par Julie Lespinas, Responsable relations clientèle professionnelle chez Richelieu Gestion
Bien que l’engouement croissant des investisseurs ne date que de quelques années, la gestion thématique existe déjà depuis plus d’un demi-siècle. En effet, en incluant les spécialisations sectorielles, nous retrouvons dès les années 80 des fonds à thématique liée à la santé ou à l’immobilier ou même à l’agro-alimentaire très facilement.
En 2002, un certain Dan Ahrens décide de lancer un fonds d’investissement nommé « ViceFund ». Ce fonds à thématique très spécifique a pour cahier des charges d’investir uniquement dans les sociétés dont l’activité est liée au tabac, aux jeux, à l’alcool, à l’armement et, de manière plus générale, à toute activité susceptible d’être considérée comme moralement incorrecte. Nous sommes donc dans une approche purement thématique mais tellement éloignée de notre sacro-saint ISR.
En attendant God’Eau…
En 2017, la thématique liée à l’environnement a représenté plus de 81% des souscriptions des fonds thématiques, selon Novethic. Plus particulièrement, la thématique de l’eau a été largement plébiscitée durant les années 2010. Les fonds de cette thématique représentent aujourd’hui plus de 10 milliards d’€uros d’encours.
Après l’or noir, l’or bleu semble une thématique plutôt performante et porteuse, si l’on en croit les performances annualisées des principaux fonds « eau » depuis leur lancement, du fait notamment des besoins grandissants en eau potable et du réchauffe- ment climatique, cause de sécheresse.
Autrement dit, une vision logique expli- querait cette performance : on estime la perte de l’eau acheminée à plus de 50% dans certaines villes Européennes, due à l’état vétuste des réseaux de distribution. Reste à se demander si tenter d’optimiser son investissement en misant sur la pénurie d’eau potable ou la facturation d’un besoin ultra-primaire peut réellement être consi- déré comme éthique. Le débat reste ouvert d’autant que ces fonds peinent à battre un indice international du type MSCI Utilities !
Anathème : vers une « métastasie » de la gestion thématique ?
Il faut distinguer les véritables tendances structurelles de croissance des opportunités conjoncturelles. Une thématique « viable » dans la durée doit évidemment privilégier une croissance supérieure à la croissance moyenne attendue. Nous assistons depuis plus de 3 ans à une explosion de l’offre. Les géants de la gestion proposent désormais plusieurs dizaines d’expertises thématiques et créent même des départements entiers consacrés à ces « focus trends ». L’offre devient donc de plus en plus abondante, avec un foisonnement des thématiques et des terminologies de plus en plus anglo- saxonnes…
Comment l’investisseur est-il capable de distinguer une thématique « big data », d’une « artificial intelligence », « robotics », ou « digital economy » …
Erythème
La quête de story-telling semble plutôt le réel point commun de beaucoup de ces gestions. La technique est aujourd'hui bien identifiée et théorisée : on fabrique un procédé narratif dans lequel l’émotion suscitée rend plus réceptif. En captant d’abord l’attention, on stimule le désir puis les arguments raisonnés emportent l’adhésion.
La vraie question serait plutôt : comment la gestion thématique peut-elle être source d’Alpha malgré ses contraintes d’investissement? Cette surperformance se fera-t-elle sans transfert de risque spécifique sur l’épargnant ?
Le premier avantage de cette bulle thématique est de s’exonérer des comparatifs, il est ainsi plus facile d’expliquer sa perfor- mance en s’absentant des classements puisque cette gestion est sensée dépasser la gestion sectorielle qui permettait les comparables.
La concentration ainsi générée transfère le risque sur l’investisseur qui doit ainsi traiter sa multithématique lui-même pour ne pas déséquilibrer son allocation.
Crise en Thèmes ?
N’oublions pas également le passage des comètes des années 2000, les fonds « tech telecom » qui s’associaient au développement du téléphone portable ont été incapables de dissocier Alcatel, Blackberry et Nokia de Apple. N’oublions pas non plus les fonds « performance et environnement » dont la société qui les promouvait a tout bonnement disparu…
La gestion thématique permet d’appréhender une entreprise par un autre prisme que celui purement géographique, sectoriel ou fondamental. Cela devient une nécessité dans un monde de plus en plus complexe et interdépendant. Cependant, elle doit être avant tout une conviction et entrer dans une réflexion en terme d’allocation d’actifs globale et de gestion des risques pour accompagner l’investisseur dans sa construction de portefeuille en évitant les effets de mode néfaste à la création de valeur.
Allocations en Thèmes deviendront-elles l’alternative à la pression indicielle ?