Grèce et Portugal : pas d’état de grâce après les élections

par Philippe Sabuco, économiste chez BNP Paribas

Les Portugais et les Grecs ont récemment élu leur nouveau parlement. Au Portugal, le parti socialiste du Premier ministre José Socratès est arrivé en tête avec 36,6% des voix, perdant ainsi la majorité absolue. En Grèce, le parti socialiste de Georges Papandréou a largement remporté les élections anticipées avec 43,9% des voix, obtenant ainsi la majorité absolue en termes de sièges.

 Afin de limiter la contraction de l’activité, les deux pays – qui se distinguent par l’ampleur et la durée de la crise – ont décidé de poursuivre des politiques de relance par l’investissement et la dépense publique. Mais leurs marges de manœuvre budgétaires sont limitées par la détérioration très rapide des finances publiques. 

Des réformes de structures paraissent nécessaires pour améliorer la croissance de l’économie, tant à long terme qu’à court terme. La Grèce et le Portugal devront, en priorité, engager des réformes budgétaires structurelles afin d’assainir leurs finances publiques et améliorer l’éducation et la formation pour valoriser le capital humain.

Les Portugais et les Grecs ont été appelés aux urnes, à une semaine d’intervalle – respectivement le 27 septembre et le 4 octobre – pour élire leur nouveau parlement. Au Portugal, le parti socialiste du Premier ministre sortant José Socratès est arrivé en tête des élections législatives avec 36,6% des voix, perdant ainsi la majorité absolue. Il dispose désormais de 96 sièges sur 230, au lieu de 121 sous la précédente législature. A l’heure actuelle, aucune alliance n’est envisagée. Le gouvernement pourrait donc rester minoritaire à l’Assemblée générale et négocier des accords au cas par cas.

En Grèce, le Pasok (parti socialiste grec) dirigé par Georges Papandréou a largement remporté les élections législatives anticipées avec 43,9% des voix, obtenant ainsi la majorité absolue avec 160 sièges sur 300 (contre 102 sous la précédente législature), reléguant dans l’opposition la Nouvelle Démocratie, le parti de centre-droit du Premier ministre sortant Costas Caramanlis. Même si les dynamiques politiques sont radicalement différentes (reconduction versus alternance, majorité relative versus majorité absolue), aucun des deux nouveaux gouvernements ne devrait bénéficier d’un état de grâce. Dans le contexte de crise actuel, l’économie semble une priorité pour les deux gouvernements. A court terme, le Portugal et la Grèce – tous deux touchés par la crise économique mondiale – devront prioritairement s’attacher à limiter le repli de l’activité, l’augmentation du taux de chômage et la détérioration des finances publiques. Les deux pays se distinguent, néanmoins, par l’ampleur et la durée de la récession.

Nous attendons une contraction de l’activité plus forte et plus longue au Portugal, où le PIB devrait se replier de 3,2% en 2009, contre une baisse de 1,5% pour la Grèce. En 2010, la Grèce pourrait renouer avec la croissance (+0,5% de progression du PIB), alors que le PIB portugais devrait poursuivre son repli (-0,6%). En complément des politiques conjoncturelles, des réformes de structures sont nécessaires. La Grèce et le Portugal devront prioritairement engager des réformes budgétaires structurelles afin d’assainir leurs finances publiques. Ils devront également améliorer l’éducation et la formation pour valoriser le capital humain. Ces réformes devraient permettre au Portugal et à la Grèce d’accroître leur croissance potentielle.

De l’utilité des politiques conjoncturelles pour limiter l’ampleur de la crise

Depuis le début des années 2000, le taux de croissance annuel moyen du PIB s’est élevé à près de 4,0% pour la Grèce, contre seulement 1,0% pour le Portugal. La crise n’a pas remis en cause cette hiérarchie. En 2008, le PIB portugais est resté stable tandis que le PIB grec a progressé de 2,9%. La crise économique internationale a d’abord frappé le Portugal, avant de toucher la Grèce. Au troisième trimestre 2008, le Portugal a enregistré sa première contraction du PIB (-0,5% t/t). En revanche, ce n’est qu’au premier trimestre 2009 que le PIB grec a enregistré sa première baisse (-1,2% t/t). Le Portugal et la Grèce devraient, tous deux, enregistrer une contraction du PIB en 2009.

Toutefois, l’ampleur et l’intensité de la crise devraient très largement différer.

Une récession profonde et durable au Portugal

Au deuxième trimestre, le PIB portugais a progressé de 0,4% t/t, après trois baisses trimestrielles consécutives. Ce rebond – à la différence de celui également observé dans plusieurs pays de la zone euro (France, Allemagne notamment) – n’est pas synonyme de reprise pour l’économie portugaise. En dépit d’une baisse marquée des prix (-1,2% en g.a. en août), la consommation privée devrait rester durablement faible. Elle sera notamment pénalisée par la hausse du taux de chômage, qui pourrait dépasser 11,0% en 2010, après 9,5% en 2009 et 7,6% en 2008. La décélération du crédit – liée à une baisse conjointe de l’offre et de la demande – devrait également affecter la consommation privée. Dans ce contexte, l’indice de confiance des ménages publié par la Commission européenne – qui s’est nettement redressé depuis février (de -54 à -30 en septembre) – pourrait demeurer en dessous de sa moyenne de long terme (-22).

En 2010, la consommation privée pourrait, ainsi, baisser d’environ 1,0%, après un repli de près de 2,0% en 2009. Compte tenu du faible taux d’utilisation des capacités de production (71,5% en septembre), des piètres perspectives de demande et de profits, et du niveau très faible de la confiance des chefs d’entreprise, la forte contraction de l’investissement productif devrait se poursuivre au cours des prochains trimestres. Celui-ci pourrait baisser de près de 9,0% en 2010, après une chute de près de 19,0% en 2009. Sur le front extérieur, le Portugal a particulièrement souffert du ralentissement du commerce mondial, notamment de son principal partenaire commercial, l’Espagne (qui absorbe près de 25% des exportations portugaises). L’amélioration attendue du commerce international devrait toutefois permettre une baisse des exportations moins rapide que celle des importations. La contribution du commerce extérieur pourrait donc être positive.

Une politique de relance par l’investissement public

Afin de limiter la contraction de l’activité, le gouvernement du Premier ministre José Socratès souhaite poursuivre une politique de relance par l’investissement public. Il prévoit notamment la création de deux nouvelles lignes de train à grande vitesse à destination de l’Espagne : l’une reliant Porto à Vigo en 2013 et l’autre Lisbonne à Madrid en 2015. Un nouvel aéroport international devrait également être construit dans la banlieue de Lisbonne.

Enfin, le gouvernement entend faire du Portugal un leader européen des énergies renouvelables en doublant d’ici à 2020 la quantité d’énergie électrique d’origine renouvelable. Cette stratégie permettrait au Portugal de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, tout en diminuant sa dépendance énergétique. D’autres mesures touchant aux infrastructures sont également envisagées (réhabilitation d’écoles et de bâtiments publics notamment). Le gouvernement devrait, par ailleurs, maintenir les mesures de soutien en faveur de l’emploi (réduction des charges sociales versées par les entreprises pour les salariés de plus de 45 ans, création de 12 000 stages rémunérés pour les étudiants en fin de cursus), de l’industrie (automobile et textile notamment) et des petites et moyennes entreprises (lignes de crédit pour aider les petites et moyennes entreprises à exporter). Ces mesures discrétionnaires, conjuguées au jeu des stabilisateurs automatiques, devraient conduire le déficit public autour de 7,0% du PIB en 2009 et 2010, après -2,6% en 2008. Compte tenu de la détérioration rapide de ses finances publiques, le Portugal est désormais sous le coup d’une procédure pour déficit excessif, adoptée le 7 octobre dernier par la Commission européenne.

Une crise moins profonde et moins longue en Grèce

Techniquement, la Grèce a échappé à la récession (i.e. deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). Au deuxième trimestre 2009, le PIB grec a progressé de 0,2% t/t, après une baisse de 1,2% au premier trimestre. Ce rebond – plus élevé qu’attendu – est largement imputable à la contribution positive du commerce extérieur, liée au net recul des importations. En moyenne annuelle, le taux de croissance du PIB pourrait être positif dès 2010 (+0,5%), après un recul de 1,5% en 2009. La consommation privée devrait toutefois continuer de baisser au cours des prochains trimestres, affectée par la hausse et le niveau élevé du taux de chômage qui pourrait atteindre 10,1% en 2010, après 9,6% en 2009. Le ralentissement du crédit devrait également pénaliser la consommation des ménages : les banques grecques, très exposées aux pays du sud-est de l’Europe (Turquie, Roumanie, Bulgarie notamment) pourraient, en effet, réduire leur offre de crédit.

Néanmoins, la confiance des ménages – qui s’est nettement redressée depuis l’hiver dernier (de -56 en mars à -39 en septembre) – s’est rapprochée de sa moyenne de long terme (-32). Cette amélioration graduelle pourrait se poursuivre au cours des prochains trimestres. La consommation privée pourrait ainsi légèrement progresser en 2010 (+0,3%), après une baisse de 1,3% en 2009. De son côté, l’investissement devrait particulièrement souffrir de la détérioration de la conjoncture et du ralentissement de l’offre de crédit. Les entreprises devraient très probablement ajourner leurs plans d’investissement et les ménages retarder leurs achats de logements. L’investissement total pourrait ainsi baisser de plus de 17,0% en 2009 et de plus de 5,0% en 2010. Profitant d’une amélioration du commerce international, la Grèce devrait voir ses exportations diminuer moins vite que ses importations.

Un plan de relance d’un montant de 4 milliards d’euros

Malgré la situation très dégradée des finances publiques, le nouveau gouvernement a annoncé un plan de relance d’un montant de 4 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros consacré à la réalisation de grands travaux. Pour stimuler la consommation privée, le plan comprend une augmentation de salaire supérieure à l’inflation pour les fonctionnaires, une prime pour les bas salaires et une plus forte redistributivité de l’impôt sur le revenu visant à accroître les revenus de transferts. En outre, le montant des allocations chômage devrait passer de 55% à 70% du salaire minimum. Pour encourager l’investissement, le gouvernement prévoit de consacrer au moins 4% du PIB à l’investissement public, de réduire l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis et d’aider le financement des entreprises via des lignes de crédits et la garantie de l’Etat. Parallèlement, le gouvernement envisage d’augmenter certains impôts (comme l’impôt sur le patrimoine et les plus-values par exemple) et de supprimer certaines niches fiscales pour alléger le coût des précédentes mesures. Déjà sous le coup d’une procédure pour déficit excessif (procédure adoptée en avril dernier), la Grèce devrait voir ses comptes publics continuer de se dégrader. En 2009, le déficit pourrait atteindre près de 8,0% du PIB, contre 5,0% en 2008. Des réformes budgétaires structurelles seront donc impératives pour assainir les finances publiques.

De la nécessité d’engager des réformes de structure pour renouer avec la croissance

Les marges de manœuvre budgétaires sont limitées par les déficits excessifs et le poids de la dette publique (particulièrement en Grèce, où elle dépasse 100% du PIB).

L’assainissement des finances publiques est donc impératif pour rassurer les marchés et limiter le service de la dette1. En effet, la montée des risques a conduit à une hausse des marges sur les taux d’intérêt souverains – qui restent élevés, en dépit d’une modération récente – alourdissant ainsi le service de la dette. Par ailleurs, dans un contexte de concurrence internationale, d’autres mesures structurelles nous semblent indispensables. Il conviendrait notamment de renforcer l’éducation et la formation afin d’augmenter la productivité du travail et valoriser le capital humain.

Finances publiques : un défi majeur pour la Grèce

La détérioration de l’activité s’est traduite par une baisse mécanique des recettes fiscales (impôt sur le revenu et les sociétés, TVA par exemple) et une augmentation des transferts sociaux. En outre, des mesures discrétionnaires (cf. supra) sont venues s’ajouter au jeu des stabilisateurs automatiques, accentuant ainsi le déficit. A eux seuls, ces éléments ne permettent pas d’expliquer le déficit persistant de ces deux pays.

  • Grèce : priorité aux réformes budgétaires structurelles Les dérapages budgétaires successifs ont conduit la dette publique grecque au-delà de 100% du PIB. Le premier défi du gouvernement sera donc d’assainir les finances publiques. Il devra pour cela améliorer le recouvrement de l’impôt. En Grèce, l’économie souterraine est estimée à près de 25% du PIB. Par conséquent, un certain nombre de revenus (notamment les travailleurs indépendants) échappent à l’imposition, contribuant ainsi à diminuer les recettes fiscales. D’autres éléments permettent d’expliquer la faiblesse des recettes fiscales : déficience de l’administration fiscale, système d’imposition complexe et amnisties fiscales trop fréquentes. La maîtrise des dépenses – notamment des dépenses en personnel – sera également un élément important de l’assainissement budgétaire. Compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation du ratio de dépendance, la réforme du système des retraites devra être poursuivie. En l’absence d’une profonde réforme du système des retraites, l’OCDE estime que le coût des pensions devrait dépasser plus de 20% du PIB d’ici à 2050. Il est donc urgent d’engager des réformes pour crédibiliser la politique budgétaire et limiter les réactions négatives des marchés. En effet, la détérioration des finances publiques s’est déjà traduite par une plus grande vigilance des marchés à l’égard des titres d’Etat grecs. Les investisseurs ont demandé – et devraient continuer d’exiger – des rendements plus élevés que par le passé sur les titres d’Etat. A terme, le spread entre les titres d’Etat grec (10 ans) et le Bund allemand pourrait à nouveau augmenter, reflétant ainsi la perception d’un risque relatif plus aigu ; ce qui entraînerait une augmentation du coût du service de la dette (qui a représenté plus de 5% du PIB en 2008).
  • Portugal : poursuivre les efforts entrepris avant la crise De 2005 à 2008, la situation budgétaire portugaise s’est très nettement améliorée. Grâce à une plus grande maîtrise des dépenses courantes et un meilleur recouvrement de l’impôt, le déficit est passé de 6,1% à 2,6% du PIB. Les dépenses de personnel ont été limitées grâce notamment à un système de redéploiement des fonctionnaires. En outre, la réforme des retraites a permis de rationaliser et de pérenniser – pour un temps seulement – le dispositif existant. Mais la crise financière internationale a mis fin au processus de consolidation budgétaire observé depuis 2005. 

En 2009, le déficit public pourrait atteindre près de 7,0% du PIB, après -2,6% en 2008. Ici encore, le jeu des stabilisateurs automatiques, conjugué aux différentes mesures de relance du gouvernement, a entraîné une forte détérioration des finances publiques. Dans ce contexte, le gouvernement – politiquement faible – a décidé de limiter la contraction de l’activité en renforçant l’investissement public et pourrait remettre à plus tard la poursuite des efforts de consolidation budgétaire. Pourtant, certaines réformes doivent être amplifiées (système de retraites, gestion des ressources humaines dans la fonction publique…) et d’autres mises en œuvre (système de santé, entreprises publiques…). La dette publique, qui s’élève déjà à près de 75% du PIB en 2009, devrait encore progresser au cours des prochaines années. Cela pourrait se traduire par une hausse des rendements sur les titres d’Etat de maturité 10 ans. La situation des finances publiques portugaises semble moins préoccupante que celle de la Grèce, mais les marges de manœuvre restent minces (contraction du PIB jusqu’en 2010, croissance molle à partir de 2011, contexte politique difficile, taux de chômage en hausse…). Il conviendra donc de poursuivre les efforts déjà engagés sur la voie de l’assainissement budgétaire.

Education et formation : les mauvais élèves de la classe

Malgré une situation très dégradée des finances publiques, des ressources doivent être consacrées à l’éducation et à la formation pour valoriser le capital humain. De manière générale, l’efficacité des systèmes éducatifs grec et portugais reste faible, relativement aux systèmes éducatifs des principaux pays de l’OCDE. D’après le classement PISA – qui mesure les capacités des élèves âgés de 15 ans en mathématiques, lecture et sciences – le Portugal et la Grèce sont nettement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. En outre, le bénéfice d’une formation longue ne semble pas évident pour les jeunes et leur entourage familial. Au Portugal notamment, plus de 35% des enfants âgés de 18 à 24 ans ont quitté le système scolaire, contre 15% en Grèce et seulement 5% pour la Norvège par exemple. Par conséquent, le taux de chômage des jeunes est particulièrement élevé en Grèce (plus de 20%) et au Portugal (plus de 15%) ; ces derniers ne bénéficiant pas d’une formation adaptée aux exigences du marché du travail. 

  • Portugal : lutter contre l’abandon scolaire et préparer à la vie post-scolaire Le taux d’abandon scolaire particulièrement élevé au Portugal ne permet pas d’accroître la main-d’œuvre qualifiée ; ce qui contribue, notamment, à maintenir la productivité du travail à un niveau relativement faible. Dans un premier temps, le gouvernement devra poursuivre les réformes engagées dans l’enseignement technique et professionnel, afin que la formation dispensée facilite l’insertion sur le marché du travail en recherchant une plus grande adéquation entre l’offre et la demande de travail. A terme, le gouvernement devra mettre l’accent sur l’enseignement supérieur pour accroître le volume de main-d’œuvre qualifiée et préparer la transition vers une économie à plus forte valeur ajoutée.
  • Grèce : des ressources pour scolariser la petite enfance En Grèce, le taux de fréquentation des services d’accueil de la petite enfance est particulièrement faible : moins de 10%, contre plus de 20% en moyenne pour les pays de l’OCDE. Or, les moyens alloués à l’éducation pré-primaires (maternelle) sont ceux qui offrent le rendement le plus élevé. Ils permettent, en effet, d’accroître de manière substantielle le capital cognitif des enfants, facilitant ainsi la poursuite de leur scolarité en développant leurs facultés d’apprentissage. Des moyens devront donc être mis en œuvre pour répondre à cette exigence. De manière générale, la part des dépenses publiques et privées consacrées à l’éducation est beaucoup trop faible en Grèce puisqu’elle représente 4,2% du PIB, contre 5,6% au Portugal et 5,8% en moyenne pour les pays de l’OCDE. Le gouvernement devra donc fournir un effort supplémentaire pour valoriser le capital humain et augmenter la productivité du travail.

NOTES

  1. Ensemble des dépenses de l’Etat consacrées au remboursement des intérêts de sa dette.

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