par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Avec les nouvelles vagues de politiques quantitatives1 annoncées ou mises en place par les grandes banques centrales des pays développés (Réserve Fédérale américaine, Banque Centrale Européenne, Banque d’Angleterre ou Banque du Japon), le thème de la guerre des monnaies revient sur le devant de la scène.
En effet, l’une des conséquences de l’expansionnisme de la politique monétaire est la dépréciation du taux de change. Toute la difficulté est d’y arriver alors que les autres banques centrales mènent également des politiques expansionnistes. Si la dépréciation du change n’est guère mentionnée par les banques centrales dans les objectifs de leurs politiques, elle est probablement souhaitée pour faire face à la faiblesse de leurs économies. De plus, depuis la crise financière de 2008, l’augmentation de l’aversion pour le risque a provoqué une forte appréciation des valeurs (devises) refuges.
Face à cette situation, la Banque Nationale de Suisse (BNS) a pris, depuis déjà un an, une position claire, en annonçant en août 2011 qu’elle interviendrait autant que nécessaire pour que l’EUR/CHF ne passe pas sous 1,20. Rappelons que le franc suisse s’est fortement apprécié depuis 2008, en particulier face à l’euro, de 40% entre août 2008 et août 2011 et qu’il oscillait entre 1,50 et 1,65 avant 2008. La politique mise en œuvre par la BNS semble avoir été un succès puisque depuis maintenant un plus d’un an, le taux de change du franc suisse (contre euro) est resté quasiment stable. Pour autant, elle n’a pas été sans conséquence pour le bilan de la banque centrale. En effet, en particulier lors des épisodes de forte aversion pour le risque (automne 2011 puis printemps 2012), la BNS a été obligée d’accumuler d’importantes réserves de change (184Md$ depuis août 2011) pour garantir la stabilité du taux de change, impliquant une forte hausse de sa base monétaire (qui représente aujourd’hui un peu plus de 50% du PIB) et de la taille se son bilan.
Jusqu’à présent, le risque potentiellement inflationniste de la hausse de la base monétaire ne constituait pas un problème dans la mesure où l’économie suisse enregistrait des taux d’inflation négatifs, elle pouvait même être considérée comme bienvenue. Par ailleurs, avec le ralentissement de la croissance suisse au premier semestre 2012, le PIB s’étant très légèrement contracté au T2-12, les autorités monétaires ont également la volonté de continuer à soutenir leur économie via leur secteur exportateur, les exportations représentant plus de 50% du PIB. Le maintien de la cible à 1,20 permet aux entreprises d’avoir une visibilité sur l’évolution du taux de change.
Dans ce contexte, certains observateurs anticipaient une augmentation du cours « plancher » à 1,22 ou 1,25. Pour notre part, nous pensons que la BNS devrait continuer à le maintenir à 1,20 car le rehausser pourrait impliquer une accumulation plus rapide des réserves de change en cas de forts mouvements d’aversion pour le risque à la source d’entrées de capitaux. Par ailleurs, la hausse de la taille du bilan a soulevé des inquiétudes sur les pertes éventuelles en cas de dévalorisation des actifs et la potentielle nécessité de recapitaliser la banque centrale. Enfin, il y a également un risque de « réputation » à trop augmenter la taille de son bilan.
Si à court terme, la progression de la base monétaire n’est pas un problème, elle pourrait le devenir en cas de remontée de l’inflation. En effet, contrairement à la plupart des grands pays développés, la Suisse ne souffre pas d’un taux de chômage très élevé (2,9% en août), qui le « préserve » d’une résurgence du risque inflationniste. Par ailleurs, les crédits au secteur privé continuent de progresser et le marché immobilier suisse reste bien orienté avec une augmentation des prix immobiliers. Ainsi, la Suisse ne se trouve pas non plus dans une phase de désendettement des agents privés qui limite également le risque inflationniste via une modération des crédits dans les pays qui pratiquent des politiques monétaires quantitatives.
Au total, le scénario aujourd’hui le plus probable nous semble être le maintien du « plancher » à 1,20 et donc un EUR/CHF proche de ce niveau pendant encore assez longtemps. Seule une très forte baisse du risque institutionnel dans la zone euro, à la source d’une diminution durable de l’aversion pour le risque, permettrait au franc suisse de se déprécier.
NOTES
- Les politiques monétaires quantitatives consistent à augmenter la liquidité via une hausse de la taille du bilan de la banque centrale.