France : perte de la notation AAA

par Olivier Eluère, économiste au Crédit Agricole

L’agence Standard and Poor’s a dégradé, le 13 janvier, la note de la France et de huit autres pays de la zone euro. Cet abaissement de note est a priori synonyme de taux longs plus élevés, ce qui affecte les équilibres budgétaires. Mais les taux longs français devraient faiblement remonter, les marges de manœuvre budgétaires permettent d’absorber ces hausses de coûts et les effets sur la conjoncture resteraient relativement limités.

Dégradation des notations de neuf pays de la zone euro

L’agence Standard and Poor’s a dégradé d’un cran la notation de cinq pays de la zone euro (la France, l’Autriche, Malte, la Slovaquie et la Slovénie), et de deux crans celle de quatre autres pays (l’Italie, le Portugal, l’Espagne et Chypre). Seuls quatre membres de la zone euro conservent le triple A : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande et le Luxembourg. De plus, pour tous les pays de la zone euro (sauf l’Allemagne et la Slovaquie) la note est assortie d’une perspective négative. Il ne s’agit donc pas d’une dégradation de la France, mais plutôt d’une dégradation de l’ensemble de la zone euro.

Cette dégradation s’explique principalement par les insuffisances des plans anti-crise européens : manque de cohérence et d’unité au niveau des gouvernements européens pour résoudre la crise, manque de flexibilité dans les mécanismes d’aide, plans axés autour de la rigueur budgétaire. L’accent n’est pas assez mis sur les mesures de soutien et les réformes structurelles qui permettraient de renforcer la compétitivité et la croissance potentielle. C’est pourquoi les agences de notation et les marchés craignent que ne s’installe une spirale négative dans l’ensemble de la zone euro : endettement élevé ; plans de rigueur successifs pour réduire rapidement le déficit budgétaire structurel ; net affaiblissement de la croissance ; dégradation des soldes budgétaires conjoncturels ; remontée des taux obligataires ; nécessité de mettre en place de nouvelles mesures de rigueur etc.

De plus, dans le cas de la France, l’agence souligne le haut niveau des déficits et de la dette, le poids très élevé des dépenses publiques dans le PIB (57%, plus haut niveau de la zone euro), une compétitivité prix et qualité insuffisante et des prévisions officielles de croissance trop optimistes.

Tout ceci est vrai, mais doit être tempéré par d‘autres éléments et le jugement des agences sur la France semble assez sévère.

D’abord, le ciblage des mesures d’assainissement budgétaire permet un impact limité sur l’activité et la spirale négative redoutée par les marchés a peu de chance de se mettre en place. Ainsi, il n’y a pas de hausse du taux principal de5TVA (19,6%), mais hausse du taux réduit (de 5,5% à 7%), et sur un petit nombre de produits. Les mesures fisc4ales (désindexation de l’impôt sur le revenu et de l’ISF, prélèvement libératoire accru pour les dividendes et intérêts, hausse de la CSG sur les revenus du capital, taxation accrue des plus-values immobilières…) concernent surtout les ménages les plus aisés, les revenus du capital et les patrimoin2es. Elles touchent peu les revenus moyens et modestes, qui ont la propension à consommer la plus élevée.

Ensuite, la croissance du PIB en 2012, prévue officiellement à 1%, ne devrait pas dépasser 0,2%. Mais ceci ne devrait pas remettre en cause l’objectif de déficit 2012, 4,5% du PIB. PIB. Une croissance de 0,2% (et non 1%) exigerait 8 milliards environ d’économies supplémentaires. L’État devrait recourir aux crédits budgétaires mis en réserve (6 milliards). De plus, la France dispose de marges de manœuvre importantes en matière de niches fiscales et de dépenses publiques pour opérer ces économies.

Enfin, la France a des faiblesses structurelles, mais aussi de nombreux atouts (soulignés d’ailleurs par Standard and Poor’s) : qualité des infrastructures de transport, logistique, télécommunication, santé, éducation ; qualité de la main d’œuvre et productivité horaire élevée ; entreprises performantes dans certains secteurs : aéronautique, ferroviaire, nucléaire, agroalimentaire, luxe ; taux d’épargne des ménages élevé et endettement privé non excessif, contrairement à la plupart de nos partenaires.

Impact négatif mais modéré sur l’activité

On pourrait craindre a priori une hausse de la prime de risque pour la France et une hausse du spread OAT-Bunds. Mais les marchés avaient déjà intégré ce risque depuis novembre. Leur réaction à la perte du triple A est restée modérée, avec un spread OAT-Bunds à peu près stable autour de 130 pdb sur l’ensemble de la semaine. En 2012, les taux longs français ne devraient remonter que modérément. Même s’ils montaient de 100 points de base, ceci accroîtrait la charge de la dette et donc les déficits de 2 milliards sur un an, 0,1% du PIB, ce qui reste gérable.

Il faut aussi prendre en compte le risque de dégradation du rating d’un certain nombre d’organismes publics, mais aussi d’entreprises et d’institutions de crédit. Ceci pourrait accentuer le risque de resserrement des conditions de crédit. Ce resserrement se traduirait par une plus grande sélectivité et une légère remontée des taux de crédit, qui renforcerait le freinage des dépenses d’investissement et la correction en cours du marché immobilier. La perte du triple A aura donc un impact négatif, mais assez modéré sur la croissance française.

Au total, cette dégradation de l’essentiel de la zone euro, plus que de la seule France conduira certes à des efforts, mais aussi à leur partage, impliquant notamment l’Allemagne et la BCE, et dans le cadre français, à des réformes, à discuter et à débattre : la priorité doit être plus que jamais donnée à des mesures à même de renforcer la compétitivité (prix et qualité) de l’économie française.

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