par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
En 2011, les administrations publiques françaises (Etat, collectivités locales et organismes de sécurité sociale) ont dépensé 55,5 milliards d’euros en paiement d’intérêts. Est-ce trop ? Les uns pourront regretter qu’une telle somme dépasse le budget consacré à la Défense, la Famille, ou l’Environnement, les autres qu’elle ne puisse être mieux employée, par exemple à investir ou innover.
Encore faut-il rappeler que les intérêts d’emprunts, outre qu’ils rémunèrent l’épargne des Français1, émanent de dépenses qui, par le passé, ont pu s’avérer utiles. Leur charge reste par ailleurs contenue lorsqu’on la rapporte au revenu national, et ce malgré la crise et l’alourdissement de la dette qui en résulte2. En 2011, elle n’absorbe « que » 2,8% du PIB ou 5,5% des recettes publiques (contre par exemple plus de 10% en Italie), une ponction moindre qu’il y a dix ans et, bien entendu, sans commune mesure avec celles qui, dans un passé plus lointain, ont pu conduire l’Etat à faire défaut. On peut rappeler qu’en 1716, soit au moment où John Law commence à échanger la dette royale contre des billets de la Banque du même nom, 60% des recettes de l'impôt vont au paiement des intérêts. Ce ratio atteint encore 35% au début des années 1880, lorsqu’il s’agit d’assumer les conséquences de la guerre de 18703.
Si nous n’en sommes heureusement plus là, maintenir en proportion du PIB la charge financière supportée par la France sera plus difficile à l’avenir.
D’abord, parce que la modération des taux d'intérêt, qui depuis vingt ans contrebalance la charge liée au gonflement de la dette, ne peut plus être tenue pour acquise. Remontée à 134 points de base le 24 avril 2012, la prime de financement (spread) que la France paye vis-à-vis de l’Allemagne n’a aucune raison de disparaître à court terme. Alors que l'une des trois principales agences de notation a déjà ôté son triple A à la dette hexagonale, toutes la placent sous surveillance négative. Leur appréciation, qu’on le veuille ou non, influence les conditions auxquelles le Trésor français emprunte sur les marchés4, cela d’autant que sa dette est détenue à 65% par des non-résidents. Par ailleurs, sauf à vouloir quitter la zone euro et basculer dans le chaos, la France n’a pas le loisir, comme l’Angleterre ou le Japon, de faire acheter sa dette par la Banque centrale, et ainsi d’en modérer la charge. En attendant de pouvoir émettre des euro-obligations, il faut donc souhaiter que l’Allemagne continue à bénéficier de taux d’intérêt très faibles pour que ceux de la France restent dans la limite du raisonnable. A un peu moins de 3% (rendement moyen des OAT sur toutes les maturités5), c'est encore le cas. Un point de pourcentage de plus demeurerait supportable, mais alourdirait tout même de 3 milliards d'euros au bout d'un an, 20 milliards d'euros au bout de six ans, la charge annuelle de la dette. Deux points seraient problématiques, trois points rédhibitoires.
Ensuite, parce que retrouver le chemin de la croissance sous contrainte budgétaire et avec un potentiel économique amoindri ne va pas de soi. Les deux candidats finalistes à l’élection présidentielle annoncent 2% par an, voire un peu plus, à partir de 2014. Mais comment? Une politique de l'offre (axée sur la modération des coûts, la flexibilité du marché du travail, etc.) peut avoirs des effets bénéfiques à moyen terme (l'exemple allemand) mais dépressifs à court terme (l'exemple italien, espagnol ou portugais). Dans l'immédiat, ceux qui la pratiquent ne sont guère payés en retour, notamment en termes de réduction des spreads. Une politique de demande conduite isolément en France n’aurait, quant à elle, pour seul résultat que de creuser un peu plus encore le déficit du commerce extérieur (70 milliards d’euros en 2011, dont 36 milliards vis-à-vis des pays de la zone euro).
La relance ne peut donc être qu’européenne, et c’est en cela qu’elle est compliquée. L’augmentation substantielle du budget de l’UE que propose la Commission (+138 milliards d’euros en 2013 pour, notamment, abonder les fonds structurels) est loin de susciter l’adhésion des gouvernements, tout particulièrement au moment où Bruxelles exige d’eux des sacrifices importants. Le "pacte de croissance" évoqué par le président de la BCE, Mario Draghi, invite surtout les pays d’Europe à s’inspirer des réformes structurelles menées en Italie (Cf. EcoWeek n°12-12). L’idée des project bonds, sorte d’euro-obligations destinées au financement d’infrastructures, est, elle, d’inspiration plutôt keynésienne.
Poids de la dette, contrainte extérieure, problématique de croissance…, autant de thèmes absents du débat de l’entre-deux tours, mais dont on peut gager qu’ils occuperont pleinement, dès ses prises de fonction, le prochain Président de la République.
NOTES
- Les ménages français détiennent 20% du stock des obligations assimilables du Trésor (OAT) via leurs contrats d’assurance-vie. Cf. Agence France Tresor, www.aft.gouv.fr.
- Entre 2007 et 2011, la dette des administrations publiques françaises au sens de Maastricht a augmenté de 505,7 milliards d’euros. Elle s’établit à 1.717 milliards d’euros ou 85,8% du PIB en 2011. Cf. Insee, Informations Rapides n°82, mars 2012.
- A l’époque les charges d’intérêt ne se partagent guère, il est vrai, qu’avec les dépenses militaires et de « fonctionnement ». Pour une étude de l’économie française et des finances publiques à la fin du XIXe siècle, cf. par exemple. Y. Breton, A. Broder, M. Lutfalla, « La longue stagnation en France », Paris, 1997, Economica.
- Une étude de la BCE montre le lien de causalité qui existe entre les changements de ratings ou de perspectives opérés par les agences de notation et les primes de financement (spreads) supportées par les Etats. L’effet est particulièrement important en cas de dégradation. Cf. Afonso A. Furceri D. et Gomes P. "Sovereing credit ratings and financial markets linkages, application to european data", ECB Working Paper n°1347, juin 2011.
- L’indice JP Morgan des obligations d’Etat indique un rendement moyen de 2,86% le 24/04.