France : Le champ des possibles

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas

  • Le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective « Quelle France dans 10 ans ? » dresse le constat d’une France en recul dans les classements internationaux.
  • Il se veut néanmoins optimiste et constructif. La France dispose de nombreux atouts, son déclin n’est pas irréversible.
  • Le redressement implique néanmoins des changements profonds.

Le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, sous l’égide de Jean Pisani-Ferry, sur « Quelle France dans 10 ans ? Les chantiers de la décennie » répond à la demande de François Hollande d’engager une réflexion sur cette question. Il vient s’ajouter à la liste, déjà longue, des rapports sur l’état de la France, ses problèmes et les réformes à engager. Il s’en distingue toutefois par plusieurs aspects.

Il est plus dans la veine de l’agenda de Lisbonne que dans celle du rapport « Attali » par exemple, avec la fixation d’objectifs chiffrés plutôt qu’un catalogue des réformes à mener avec force propositions. Son intérêt réside aussi dans la clarté du propos et la liberté de ton. Certains constats sont, en effet, inhabituellement incisifs pour un rapport de ce type. Il n’échappe toutefois pas totalement à la langue de bois. Autre intérêt : le champ large de l’analyse qui couvre aussi bien les questions économiques qu’institutionnelles, sociales et environnementales. Enfin, il a une vision de long terme, à 10 ans. C’est une échéance suffisamment lointaine pour avoir le temps d’inverser la tendance et commencer d’en voir les résultats mais sur laquelle il est aussi possible de se projeter. Les huit objectifs, déclinés en trente-trois repères chiffrés, donnent un cap identifiable, permettant de suivre les progrès accomplis. Cependant, si les repères sont précis, les leviers pour les atteindre ne le sont pas : cela reste des recommandations très générales.

La portée du rapport est donc difficile à évaluer. Dans quelle mesure sera-t-il suivi d’effets ? Pourquoi et comment réussirait-il quand les rapports précédents sont restés des vœux pieux ? Les interventions récentes de François Hollande comme de Manuel Valls y font certes allusion et s’inspirent déjà de certaines propositions (par exemple le besoin d’évaluation des politiques). Mais Jean Pisani-Ferry lui-même présente son étude comme un rapport d’analyse et non comme un document opérationnel. Morceaux choisis.

Le constat du déclin

La tonalité générale du rapport est d’abord réaliste. Il dresse, sans détour, le constat d’un déclin de la France depuis 25 ans. Ce déclin est mesuré à l’aune d’une vingtaine d’indicateurs économiques, sociaux et environnementaux, en comparaison d’une quinzaine de pays au PIB comparable à la France (c’est-à-dire se situant en 1988 entre -30% et +30% du niveau français). Il en ressort que la France a perdu du terrain sur le front économique et éducatif mais qu’elle a des résultats meilleurs en matière d’inégalités, d’investissement et d’environnement. Ces derniers ont cependant été obtenus au prix d’un endettement public croissant. Ils ne sont pas à la hauteur des montants engagés et ils ne masquent pas l’appauvrissement relatif du pays. Le rapport conclut sans appel qu’en l’état, la trajectoire du pays est «économiquement, socialement et financièrement non soutenable ».

Si la France en est là, ce n’est pourtant pas faute de réformes. En tout cas, le problème n’est pas leur nombre, le rapport nous apprenant que la France a à peu près autant réformé que ses partenaires européens d’après les données comparatives entre 2000 et 2010. C’est la qualité des réformes qui pose problème : le pays a été modernisé à « petits pas », les efforts ont « manqué d’ampleur, de cohérence, et de continuité ». Or, comme l’explique le rapport, la méthode gradualiste ne rassure souvent pas autant que le voudraient ses instigateurs. Elle est, de plus, peu efficace faute d’entraîner un changement pérenne des comportements. Enfin, « une séquence de réformes partielles permet rarement d’améliorer la situation autant que le ferait un effort plus concentré et plus soucieux de cohérence ». La stratégie du gouvernement actuel souffre de ces mêmes travers.

En revanche, le fait qu’il agisse sur plusieurs terrains à la fois est à mettre à son actif : chaque réforme prise isolément n’est pas de nature à changer la donner mais leur addition les renforce.

La réversibilité de la situation

Bien qu’alarmant, le rapport ne verse toutefois pas dans le défaitisme, considérant que « sur aucun des indicateurs, l’écart ne s’est creusé à un point tel qu’il ne puisse être comblé en l’espace de dix ou, au pire, vingt ans. Notre décrochage relatif est parfaitement réversible ». La France peut s’appuyer pour cela sur ses atouts, nombreux et importants, des atouts que l’Allemagne, par exemple, n’a pas. La France est territorialement unie, jeune, formée, bien équipée, y compris d’infrastructures favorisant l’activité féminine, une puissance scientifique et agricole, dotée de vastes ressources maritimes, d’un grand nombre de leaders mondiaux et d’une capitale d’envergure mondiale.

Un sursaut est donc possible, à condition de dépasser un certain nombre de clivages. A l’évidence, c’est un grand « si » : le climat de défiance, dans lequel s’est tenue, les 7 et 8 juillet, la troisième grande conférence sociale pour l’emploi l’illustre bien1. Les conservatismes sont puissants. Pour les surmonter, cela suppose des changements et des efforts importants. Comme l’écrit le rapport, « le redressement ne sera pas seulement l’effet de politiques mieux inspirées ou de mesures mieux ciblées ». Il suppose aussi de clarifier un certain nombre de choix collectifs, de sortir des positions équivoques (par exemple, « simultanément aspirer au repli et à l’influence »), c’est-à-dire de répondre aux cinq questions suivantes. Quel ciment pour vivre ensemble ? Avons-nous encore les moyens de notre modèle social ?

Renoncer à la croissance ou repenser la croissance ? Economie abritée ou économie connectée ? Avec ou sans l’Europe ? Certaines réponses semblent aller de soi : structurellement déficitaire, le modèle social français ne saurait être pérennisé sans réformes ; l’économie se doit d’être connectée ; l’avenir de la France se conçoit difficilement sans l’Europe. Les autres sont moins évidentes et on peut regretter que le rapport ne soit pas plus conclusif à leur sujet.

Une vision de la France en 2025

La France d’aujourd’hui et de demain apparaît fragilisée et suscite plus de craintes que d’espérances. Pourtant, à l’horizon 2025, elle a la possibilité, l’opportunité, de renouer avec le progrès et le succès. C’est cette perspective d’un avenir meilleur que le rapport offre. Il n’évacue certes pas un scénario bas, avec une croissance limitée à 1% par an sur les dix prochaines années. Mais il retient comme scénario central une croissance de long terme de 1,5% par an et considère qu’une croissance plus forte, de 2% voire plus, n’est pas du tout hors d’atteinte.

La vision positive de la France que le rapport retient est articulée autour de huit objectifs. Elle peut et doit avoir l’ambition :

  • d’être parmi les dix pays de l’OCDE où l’on vit le mieux
  • de rejoindre le premier tiers des pays européens pour l’emploi
  • d’appartenir au premier tiers des pays de l’OCDE pour la confiance en autrui
  • d’intégrer le groupe des leaders européens pour l’innovation
  • de renouer avec une démocratie de la confiance
  • de promouvoir une égalité républicaine effective
  • d’avoir un Etat entreprenant et économe
  • d’assurer un développement responsable, soutenable sur le plan économique comme environnemental
  • de bâtir une société décloisonnée et ouverte sur le monde
  • de créer une économie du mouvement
  • d’asseoir un modèle social lisible et inclusif, c’est-à-dire en particulier mettre véritablement le plein emploi au cœur des objectifs
  • de refaire de l’Europe une force d’entraînement.

Pour mesurer le degré d’avancement et fixer un cap, le rapport décline ces huit objectifs qualitatifs en trente-trois repères chiffrés. Tous sont ambitieux. Cependant, autant ces repères sont précis et concrets, autant les « leviers » pour les atteindre ne le sont pas. Ces leviers consistent en effet en des recommandations très générales, peu opérationnelles, plus théoriques que pratiques, parfois même tautologiques. Par exemple, pour accroître le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), un des leviers est « renouveler les fondements de la croissance ». Or, ce renouvellement passe, entre autre, par un plus grand nombre d’ETI.

Le difficile bon ordonnancement des réformes

Une autre partie difficile du redressement de la France est la mise en musique des différentes réformes : le choix des objectifs, la fixation des priorités et le rythme auquel aller. Faut-il « écarter le politique au profit de l’économique, préférer ce dernier au social (ou l’inverse), ou bien choisir le national au détriment de l’européen » ? Le rapport répond par la négative. Certes, à court terme, « il est nécessaire de hiérarchiser les priorités » mais, à moyen terme, « la complémentarité entre les objectifs est forte ». Les blocages de la France étant interdépendants les uns des autres, il faut agir sur l’ensemble des fronts. La transformation économique et sociale est indissociable de la transformation politique ; l’une ne peut être entreprise sans l’autre. C’est la condition du succès.

Il ne s’agit cependant pas de mener toutes les réformes de front, simultanément. La raison principale en est que certaines ne peuvent en effet porter leurs fruits qu’en prenant appui sur d’autres, qui doivent donc logiquement les précéder. Le capital politique limité des gouvernements, les contraintes éventuelles sur les ressources et la visibilité plus ou moins rapide des résultats entrent en jeu également. Le rapport distingue ainsi quatre types possibles d’approches :

  • les actions à caractère critique (relance conjoncturelle à effet immédiat) ;
  • les mesures génériques (qui forment un terreau favorable au développement) ;
  • les mesures à longue portée (les plus lentes à produire leurs effets) ;
  • les réformes consensuelles (justes bonnes pour le moral).

Trois critères d’évaluation sont retenus : l’efficacité, l’impact redistributif, le rapport coûts/bénéfices.

En passant au crible de ces critères les actions associées à chacun des huit objectifs, il apparaît, sans surprise, qu’il n’y a pas de remède miracle. La réforme consensuelle, peu coûteuse, favorable à l’équité et porteuse d’effets immédiats et pérennes n’existe pas. Le gouvernement devra faire des choix difficiles. Mais le jeu en vaut assurément la chandelle.

NOTES

  1. Cf. notre EcoTV week sur le sujet « France : sous le dialogue, la discorde ».

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