Grèce : la reprise en question

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

• L’économie grecque devrait avoir renoué avec la croissance au troisième trimestre, notamment grâce au dynamisme du tourisme.

• Toutefois, le ralentissement observé en zone euro et en Turquie, devrait affaiblir cette reprise naissante. Avec une demande intérieure toujours en berne, la croissance ne peut venir que de l’extérieur.

• Surtout, l’incertitude politique est en hausse. La tenue d’élections anticipées au printemps prochain est désormais très probable.

Alors que depuis fin 2013 la situation économique et budgétaire de la Grèce s’améliorait de façon marquée, la dégradation de l’environnement extérieur et le tumulte politique intérieur viennent assombrir l’horizon. La possible tenue d’élections anticipées en mars 2015 et leur issue incertaine fait peser un risque sur la reprise. Déjà en campagne, le gouvernement a récemment déclaré vouloir sortir précocement du programme d’aide international1 avant de rétropédaler face à la violente réaction des marchés. Le 16 octobre les taux à 10 ans grecs atteignaient 9% contre moins de 6% cet été. Depuis cet épisode de stress2, l’annonce de négociations pour un programme européen de précaution et les mesures de soutien aux banques grecques prises par la BCE ont permis de détendre quelque peu les taux. Reste qu’après plusieurs mois d’amélioration qui ont vu le gouvernement réémettre de la dette sur les marchés et les prévisionnistes s’accorder sur une reprise imminente, la situation se détériore à nouveau. Nous anticipons toujours un rebond de l’activité cette année mais les incertitudes politiques pourraient en réduire la vigueur, voire remettre en cause sa viabilité.

Le schéma de la reprise…

L’économie grecque se porte mieux. Elle est sur le point de renouer avec la croissance, après six années de contraction et une perte cumulée d’activité de 25%. Au troisième trimestre 2014, nous prévoyons une hausse du PIB, en glissement annuel, pour la première fois depuis le T2 2008.

Le signe le plus évident de cette amélioration est à voir du côté du marché du travail3. Au T2, l’emploi augmentait de 2,2% t/t (56,7k postes créés), une hausse qui, couplée au repli de la population active, a permis de faire refluer le taux de chômage pour le troisième trimestre consécutif, désormais à 26,9%.

Des créations de postes ont été enregistrées dans les secteurs bénéficiant d’une demande extérieure soutenue. Celui du « commerce, transport, hébergement et activités de restauration », dynamisé par une saison touristique record, représentait le gros des créations nettes d’emplois (près de 70%) même si une partie de ces embauches est temporaire par nature. L’emploi dans l’industrie se redressait également (+16k), de même que dans les activités scientifiques et techniques (+18,4k) et, dans une moindre mesure, la construction (+8,5k). En bref, le schéma de la reprise en périphérie de la zone euro, par lequel les secteurs exportateurs génèrent de l’activité et des emplois qui a leur tour alimentent une reprise plus auto-entretenue, se dessine en Grèce.

…remis en cause par le ralentissement extérieur…

L’impulsion fournie par le commerce extérieur pourrait néanmoins faiblir, les principaux partenaires commerciaux de la Grèce (Turquie, Italie, Allemagne) montrant des signes de ralentissement.

Les données de commerce extérieur d’août 2014 indiquent toujours une progression robuste des exportations. Celle-ci masque toutefois des tendances divergentes entre exportations de biens et exportations de services. Les ventes de services à l’étranger (55% des exportations totales en 2013) sont en forte hausse, dopées par la saison touristique qui touche à sa fin. A l’inverse, les ventes de marchandises se tassent. Parmi elles, les exportations de fioul (35% des exportations de marchandises, 16% des exportations totales), reculent, particulièrement affectées par le ralentissement des importations turques. Ces dernières absorbaient 20% des ventes de pétrole raffiné grec à l’étranger en 2013.

L’étroitesse de la base d’exportation (les exportations représentent 28% du PIB), la faible diversification (tourisme et pétrole raffiné en représentent les 2/3) supposent une demande externe très dynamique pour compenser le repli toujours en cours de la demande intérieure. La dégradation de l’environnement extérieur pourrait, en ce sens, réduire la croissance attendue cette année, et surtout, l’an prochain, faute d’élan.

Cette inquiétude se traduit dans les résultats des enquêtes de confiance, après un redressement marqué amorcé à l’été 2014 : l’indice du climat des affaires de la Commission Européenne s’était inscrit au-dessus de sa moyenne de long-terme en juin, pour la première fois depuis six ans. Depuis, trois mois consécutifs de forte baisse l’ont fait repasser en deçà.

…et l’instabilité politique

Aux inquiétudes sur l’environnement externe s’ajoutent celles, peut- être plus fortes encore, sur l’avenir politique du pays. La coalition au pouvoir, Nouvelle Démocratie-PASOK, a vu sa majorité s’éroder au fil des mois depuis sa victoire aux élections générales de juin 2012. Associé, au départ, au parti de centre-gauche DIMAR, le gouvernement disposait de 179 députés dans un parlement comptant 300 sièges. Aujourd’hui – sans DIMAR donc – et après plusieurs défections, aussi bien de la ND que du PASOK, il en compte 155, soit suffisamment pour gouverner4 mais pas assez pour faire élire un nouveau Président de la République en début d’année prochaine.

Des élections présidentielles auront en effet lieu en février 2015. Il s’agit d’un suffrage indirect, c’est-à-dire d’un vote des parlementaires, au cours duquel un candidat, choisi par le gouvernement, est élu Président s’il obtient une majorité qualifiée des deux tiers (200 voix). Deux tours sont possibles. Si aucune majorité n’est obtenue au bout de ces deux tours, un troisième tour est organisé dans lequel le vote favorable des trois cinquièmes de l’assemblée est requis (180 voix).

Faute de majorité à l’issue des trois suffrages, le Parlement grec est dissout et de nouvelles élections générales sont organisées dans un délai de 30 jours.

La question est donc de savoir si le gouvernement saura trouver hors de ses rangs les 25 députés nécessaires à l’élection du nouveau Président de la République. A priori, aucun des parlementaires de la gauche radicale Syriza (71 députés), du parti néo-nazi Aube dorée (16 députés), du parti de droite nationaliste ANEL (13 députés) et du parti communiste KKE (12 voix) n’accorderont leur voix au candidat de la majorité. Restent les députés de DIMAR (10 députés) et les indépendants (23 députés) qui, ensemble, feraient basculer le vote. L’exercice s’annonce néanmoins difficile pour la majorité. Les députés de DIMAR, qui faisaient originellement partie du gouvernement à l’issue des élections de juin 2012, l’ont quitté un an plus tard, en désaccord sur la politique menée. Certes, ces derniers pourraient vouloir éviter des élections anticipées, les sondages indiquant qu’ils pourraient perdre tout ou presque de leur présence à l’assemblée, mais les récentes déclarations font plutôt état de velléités de rapprochement avec le parti de la gauche radicale, Syriza, force politique montante, confortablement en tête dans les sondages.

Le vote de confiance du 10 octobre illustre bien les difficultés du gouvernement à ratisser large en dépit de la volonté affichée (et démentie suite à la violente réaction des marchés) de sortir du programme d’aide plus tôt que prévu. La coalition a fait montre de sa capacité à resserrer les rangs – les 155 députés ND-PASOK ont voté la confiance – mais n’a pas su obtenir de voix supplémentaire. La tenue d’élections générales au printemps prochain est aujourd’hui l’issue la plus probable.

Un gouvernement mené par Syriza ?

Si de nouvelles élections avaient lieu aujourd’hui, Syriza arriverait probablement en tête des suffrages. La popularité du parti de la gauche radicale est en hausse, creusant son avance sur la Nouvelle Démocratie.

La semaine dernière un sondage créditait Syriza de 26,7% des votes, devant la Nouvelle Démocratie (20,2%) les centristes de To potami (6%), l’Aube dorée (5,7%), le Parti communiste KKE (5,7%), le PASOK (4%).

Les 300 députés grecs sont élus via un mode de scrutin proportionnel renforcé qui attribue 50 sièges au parti arrivant en tête des suffrages. Les 250 sièges restants sont répartis à la proportionnelle entre les partis ayant obtenu au moins 3% des votes. La prime au vainqueur permet à un parti d’obtenir une majorité absolue avec moins de la moitié des suffrages, à condition toutefois d’en obtenir au moins 39%. En supposant que les derniers sondages reflètent la distribution des votes lors des prochaines élections générales5, Syriza serait loin de la majorité absolue, mais en position de négocier des alliances pour former un nouveau gouvernement dont il aurait la tête.

Se profile donc la question de la ligne politique d’un gouvernement mené par Syriza. Ce dernier plaide aujourd’hui pour l’effacement d’une partie de la dette publique, l’indexation des remboursements restants sur les performances de l’économie, une réorientation complète de la politique budgétaire avec des mesures de relance de l’activité, notamment. Bien que l’attachement à l’euro soit affirmé, il s’agit de toute évidence d’une politique de rupture, dont il est difficile d’évaluer la faisabilité.

75% de la dette publique grecque est aujourd’hui aux mains de créanciers officiels (états membres de la zone euro, EFSF, FMI) qui excluent catégoriquement toute perte en capital. De nouveaux aménagements de dette (sous forme d’extension de maturité principalement) sont actuellement en discussion mais ils ne seront pas octroyés sans contreparties en termes de réformes. Par ailleurs, les investisseurs restent très nerveux à l’idée de voir la Grèce se soustraire à la supervision de la Troïka (Commission Européenne, BCE, FMI) comme l’a montrée la forte hausse des taux à l’annonce d’une sortie prématurée du programme d’aide ces dernières semaines. Une approche frontale vis-à-vis des créanciers officiels risquerait d’accroître la défiance des marchés et de réduire le concours des investisseurs étrangers à l’économie grecque, pourtant indispensable à la reprise et donc à la réussite du prochain gouvernement.

Le prix de l’incertitude

Aussi, une autre possibilité est que l’exercice du pouvoir force le recentrage de Syriza et la poursuite d’une politique globalement similaire à celle du gouvernement en place, c’est-à-dire une politique de rigueur, appelée à s’assouplir avec le retour de la croissance. Néanmoins, l’incertitude quant à l’avenir politique du pays pourrait compromettre la reprise, déjà fragilisée par la langueur extérieure. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les enquêtes de confiance sont orientées à la baisse depuis trois mois. S’il s’agit d’un mouvement général en zone euro, les craintes politiques propres à la Grèce entrent aussi en jeu.

Un des facteurs qui soutenait la confiance dans l’économie grecque était la perspective de nouveaux allégements de dettes accordés par les créanciers officiels, une perspective rendue plus crédible depuis la réalisation d’un excédent budgétaire primaire l’an passé (0,8% du PIB). Mais l’incertitude politique grandissante ne favorise pas les négociations, qui pourraient être reportées.

Le spectre de nouvelles élections réduit les capacités d’engagement du gouvernement, ce qui pourrait également compromettre ses chances d’obtenir une ligne de précaution, l’option désormais envisagée suite à la réaction d’hostilité des marchés à l’annonce d’une sortie prématurée du programme de la Troïka. En définitive, instabilité politique et affaiblissement de l’économie semblent s’autoalimenter dans un cercle vicieux susceptible de remettre en cause la reprise naissante et de faire à nouveau chuter le prix des actifs grecs.

NOTES

  1. Et ainsi se passer des prêts restants du FMI pour 2015-2016 (EUR 12,5mds).
  2. Qui n’a pas touché que la Grèce. Les séances des 15 et 16 octobre ont été marquées par de violents mouvements à la baisse (actions, matières premières) ou à la hausse (or, CHF, bons du Trésor américain) et un retour de la volatilité.
  3. Il s’agit aussi d’une réalité statistique : alors que les comptes nationaux ne sont plus corrigés des variations saisonnières depuis 2011, les données de l’emploi le sont, ce qui permet les comparaisons d’un trimestre sur l’autre.
  4. Le gouvernement a remporté un vote de confiance le 10 octobre.
  5. Rappelons que les sondages avaient surestimé la vctoire de Syriza aux élections européenne de mai 2014.

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