taxes et de la part des biens concernés par cette augmentation (environ 60% de l’Indice des Prix à la Consommation). Les entreprises françaises exposées à la concurrence internationale devraient ainsi diminuer leurs prix hors TVA, en répercutant la baisse des charges salariales, tandis que les entreprises moins exposées au marché mondial répercuteraient moins la baisse de la fiscalité directe, pour augmenter leur profitabilité. Les biens importés intègreront pleinement la hausse de la fiscalité indirecte dans les prix aux consommateurs. Enfin, la hausse de la TVA réduite du 7 novembre 2011 affecterait 13% des produits de l’IPC, d’où une hausse de 0,18% de l’inflation sous-jacente annuelle en France dont 60% se répercuterait avant juin 2012.
L’augmentation de la TVA normale en Italie de 1 point à 21% en septembre 2011 s’est traduite par une hausse de 0,5 point de l’inflation italienne en octobre. Les effets sur les prix restaient limités fin 2011, à 20% des biens concernés, mais contribuaient déjà à une hausse de 0,1 point de l’IPCH de la zone euro. La mesure devrait être pleinement intégrée début 2012 pour 50% du panier de consommation. En octobre 2012, Une nouvelle hausse de 2 points de la TVA normale à 23% aurait un impact plus important, compte-tenu de la faible capacité des entreprises à diminuer leur marge pour compenser la hausse des prix à la consommation.
Suite au relèvement de 3 points de la TVA allemande début 2007, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) avait réagi par une hausse de 0,5 point, écart mesuré par l’IPCH à taux de taxation constant, qui tient compte de l’évolution de la fiscalité indirecte
En juillet 2010, la hausse de la TVA normale espagnole à 18% (+2 points) et de la TVA réduite à 8% (+1 point) a contribué pour 0,3% dans la hausse des prix fin 2010, alors que le pays ne comptait que pour 12% dans la mesure de l’IPCH.
Ainsi, la hausse de la TVA en France et en Italie, qui représentent respectivement 21% et 18% de l’IPCH, pourrait avoir un impact sur l’inflation en zone euro de l’ordre de 0,4 à 0,7 point. Les effets dépendront de trois facteurs :
- L’ajustement à la baisse des prix hors taxes par les entreprises capables de compenser la hausse de la fiscalité indirecte (hausse de la TVA) par la baisse de la fiscalité directe (charges salariales).
- Les délais d’ajustement sur les prix aux consommateurs, par les entreprises italiennes ou par celles exportant en France et non concernées par la baisse des charges salariales, dont les effets pèseraient davantage sur l’inflation zone euro début 2013.
- L’évolution des prix énergétiques : notre scénario annuel anticipe un prix du pétrole à long terme à 110 dollars, ce qui limiterait l’impact des nouvelles mesures fiscales.
Peu de risques d’effets de second tour
Les données d’enquête confirment globalement que malgré une hausse des prix entrants, les prix sortants continuent de baisser, signalant ainsi une compression des marges en cours pour stimuler la demande.
Mais la volonté de reconstitution des marges primerait globalement en France en 2012. La dégradation du taux de marge en 2011 y a été la plus marquée parmi les grands pays de la zone euro. La rapide progression des rémunérations par salarié (+2,9%) n’a pas été compensée par une productivité en ralentissement (+1,2%), provoquant ainsi une remontée des coûts salariaux unitaires (+1,7%) et une baisse du taux de marge. Notre scénario prévoit un ralentissement de la masse salariale et des salaires par tête par rapport à 2011, qui se justifie par le contexte économique morose et par l’aggravation de la situation sur le marché du travail affaiblissant notamment le pouvoir de négociation des salariés.
Si le dynamisme des dernières négociations salariales en Allemagne a sonné le glas de la fin de la modération salariale, on ne peut pas parler de véritable dérapage. Après les accords conclus fin 2011 dans la sidérurgie (+3,5% pour l’année 2012) l’accord de mars dans la fonction publique (+3,8% pour 2012) a provoqué la réaction de la Bundesbank, mettant en garde contre les risques inflationnistes qui pourraient résulter d’un effet d’entraînement sur les autres branches (la métallurgie, la chimie et la banque) amenées à conclure des accords cette année. Mais la portée de cet accord doit être relativisée, car il s’applique à la moitié des fonctionnaires (ceux des Länders en sont exclus) et donc à 5% des salariés. D’autre part, un rattrapage salarial dans la fonction publique devait compenser la forte modération qui avait caractérisé le secteur, avec un accord conclu en 2009 au plein de la crise. Sur fond de revendications oscillant entre 5% et 7%, nous prévoyons une hausse de du salaire négocié en deçà de 3% en 2012. Car si les gains de productivité (+1,6% encore en 2011) et de rentabilité passés ont permis une dynamique salariale soutenue en 2011 (3,3% pour le salaire effectif, grâce aux éléments exceptionnels tels que primes etc.), le taux de marge s’est néanmoins dégradé sous l’effet de la remontée des coûts salariaux unitaires (+1,4%). Le retournement du cycle de productivité en fin d’année pèsera surement sur les négociations des secteurs exposés à la concurrence internationale que nous prévoyions moins dynamiques du fait de la volonté de reconstituer un taux de marge encore bien en deçà du niveau d’avant la crise.
Dans les autres grands pays, les salaires négociés n’assurent toujours pas le maintien du pouvoir d’achat. En Italie, où le taux de marge a pu se stabiliser en 2011 sous l’effet d’une modération salariale déjà actée (+1,3% en 2011), l’année 2012 annonce une progression peu dynamique, influencée à la fois par le gel des salaires dans la fonction publique et par un lien plus étroit avec l’évolution de la productivité.
En Espagne, le redressement des marges est déjà en cours, grâce à une faible progression des salaires (+0,6% en 2011) qui se maintiendrait en 2012. Des dérogations aux accords de branches, désormais possibles, pourraient aboutir à une progression plus faible du salaire effectif par rapport au salaire négocié.
Pas de véritable dilemme pour la BCE
Le taux d’inflation moyen pour l’ensemble de la zone euro dépasse bien le seuil de 2% visé par la Banque centrale européenne depuis seize mois consécutifs. Des risques haussiers, liés au prix de l’énergie persistent, même si notre scénario central anticipe une baisse du prix du pétrole, lequel est aujourd’hui maintenu à un prix jugé insoutenable. Nous anticipons un ralentissement de l’inflation au deuxième trimestre 2012 à 2,2%, après 2,7% au premier trimestre.
Lors de la réunion de début avril, la BCE a alerté sur les risques d’un effet de second tour. Cependant, cette déclaration peut se lire plus comme un gage pour la Bundesbank, que comme une inflexion de sa stratégie monétaire. Les divergences accrues entre les niveaux d’activité des pays-membres, le ralentissement des flux de crédit et la relative stabilité des anticipations de prix des consommateurs devraient conforter la BCE à maintenir le niveau de taux inchangé sur les prochains mois à 1%.