par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
• Accroître les moyens financiers des institutions de Bretton Woods (avec une enveloppe totale de 1 100 Mds USD) pour pallier l’hémorragie de capitaux en cas de crise et donner à ces pays une représentativité suffisante au sein des instances de gouvernance mondiale constituent les deux avancées importantes de ce sommet.
• Puisqu’il ne s’agit de faire de la cosmétique mais de modifier le système en profondeur, la réforme du capitalisme mondial s’inscrit dans un processus long. Et de ce point de vue, les intentions sont là mais on reste sur sa faim quant aux actions concrètes à mener.
Le G20 s’est réuni pour la deuxième fois cette année avec toujours le même double impératif : Il s’agit de s’entendre pour combattre l’une des plus graves crises économiques et financières de l’histoire contemporaine tout en s’engageant à réformer le système monétaire mondial afin d’éviter qu’un tel désastre ne se reproduise à l’avenir.
La photo de famille qui fait la une des journaux montre le visage radieux de chefs d’Etat fiers du travail accompli et à en juger par l’accueil favorable des marchés, ce sommet se solde par un succès. Notre sentiment est plus mitigé. Le menu du G20 est alléchant mais peu concluant avec une pincée de suspense, une bonne dose d’effets d’annonce, mais seulement un zeste d’avancées majeures.
La cigale et la fourmi
Sur le front des priorités économiques, une ligne de fracture existe toujours entre pays excédentaires et économes et pays déficitaires et dispendieux.
Dans la première catégorie, l’Allemagne se retrouve au banc des accusés pour ne pas partager suffisamment l’effort de relance. Il faut néanmoins se rappeler qu’il y a encore peu, l’Allemagne était érigée comme un modèle de vertu en Europe par ceux là même qui l’exhortent aujourd’hui à davantage de prodigalité. Plus fondamentalement, les systèmes de protection sociale en Europe sont déjà très généreux, avec en corollaire une forte pression fiscale. Autrement dit, il s’agit de juger l’effort budgétaire non pas exclusivement à l’aune des mesures discrétionnaires annoncées, mais aussi en tenant compte du jeu des stabilisateurs automatiques, lesquels ont un rôle crucial d’amortisseur de crise de ce côté de l’Atlantique. De ce point de vue, l’annonce choc des 5 000 Mds USD de relance mondiale est un pur effet de manches, puisqu’il s’agit peu ou prou des impulsions budgétaires déjà décidées par les pays membres du G20. Mais on notera toutefois que les effets de cycle ont été pris en compte.
On attend aussi beaucoup de la sphère émergente, en particulier de l’Asie, comme relais de croissance mondiale. Là encore, il convient de mettre en perspectives le contexte dans lequel ces pays ont opéré des choix. Il y a dix ans, la région traversait une crise qui, à bien des égards, paraît aussi dévastatrice que celle qui touche aujourd’hui les pays développés. Il faut se souvenir qu’à l’époque, la recette miracle proposée (voire imposée vu l’aspect conditionnel de l’aide financière) par le FMI était un mix de rigueur budgétaire (!!!) et de réforme bancaire sur fond d’appel à plus de transparence (!!!).
Pour se prémunir contre les mouvements de balancier de la finance et s’émanciper de la tutelle du FMI, cette région du monde s’est mise à amasser des réserves importantes de devises étrangères. A contrario, ces pays considérés comme vertueux découvrent à l’occasion de la crise qu’ils sont excessivement dépendants des largesses occidentales et doivent en conséquence repenser leur modèle de développement.
Pour permettre aux pays émergents de libérer leur potentiel de croissance, il faut leur apporter des garanties sur la pérennité des financements nécessaires à leur développement. Accroître les moyens financiers des institutions de Bretton Woods (avec une enveloppe totale de 1 100 Mds USD) pour pallier l’hémorragie de capitaux en cas de crise et donner à ces pays une représentativité suffisante au sein des instances de gouvernance mondiale (réforme souhaitée par le G20 avant 2011), pour les rendre plus crédibles à leurs yeux, étaient des préalables essentiels et constituent selon nous les avancées importantes de ce sommet.
Rome ne s’est pas faite en un jour
Puisqu’il ne s’agit pas de faire de la cosmétique mais de modifier le système en profondeur, la réforme du capitalisme mondial s’inscrit nécessairement dans un processus long.
Il est éminemment important que le système dans son ensemble se dote d’indicateurs d’alerte puisque les déséquilibres financiers naissent et enflent dans la phase euphorique du cycle financier. Pour identifier le risque systémique lorsqu’il se forme, il convient de renforcer et d’étendre la supervision à toutes les entités jugées systémiques avec des mécanismes de coordination à l’échelle internationale dans un monde de finance globalisée. Pour réduire le caractère pro-cyclique de la finance, il faut entre autres réfléchir au système de rémunérations « pousse au crime » au sein de la profession financière, à la valorisation en « mark to market » qui est un accélérateur de cycle et aux pratiques pas toujours objectives des agences de notation. Il est également nécessaire de renforcer la régulation prudentielle, notamment en augmentant le capital réglementaire des banques, pour éviter les dynamiques endogènes lorsque économie et finance interagissent mutuellement de manière délétère…
Sur ce front, le communiqué du G20 se limite toujours à de grands principes généraux. Les intentions sont clairement là mais on reste sur sa faim quant aux actions concrètes à mettre en œuvre. L’urgence n’était de toutes les façons pas là puisqu’on est dans le domaine de la prévention des crises à venir, alors que la crise actuelle sévit encore. Et de ce point de vue, les grands argentiers de la planète ont sans doute encore un peu de temps pour faire mûrir leur réflexion avant que le cycle financier ne s’emballe à nouveau…
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