Flux de capitaux et développement dans les PECO

par Alexandre Vincent, économiste chez BNP Paribas

De 2001 à 2007, l’insertion croissante des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) à l’Union européenne (UE)1 s’est accompagnée d’importantes entrées de capitaux. Ces flux financiers ont nourri le développement des nouveaux Etats membres, manifeste dans leur rythme de croissance très soutenu jusqu’à la mi-2008 et dans les mutations de leurs structures économiques survenues au cours de la période2.

La crise mondiale a, cependant, révélé les fragilités intrinsèques de ce modèle. D’une part, l’abondance des financements extérieurs a alimenté des situations de surchauffe. D’autre part, les tensions mondiales sur la liquidité survenues à l’automne 2008 ont mis en lumière les risques d’une forte dépendance vis-à-vis de capitaux étrangers, potentiellement volatils au moins pour une part.

La crise mondiale a entraîné aussi un ralentissement des entrées de capitaux dans l’ensemble des PECO. Cette évolution, sans doute durable au vu du contexte mondial, amène à reconsidérer leur mode de développement et les place devant le défi de maintenir leur attractivité. Mais, par-delà cette tendance commune, les deux dernières années ont vu diverger, d’un pays à l’autre, la nature des flux financiers entrants, en même temps que se différenciaient les trajectoires de reprise économique et que s’affirmait la diversité des profils de risque pays au sein de la région.

Un processus de développement fondé sur l’intégration à l’UE

Les importants flux de capitaux à destination des PECO constatés jusqu’à la crise ont reflété à la fois l’attractivité intrinsèque de ces pays et la dynamique de leur intégration européenne croissante, commerciale et institutionnelle, notamment. Ils ont surtout permis une croissance rapide de ces pays, en alimentant l’expansion du crédit et en développant leur capacité d’exportation.

– Des mouvements de capitaux massifs mais divers

* Une accélération des flux de capitaux au cours de la période

A partir du début de la décennie 2000, quand leurs perspectives d’adhésion à l’UE sont devenues tangibles, les PECO ont enregistré d’importantes entrées nettes de capitaux, croissantes au fil du temps jusqu’à l’été 2008. Ainsi en 2001, ces flux représentaient 8,9% du PIB en moyenne. L’élargissement de 2004 a entraîné une accélération du phénomène, les entrées de capitaux atteignant 21,7% du PIB en 2007. Elles étaient alors particulièrement fortes en Bulgarie et en Roumanie, récemment entrées dans l’UE, ainsi que dans les Etats baltes. En 2008, sur l’ensemble de la région, ces masses financières provenaient approximativement pour moitié de la zone euro.

Du fait de ces importants mouvements de capitaux, la position extérieure nette des PECO, structurellement débitrice, s’est détériorée au fil des années : de 32% du PIB en moyenne en 2000, elle était passée en 2008 à 61%. Les engagements nets vis-à-vis de l’étranger excédaient alors 95% du PIB en Hongrie et en Bulgarie, et étaient proches de 75% du PIB en Lettonie et en Estonie. Cependant, ils restaient inférieurs à 40% du PIB en République tchèque et en Slovénie, ce qui montre la diversité des situations au début de la crise.

* Investissements directs, prêts et capitaux spéculatifs

On peut distinguer plusieurs types de flux internationaux de capitaux, puisque sous ce vocable on regroupe les investissements directs étrangers (IDE), les investissements de portefeuille, les mouvements de capitaux liés à des produits financiers dérivés, assez peu présents dans le cas des PECO dont les marchés restent en moyenne relativement peu sophistiqués, et la catégorie « autres investissements ». Ce dernier ensemble inclut, notamment, les prêts bancaires (en particulier ceux des banques étrangères à leurs filiales locales) ainsi que ceux des institutions internationales.

Selon les pays, ces différents types de capitaux n’ont pas eu la même importance relative. Si les IDE ont régulièrement représenté, de 2004 à 2007, 5 à 10% du PIB chaque année dans chacun des pays étudiés, on constate leur croissance spectaculaire en Bulgarie, alors en plein rattrapage, de mi-2005 à fin 2007. Les investissements répertoriés comme « autres » ont accompagné le développement rapide du système bancaire en Bulgarie et en Roumanie et la forte croissance des crédits en Hongrie jusqu’au début de l’année 2008. Mais, surtout, les pays de la zone diffèrent par le poids des investissements de portefeuille, très présents en Hongrie jusqu’à la mi- 2007, attirés par la Pologne à certaines périodes comme par exemple en 2004-2005, présents aussi en Lituanie ou en République tchèque et, par contraste, délaissant la Roumanie ou la Bulgarie, dont les marchés financiers sont restés moins développés et moins liquides.

Ces évolutions contrastées expliquent que les engagements extérieurs bruts soient structurés différemment d’un pays à l’autre. En 2010, la part des engagements issus d’investissements directs était majoritaire en Bulgarie, en Hongrie et en République tchèque, alors qu’elle restait inférieure à 30% en Lettonie et en Slovénie. Inversement, les crédits représentaient plus de 50% du total de ces engagements bruts dans les Etats baltes, en Slovénie ou en Roumanie, contre moins de 30% en République tchèque et en Hongrie.

– Une dynamique d’intégration financière, commerciale et institutionnelle

L’afflux de capitaux vers les PECO entre 2000 et 2008, dans le contexte de leur adhésion à l’UE, a répondu à la conjonction de plusieurs facteurs.

* Des perspectives de rendement favorables

Les capitaux étrangers, misant sur le phénomène de rattrapage de ces économies, ont été attirés par les perspectives d’une croissance forte, avec des dotations initiales en capital insuffisantes qui garantissaient des rendements élevés. De fait, ils excédaient en moyenne 10% lorsque la crise est survenue3.

La modicité des coûts salariaux unitaires dans l’ensemble de la zone a aussi contribué à son attractivité pour les investisseurs étrangers. Jointe à un bon niveau général de formation de la main-d’œuvre, elle explique pour une part les mouvements de délocalisation / relocalisation survenus au cours des années 2000 entre l’Europe occidentale et les PECO dans certains secteurs, comme l’industrie automobile. Ce processus s’est, notamment, traduit par la multiplication des projets d’investissements greenfield, consistant en l’implantation d’unités productives ex nihilo.

* Des changements institutionnels

L’intensification des échanges financiers avec les PECO a accompagné les progrès de l’intégration européenne, à mesure que les pays voyaient se confirmer leurs perspectives d’entrée dans l’UE, puis y adhéraient formellement et, pour certains, adoptaient l’euro. L’accélération des entrées de capitaux survenue au moment des élargissements de 2004 et 2007 atteste de ce lien étroit.

Dans ce contexte, en effet, la perception du risque de change a été très atténuée. Cette analyse se fondait sur l’entrée dans la zone euro de la Slovénie et de la Slovaquie4 et sur l’établissement de régimes de change fixe dans les Etats baltes ainsi qu’en Bulgarie, cependant que prévalait la croyance d’une appréciation régulière des autres devises. La principale incertitude semblait alors porter sur le calendrier d’adoption de la monnaie unique.

L’intégration européenne a, par ailleurs, suscité dans l’ensemble des PECO une libéralisation économique et financière achevant le processus entamé au début des années 1990, tout en lui donnant une structure juridique fiable. Ces évolutions ont, notamment, métamorphosé le secteur bancaire, qui s’est largement ouvert aux établissements étrangers.

Plus généralement, l’entrée des PECO dans la construction européenne a été perçue, pour les investisseurs, comme un gage de stabilité institutionnelle et politique et a donc affecté favorablement leur vision du risque pays sur l’ensemble de la zone. Là encore toutefois, on doit souligner les limites de ce raisonnement global : la Bulgarie et la Roumanie sont restées relativement affectées par les phénomènes de corruption, malgré les efforts affichés par leur gouvernement.

Au total, on observe donc que l’intégration financière a été étroitement complémentaire de celle qui prenait corps en matière politique et institutionnelle5.

– Un moteur pour la croissance

Dans ces années marquées par un rapide processus de rattrapage, les flux de capitaux vers les PECO ont largement contribué à nourrir leur croissance.

* Le dynamisme des exportations

Du fait notamment des relocalisations dans le secteur manufacturier déjà mentionnées, les IDE ont permis à la région de développer une industrie exportatrice. Le taux d’ouverture6 des PECO atteignait ainsi 116% en 2007 contre 90% en 2002; il était particulièrement élevé (supérieur à 130%) en Slovaquie, Hongrie, République tchèque et Bulgarie, et un peu plus modeste (de l’ordre de 70%) dans les économies de plus grande taille que sont la Pologne et la Roumanie. On observe ainsi que les exportations et le stock d’IDE sont positivement corrélés à la production industrielle et à la croissance7.

Les échanges qui se sont intensifiés du fait de cette division internationale des processus productifs relèvent surtout du commerce intra-branche. Dans ce contexte, la spécialisation de certains pays s’est accentuée. Ainsi le secteur automobile, qui représente environ 40% des exportations slovaques, est également très présent en République tchèque et en Hongrie. L’apport des IDE a surtout été crucial au plan qualitatif, contribuant à l’amélioration du tissu productif dans la région. De fait, les firmes issues d’investissements étrangers ont souvent permis l’introduction des innovations technologiques8.

* Le soutien à la demande interne

Parallèlement, la demande interne, principal moteur de la croissance dans les PECO jusqu’à la crise, a été soutenue par les entrées de capitaux extérieurs. Le poids des banques étrangères explique en partie cette dynamique, puisque celles-ci détenaient en 2007 plus de 70% des actifs bancaires dans pratiquement tous les pays de la région (la Hongrie et la Slovénie, où cette part était inférieure à 50%, faisant exception).

L’ensemble des financements accordés par les banques mères à leurs filiales a favorisé la forte croissance des prêts aux résidents. C’est ainsi que le ratio de crédit sur PIB a augmenté entre 2000 et 2008, passant de 54% à 81% en Hongrie ou de 35% à 96% en Estonie en raison de l’agressivité des banques scandinaves. Il est, en revanche, resté stable en République tchèque et en Slovaquie où l’intermédiation bancaire, de même qu’en Roumanie, reste modeste avec des ratios allant de 40 à 60%. Le crédit aux ménages a d’ailleurs généralement augmenté plus vite que celui accordé aux entreprises.

Cette abondance de liquidité a cependant contribué à fragiliser certains pays, en favorisant la formation de bulles d’actifs ou la banalisation des crédits immobiliers en devises aux ménages.

Les limites d’un modèle de développement

– Des fragilités macroéconomiques latentes

Les entrées de capitaux ont joué un rôle distinct selon que les pays empruntaient un modèle de développement reposant sur le secteur manufacturier et des exportations dynamiques, ou au contraire voyaient se développer une allocation des ressources centrée sur le secteur abrité, en particulier l’immobilier.

* Les symptômes de la surchauffe

Les entrées massives de capitaux ont induit dans certains pays une situation de surchauffe. L’augmentation rapide des encours de crédit a ainsi favorisé des pressions inflationnistes, notamment dans les pays qui avaient fait le choix d’un régime de changes fixes (en 2008, l’inflation était ainsi de 12% en Bulgarie).

Ces tensions se sont aussi manifestées par la formation de bulles de prix d’actifs. Cela a été le cas sur le marché immobilier, particulièrement dans les pays baltes mais aussi en Pologne en 2005-2006 (avec une progression nominale des prix du logement supérieure à 30%) ou en Bulgarie de mi-2007 à mi-2008. Au moment de la crise, l’éclatement de ces bulles a entraîné un effet de richesse négatif pour les ménages, contribuant à l’atonie de la demande interne depuis lors9.

* Des déséquilibres extérieurs

L’abondance des prêts accordés par des établissements étrangers a entraîné une augmentation de la dette extérieure qui, fin 2008 s’établissait à 136% du PIB en Hongrie et était supérieure à 100% du PIB en Lettonie, en Estonie ainsi qu’en Bulgarie. Cela reflète l’endettement du secteur privé et, en particulier, la part des crédits en devises, qui en 2008 atteignait 34% en Pologne, 57% en Roumanie et en Bulgarie, 65% en Hongrie et en Lituanie, et environ 90% en Estonie et Lettonie.

Parallèlement, les années de surchauffe ont vu se creuser les déficits courants, particulièrement élevés dans les pays ayant choisi d’arrimer leur devise à l’euro (il atteignait, en 2008, 24% du PIB en Bulgarie). Ces déficits reflétaient, pour une part, les revenus alloués aux capitaux étrangers ainsi que le développement du secteur abrité (notamment l’immobilier, le commerce de détail ou les services financiers) et, plus généralement, la forte croissance de la demande interne.

Ces déséquilibres extérieurs faisaient peser un risque sur l’évolution des devises dans la zone : alors que leur appréciation tendancielle était confortée par les mouvements de carry trade qu’elle suscitait, en Pologne et en Hongrie notamment, les conditions d’une volatilité accrue étaient réunies. Celle-ci s’est manifestée à l’automne 2008, lorsque la crise a cristallisé une prise de conscience de ces fragilités et que les flux de capitaux se sont montrés d’une sélectivité accrue.

– Un tarissement des entrées de capitaux depuis la crise

* Une crise violente

Durant le second semestre 2008 et en 2009, les entrées de capitaux dans les PECO ont considérablement diminué, sous l’effet d’une montée de l’aversion au risque. Ainsi, les entrées de capitaux nettes sont passées de 7% du PIB au premier semestre 2008 à 1,9% au deuxième semestre de la même année. Elles ont pratiquement cessé au premier semestre de 2009, avant de connaître une légère reprise depuis lors. Conformément à leur nature, les capitaux les plus réactifs ont été les investissements de portefeuille, dont le départ a notamment précipité la crise en Hongrie. Mais tant la Hongrie que la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et même la Pologne ont depuis lors connu un ralentissement prononcé des entrées d’IDE.

* L’intervention internationale

Les conséquences de cette contraction des flux de capitaux ont été particulièrement sévères pour la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie, amenées à solliciter l’assistance internationale du FMI et de l’Union européenne. Cette intervention internationale a permis de stabiliser les marchés financiers, d’autant qu’elle a été prolongée par l’initiative de Vienne, aux termes de laquelle les banques internationales s’engageaient à maintenir le financement de leurs filiales locales.

* Une résorption seulement partielle des déséquilibres macroéconomiques

La crise, en mettant fin à la situation de surchauffe qui caractérisait pour partie la région, a permis d’effacer en partie les déséquilibres qui s’étaient accumulés. Ainsi les déficits courants se sont mécaniquement réduits, et de même les pressions inflationnistes ont diminué malgré les prix élevés des matières premières.

En revanche, la solvabilité du secteur privé reste problématique : le stock de dettes accumulé jusqu’en 2008 ne saurait diminuer que progressivement. Les crédits en devises pèsent d’ailleurs d’autant plus lourd que le franc suisse s’est considérablement apprécié dans le contexte de la crise de l’euro10. Au total, la part des mauvaises créances dans les actifs bancaires s’est stabilisée à un niveau élevé. Dans ce contexte, et malgré le maintien des financements extérieurs et d’un niveau de liquidité généralement satisfaisant pour les banques de la région, l’octroi de crédit a fortement ralenti, au point d’aboutir à des situations de credit crunch qui contribuent à l’atonie de la demande interne et donc au caractère hésitant de la reprise.

Des scénarios de reprise contrastés

– Perspectives de croissance mitigées

* Une conjoncture incertaine

Le redressement progressif de l’activité économique en 2010 aura été doublement bénéfique pour les PECO. D’une part en effet, l’activité robuste en Allemagne a tiré leurs exportations, qui sont devenues le principal moteur de croissance. D’autre part, les investisseurs ont vu leur situation financière se consolider, et un climat plus propice à la mobilité internationale des capitaux s’est instauré.

Malgré ces circonstances favorables, la reprise s’avère très modeste, avec une consommation qui demeure déprimée et d’importantes capacités inutilisées, d’où une atonie persistante de l’investissement. Enfin, les perspectives macroéconomiques sombres pour la zone euro ne laissent pas envisager un retour rapide au niveau des flux financiers que l’on pouvait observer avant la crise.

* Des trajectoires différenciées entre pays

Après la récession, l’année 2010 a été marquée par une tendance à la reprise des entrées de capitaux dans plusieurs pays de la zone. Mais on observe à cet égard des situations différentes. Ainsi, le rebond a été particulièrement perceptible en République tchèque et, surtout, en Pologne, cependant qu’au total les entrées nettes de capitaux continuaient à décroître en Bulgarie ou en Roumanie, où la récession perdurait, de même qu’en Hongrie. Cela étant, la Pologne et la République tchèque se sont surtout distinguées en 2010 par un fort afflux d’investissements de portefeuille, liés pour partie à des opérations de carry trade. Les prêts bancaires ont aussi fortement contribué à ces évolutions divergentes, affichant une croissance soutenue en Pologne, notamment, alors qu’ils se détournaient de la Hongrie, où une taxe spécifique sur le secteur financier était imposée par le gouvernement venu aux affaires au printemps 2010.

L’évolution quantitative des IDE en 2010 sur l’ensemble de la zone apparaît moins contrastée. Leurs flux ont partout diminué, avec une chute particulièrement marquée en Bulgarie et en Roumanie (pays dont l’accession à l’UE était la plus récente au début de la crise, et qui étaient donc en plein rattrapage) et se sont stabilisés à des niveaux représentant 2 à 5% du PIB, hormis en Slovaquie où ils restent en retrait. De fait, la Slovaquie, après avoir accueilli jusqu’en 2008 d’importants IDE, très concentrés dans le secteur automobile, apparaît à présent comme un marché relativement saturé, d’autant que seule une partie de son territoire offre les infrastructures et la qualité de la main- d’œuvre nécessaires au développement d’investissements étrangers.

Si les IDE ont atteint des niveaux relativement semblables dans l’ensemble de la zone en 2010, leur composition, en revanche, laisse entrevoir des différences11. Ainsi, la part de bénéfices réinvestis était de plus de 60% en Pologne et en République tchèque, pays qui ont vu aussi d’importants prêts intra-groupes. Ce schéma, qui correspond généralement à la situation dans les économies matures, suggère une perception favorable du risque pays. Inversement, les nouveaux investissements ont représenté l’essentiel des IDE en Hongrie : les prélèvements « de crise » imposés à différents secteurs où les entreprises étrangères sont très présentes (outre le secteur financier déjà cité, on peut mentionner notamment l’énergie, les télécoms et la grande distribution) ont écorné leurs profits et dissuadé les transferts de liquidité vers la Hongrie au sein de groupes internationaux.

Les divergences sont aussi perceptibles dans les secteurs vers lesquels se dirigent les IDE. La Pologne s’est montrée particulièrement attractive dans le secteur des transports, ce qui illustre son rattrapage actuel en matière d’infrastructures 12 . Le cas de la République tchèque est très spécifique : celle-ci a surtout attiré en 2010 les investissements dans l’intermédiation financière et, plus généralement, dans les services (notamment ceux destinés à l’exportation), au détriment du secteur manufacturier. On peut y voir l’indice d’une montée en gamme et d’une diversification dans la structure des exportations de ce pays. En revanche, en Hongrie, la spécialisation historique dans le secteur automobile a été confortée par quelques projets d’ampleur. Surtout, ce pays a connu, en 2010, un afflux de capitaux dans le secteur immobilier, en réponse notamment à un engagement des pouvoirs publics en faveur des logements familiaux. Le cas de la Bulgarie est encore différent : alors que les IDE dans le secteur manufacturier étaient traditionnellement minimes, ils ont représenté, en 2010, un tiers du total. La part des secteurs abrités que sont l’immobilier et le commerce est, en revanche, passée de 60% avant la crise à 20%, ce qui reflète l’atonie de la demande interne mais peut aussi montrer les prémices d’un rééquilibrage du modèle de développement bulgare.

On observe donc bien une différenciation entre pays dans la manière dont ils ont pu attirer l’an dernier les flux de capitaux, même si les volumes d’IDE entrés dans les différents pays de la zone en 2010 sont proches. Depuis 2009, les investisseurs sont particulièrement sensibles aux facteurs de risque propres à chaque pays13 et se montrent donc de plus en plus discriminants. Dans une période marquée par la crise de la zone euro, il est frappant de constater que les PECO sont restés jusqu’ici relativement isolés des chocs affectant leurs voisins. Mais, inversement, la focalisation croissante des marchés sur les risques souverains rend plus urgent le redressement des finances publiques dans les pays comme la Hongrie ou la Pologne où ces dernières s’étaient dégradées du fait de la crise.

– Vers un rééquilibrage du modèle de développement des PECO ?

* Le problème du financement de l’économie

Par-delà ces différences entre pays, les PECO dans leur ensemble sont surtout confrontés à une raréfaction des entrées de capitaux par comparaison avec l’avant-crise. La conjoncture mondiale risque d’induire une dynamique durablement faible des IDE. En outre, dans un univers où la régulation financière tend à se durcir, avec notamment la perspective de l’adoption de Bâle III, l’accès à la liquidité va être plus difficile pour les PECO. Si ce facteur n’a pas joué jusqu’ici dans la contraction du crédit, il se pourrait que dans le futur il entrave sa reprise.

Ainsi, l’évolution financière internationale invite à envisager la situation des PECO en termes de déficit d’épargne du secteur privé, loin de la problématique de rattrapage qui primait jusqu’à la crise. La dette qui pèse sur les ménages, notamment en Hongrie et en Pologne, fait du deleveraging une priorité. A moyen terme, les politiques monétaires, qui depuis quelques mois ont pris un tour restrictif dans la région, pourraient contribuer à ce rééquilibrage. Dans cette perspective, la croissance risque de rester faible à moyen terme pour la région considérée dans son ensemble : les politiques budgétaires sont vouées à l’austérité, et il n’est pas certain que les exportations puissent constituer dans l’avenir proche un moteur aussi puissant que l’an dernier.

* Un défi : le maintien de l’attractivité

Le Wiener Institut für Internationale Wirtschaftsvergleiche prend cependant note, pour les flux enregistrés en 2010, d’une évolution favorable puisqu’il remarque que les IDE se sont en moyenne, plus fortement qu’avant la crise, dirigés vers les secteurs exposés. Ceci illustre bien le basculement déjà mentionné vers une croissance tirée par les exportations et pourrait être favorable, si la tendance se confirme, au financement de ces économies.

Le principal défi pour les pays de la zone va donc être désormais de maintenir leur avantage compétitif. On doit de ce point de vue noter l’ambivalence des politiques budgétaires restrictives en cours : si, d’une part, elles confortent la réputation d’un pays et contribuent à la stabilité de la devise, elles peuvent conduire aussi, d’autre part, à délaisser des investissements susceptibles d’accompagner les IDE. Le renouvellement des perspectives de privatisations, en Pologne et en Roumanie notamment, devrait cependant susciter des entrées de capitaux.

Par ailleurs, la stabilisation relative de leur devise par rapport à l’euro jusqu’au récent épisode de dépréciation, jointe à une modération salariale induite par la crise, a permis de maintenir la compétitivité coût des PECO. Enfin, il semble que l’Europe centrale bénéficie, pour quelques années au moins, d’une concurrence moindre des pays du Maghreb, affectés par la montée depuis le printemps dernier du risque socio-politique.

Les PECO ont donc reçu jusqu’à la crise des capitaux abondants, stimulés par la logique de l’intégration européenne. Au-delà de la croissance économique rapide qui animait l’ensemble de la zone, les différents pays présentaient déjà des modèles de développement distincts, selon le dynamisme relatif des exportations et des secteurs abrités, dont l’immobilier. Avec la crise, les entrées de capitaux se sont faites moins abondantes au total, et la question de l’attractivité relative des différents pays est donc cruciale. Les prêts bancaires internationaux s’avèrent particulièrement discriminants et signalent les risques spécifiques attachés à la Bulgarie, à la Roumanie et à la Hongrie. Il semblerait que les IDE aient été moins sélectifs jusqu’à présent, se dirigeant vers les différents pays avec à peu près la même intensité (en dehors du cas de la Slovaquie).

Cependant, la nature des financements mobilisés et les secteurs où ils trouvent à s’investir révèlent des trajectoires divergentes entre pays: la Pologne et la République tchèque apparaissent logiquement comme des marchés plus matures (au sens où les bénéfices réinvestis y jouent un rôle important), la seconde évoluant vers une diversification de son modèle de développement jusqu’ici très axé sur le secteur automobile. Inversement, la Bulgarie voit un début de rééquilibrage des IDE entrants vers le secteur manufacturier, qui semble de bon augure pour la capacité d’exportation du pays. Le cas de la Hongrie enfin montre combien les entrées de capitaux peuvent être dépendantes des orientations de la politique budgétaire (raréfaction accrue des financements bancaires et importants IDE dans l’immobilier). Cette sensibilité des financements extérieurs aux choix de politique économique incite à mettre en exergue une nouvelle fois le rôle de la stabilité institutionnelle dans l’attractivité des territoires.

NOTES

  1. Le 1er mai 2004, outre Chypre et Malte qui ne sont pas traitées ici, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie intégraient l’UE, rejointes le 1er janvier 2007 par la Roumanie et la Bulgarie. La Slovénie, la Slovaquie et l’Estonie ont adopté l’euro respectivement le 1er janvier 2007, le 1er janvier 2009 et le 1er janvier 2011.
  2. Voir BNP Paribas, « PECO : la convergence à l’épreuve de la crise », Conjoncture, janvier 2010.
  3. Au sens, pour une année donnée, des flux sortants de rémunération des IDE (présents dans le compte courant) rapportés au stock d’IDE.
  4. L’entrée de l’Estonie dans la zone euro en 2011 s’est produite dans un contexte très différent.
  5. Voir sur ce point CEPR, Financial integration and growth – is emerging Europe different ?, 2010.
  6. Ce taux est défini par la somme des exports et des imports rapportée au PIB.
  7. Oesterreichische Nationalbank, Capital inflows, Exports, and Growth in the CESEE Region, 2010.
  8. Les deux processus de développement des exportations et de mise en œuvre des innovations sont étroitement liés. Cf. BERD, Transition report, 2010, chapitre 4 : cette étude pose le problème du sens de la causalité et conclut à un impact du niveau d’exportations sur l’innovation.
  9. IMF Working Paper, Capital flows to EU new Member States: Does Sector Destination Matter?, 2011.
  10. Le gouvernement hongrois tente d’ailleurs de limiter l’impact social de ce problème en ouvrant des possibilités de refinancement de ces prêts à des parités inférieures au taux du marché.
  11. Wiener Institut für Internationale Wirtschaftsvergleiche, Database on Foreign Direct Investment in Central, East and Southeast Europe, 2011.
  12. FDI Intelligence, FDI Global outlook report, 2011.
  13. European Commission, Determinants of Capital Flows to the New EU Member States Before and During the Financial Crisis, 2010.

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