Grèce : sans restructuration, pas de stabilité

par Léopold Jouven, économiste au Crédit Agricole

•  Fort de sa victoire, Alexis Tsipras devrait avoir le champ libre pour mettre en œuvre les réformes prévues par le nouveau programme d’aide d’ici la fin de l’année 2015.

•  Son principal objectif est de réussir le premier examen de ces mesures, qui aura lieu avant la fin de l’année, afin de permettre l’ouverture des négociations sur un éventuel allègement de la dette publique grecque.

•  Cependant, si la stabilité politique semble acquise à court terme, de nouvelles tensions sont à prévoir au vu de la forte abstention, de la hausse du vote anti- mémorandum et des nombreuses mesures impopulaires prévues par le programme.

•  Alexis Tsipras devra obtenir l’allègement le plus favorable possible pour compenser les premiers effets de l’austérité, que son électorat devrait sentir l’année prochaine.

•  Le refus des créanciers européens d’envisager une restructuration significative nécessaire à la sortie de crise grecque pourrait mener à la non-participation du FMI au 3e programme et provoquer de nouvelles tensions.

La victoire de Tsipras garantit la stabilité politique à moyen terme

S’il n’a pas réussi son pari d’obtenir la majorité absolue, le Premier ministre sortant Alexis Tsipras a néanmoins fait bien plus que se maintenir à son poste. Avec 35,5% des votes exprimés aux élections législatives anticipées du 20 septembre dernier, son parti Syriza (gauche) ne recule finalement que de 0,8 point par rapport aux dernières élections anticipées de janvier 2015, ne perdant seulement que 4 sièges. De plus, la véritable surprise est venue de son ancien partenaire minoritaire de coalition ANEL (Grecs indépendants, droite nationaliste), qui se maintient au Parlement, en dépassant la barre des 3%, lui conférant 10 sièges contre 13 précédemment. Dès la diffusion des résultats partiels, les représentants des deux partis ont donc annoncé leur volonté de reformer leur coalition bipartite, qui s’appuiera sur une majorité de 155 sièges sur 300, contre 162 en janvier.

Si nous estimions que le scénario le plus favorable restait l’obtention d’une majorité absolue par l’un des deux partis donnés au coude à coude dans les sondages (Syriza et le parti conservateur Nouvelle démocratie, ND), ce résultat constitue cependant l’un des scénarii de coalition les plus favorables, les autres coalitions envisagées étant plus larges et donc plus friables politiquement. De plus, il évite un retour dans l’opposition du parti de gauche et offre un mandat clair à l’équipe gouvernementale qui a signé le 20 août dernier le mémorandum d’entente pour un 3e programme d’aide européen. Sans les dissidents de la Plateforme de Gauche, cette nouvelle coalition Syriza-ANEL aura donc la capacité politique pour appliquer les réformes conditionnelles au versement de l’aide et pourra de surcroît s’appuyer sur une large part de l’opposition ayant soutenu le mémorandum. Réunissant 103 députés, les deux partis traditionnels ND (75 sièges) et Pasok (centre- gauche, 17 sièges) ainsi que le parti To Potami (11 sièges, centre), forment avec Syriza-ANEL une majorité pro-mémorandum dotée de 86% des sièges, et c’est sans compter les 9 représentants de l’Union des Centristes (EK), dont le représentant a déclaré vouloir soutenir le gouvernement dans certaines de ses réformes.

Le morcellement du paysage politique et la faible participation traduisent le désarroi des Grecs

L’entrée au Parlement de ce dernier parti, 23 ans après sa fondation et autant de tentatives infructueuses, est symptomatique du désarroi des électeurs grecs, qui viennent d’élire, avec 8 partis représentés, la Chambre la plus morcelée politiquement depuis le retour de la démocratie en 1974. Et ce, malgré la polarisation autour du rejet ou non du mémorandum.

De ce point de vue, l’objectif de réduire la représentation des anti-mémorandums est atteint, celle-ci chutant à 33 sièges contre 57 sièges, en comptant les ex-dissidents de Syriza réunis aujourd’hui au sein du nouveau parti Unité populaire (LAE). Réunissant seulement 2,9% des voix, l’échec de LAE à entrer au Parlement sous- évalue le vote anti-mémorandum : alors que celui- ci est au même niveau (15,5% des voix) que lors des élections de mai 2012 – qui n’avaient d’ailleurs pas permis la formation d’une coalition –, il se retrouve relativement sous-représenté avec seulement 33 sièges. Les 2,9% des voix de LAE viennent ainsi s’ajouter aux électorats stables d’Aube dorée (XA, 7%) et du Parti communiste (KKE, 5,6%), qui s’affirment à nouveau comme les 3e et 5e force politique du pays.

Par ailleurs, cette remontée du vote anti- mémorandum s’inscrit dans un contexte d’abstention absolument record de 43% des inscrits, contre 28% en moyenne sur la période 2000-2009. Si l’abstention peut s’expliquer en partie par le fait qu’il s’agit du troisième scrutin de l’année, il s’agit d’un élément important, relativisant le caractère stabilisant de la victoire d’Alexis Tsipras. Si celle-ci repose sur la forte mobilisation des électeurs indécis et la conviction de certains électeurs ayant envisagé de voter pour LAE, elle pourrait trouver ses limites dans le cas d’une montée de la contestation sociale, que pourrait engendrer l’application de la conditionnalité du 3e programme. Tandis que, sur le plan politique externe, les partenaires européens ont salué le résultat des élections, Alexis Tsipras, aura fort à faire sur plan interne car sa majorité reste réduite et donc exposée à d’éventuelles divergences politiques dans le long terme. Et ce, d’autant plus que son pays est simultanément confronté à une autre crise européenne, celle des réfugiés, qui pourrait venir perturber le débat politique. La probabilité que le Premier ministre réélu puisse aller au bout de son mandat de quatre ans sans changement de coalition ou de nouvelles élections législatives anticipées nous semble donc faible.

Fort de son mandat, le nouveau gouvernement peut avancer dans les réformes et envisager un allègement de dette

Réinvesti Premier ministre dès le lendemain des élections, Alexis Tsipras vient d’annoncer une équipe gouvernementale très similaire à la précédente1, avec en particulier la même équipe économique ayant participé aux négociations du 3e programme, ce qui constitue un signe positif pour les créanciers européens. Le Premier ministre réélu a d’emblée annoncé que la stabilisation de l’économie, à travers la recapitalisation du secteur bancaire, et l’ouverture des négociations sur l’allégement de dette, envisageable après le premier examen du Programme, constituaient la priorité absolue dans l’immédiat.

En effet, plus de la moitié des réformes clés prévues par le mémorandum doivent être adoptées d’ici la fin de l’année 2015, principalement dès octobre. Celles-ci se répartissent autour de 4 piliers :

  1. Restaurer la soutenabilité budgétaire ;
  2. Préserver la stabilité financière ;
  3. Croissance, compétitivité et investissement ;
  4. Modernisation du secteur public

Prévoyant une réforme de la fonction publique (modération salariale, recrutement de nouveaux directeurs d’administration sur des critères plus techniques, réforme de l’indemnisation et de l’évaluation des fonctionnaires), le renforcement et la modernisation de l’institut national des statistiques, de la justice et de la lutte contre la corruption, le dernier pilier est de loin plus aisé politiquement pour Alexis Tispras, qui a construit sa carrière sur la dénonciation de la corruption de l’oligarchie grec.

Le second pilier est en ligne avec l’une des priorités immédiates du gouvernement. Il prévoit la recapitalisation du secteur bancaire, sans nationalisation, à hauteur de 25 Mds€ (dont 10 ont déjà été réservés par le MES en août dernier) ainsi que l’amélioration de sa gouvernance et de celle du Fonds grec de stabilité financière (HFSF). Si le durcissement des dispositifs légaux afin d’accélérer le recouvrement des CDL est assez éloigné des prises de positions initiales d’Alexis Tsipras, la mesure va dans le sens d’un apurement de l’endettement du secteur privé et du bilan des banques. Une partie de la forte hausse des CDL étant liée à celle des arriérés du gouvernement, le PM dispose de toute façon de peu de marge de manœuvre.

Contenant les réformes fiscales et sociales, d’une part, et structurelles, d’autre part, les premier et troisième piliers seront les plus difficiles à adopter. La réforme fiscale prévoit un renforcement des dispositifs légaux et réglementaires pour la collecte des taxes et la lutte contre l’évasion fiscale, ainsi que l’adoption d’un collectif budgétaire pour 2015, d’un projet budgétaire pour 2016 et d’une stratégie à moyen terme 2016-2019.

Syriza devra également faire voter une hausse du taux d’imposition sur le revenu (de 11% à 15% pour les revenus annuels inférieurs à 12 000 €, et de 33% à 35% pour les autres), sur la propriété, et des secteurs du transport maritime et des jeux d’argent. Parmi les réformes les plus polémiques, sont également prévus la suppression d’avantages fiscaux pour le secteur agricole et les îles grecques (TVA), ainsi qu’une réduction du budget militaire de 100 M€ en 2015 et 400M€ en 2016. La réforme du système social prévoit l’harmonisation des systèmes de retraite, la baisse des pensions, l’allongement généralisé des périodes de cotisations et la suppression des retraites anticipées. D’autres mesures sont aussi prévues pour moderniser le système de santé et les minima sociaux.

Outre des mesures visant à améliorer l’attractivité du pays, les réformes structurelles du troisième pilier sont la libéralisation de certaines activités commerciales et professions régulées (notaires, ingénieurs, pharmaciens), ainsi que des marchés de l’énergie, de la distribution d’eau et des transports, accompagnée de la privatisation de certains opérateurs publics (aéroportuaire, portuaire, ferroviaire). La vente de ces actifs publics est très impopulaire en Grèce. Du côté du marché du travail, des mesures visent à améliorer la lutte contre le travail dissimulé et la formation des travailleurs.

Les principales dates d’adoption de l’ensemble des mesures sont en octobre 2015, décembre 2015 et juin 2016. Cependant, la majorité doit avoir lieu d’ici la fin de l’année. Alors que le déclenchement de nouvelles élections au lendemain de la signature de l’accord a déjà retardé certaines mesures, c’est donc un immense et douloureux travail qui attend le gouvernement réélu, s’il veut pouvoir débloquer les 3 Mds€ restants de la première tranche et réussir le premier examen de la mise en œuvre du programme, qui pourrait être reportée de quelques semaines en novembre.

Entre forte conditionnalité et faible allègement de dette, la participation du FMI reste toujours en suspens

Suite à la publication en juin et l’actualisation en juillet de son analyse de la dette publique grecque, le FMI a alerté sur son caractère fortement insoutenable, prévoyant qu’elle atteindrait 200% du PIB d’ici deux ans, puis 170% du PIB en 2022, en dépit d’un 3e plan d’aide. Sans aides financières supplémentaires ou décote sur le capital, le Fonds a ainsi souligné que les créanciers européens devraient alors doubler les maturités de 20 à 40 ans et les périodes de grâce de 30 à 60 ans de l’ensemble du stock de dettes en leur possession (FESF et GLF). Considérant la dette grecque insoutenable en l’état, le FMI a conditionné sa participation au 3e programme européen à un allègement supplémentaire de dette.

Cependant, comme il avait été stipulé dans l’accord de juillet, la Commission européenne a réaffirmé dans son analyse d’août que la soutenabilité de la dette grecque peut être atteinte avec la seule extension des maturités et des périodes de grâce, mais sans avancer de chiffre. Si le scénario central de la CE anticipe un creusement de l’activité de -2,3% en 2015 et -1,3% en 2016, faisant bondir le niveau d’endettement à 201% du PIB, il fait l’hypothèse forte du respect des cibles budgétaires primaires du Programme (de -0,25% du PIB en 2015 à 3,5% du PIB), combiné à un fort rebond de l’activité à 2,7% en 2017.

Or, compte tenu de la situation actuelle des finances publiques, de la conjoncture et du contenu récessif du nouveau programme, la trajectoire probable se rapprocherait du scénario défavorable, qui prévoit un retour à l’équilibre du solde primaire dès 2016 malgré une baisse de l’activité plus marquée (-0,5 point de croissance en 2015, 2016 et 2017 par rapport au scénario central). Dans tous les cas, la dette publique ne repasserait pas sous la barre des 180% du PIB avant 2020. Pour cela, il faudrait par exemple envisager un allongement des maturités de 20 ans combiné à celui des périodes de grâce et/ou à une réduction des taux d’intérêt. Il apparaît alors que seule une restructuration du capital permettrait une baisse significative du ratio d’endettement. Si le directeur du MES Klaus Regling et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, ont à nouveau écarté toute décote, ils se sont cependant montrés confiants quant à la participation du FMI, ajoutant qu’un terrain d’entente pouvait être trouvé sur la soutenabilité de la dette à travers la limitation des besoins de financements annuels. Cependant, leur maintien sur les 20 prochaines années sous la barre de 15% du PIB en moyenne, comme le suggérait le FMI en juin, nécessiterait un allongement encore plus important des maturités. Si la non- participation du FMI ne constitue pas un élément fondamental pour le 3e programme, la Grèce perdrait cependant un allié de poids en faveur d’une restructuration de sa dette nécessaire à une éventuelle sortie de crise à long terme.

Fort d’une stabilité politique à court terme, le pays devrait pouvoir passer avec succès la première revue du Programme et ainsi permettre l’ouverture des négociations concernant un éventuel allègement de dette vers la fin de l’année 2015. Alors que les premiers effets des réformes commenceront à se faire sentir, Alexis Tsipras devra obtenir le meilleur accord possible pour faire accepter l’austérité à son électorat. De nouvelles tensions politiques sont ainsi à attendre sur le plan interne et externe, ramenant le spectre des tensions sur une éventuelle sortie de la zone euro et retardant le retour de la confiance nécessaire à la levée du contrôle des capitaux.

NOTES

  1. Le Pasok aurait refusé la proposition de Syriza-ANEL de participer au gouvernement, en échange de la mise à l’écart de certains cadres du parti.

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