par Edgardo Torija Zane et Bei Xu, économistes chez Natixis
Après avoir ralenti dans le sillage de la crise internationale, la croissance indienne a accéléré à nouveau au cours des derniers mois grâce au dynamisme de la production de services. La mousson décevante de l’été 2009 affectant notamment la production céréalière et les revenus ruraux devrait toutefois coûter deux points de PIB en 2009/10.
L’Inde renoue à nouveau avec la hausse des prix alimentaires et l’aggravation du déficit budgétaire. Alors que la politique monétaire doit concilier à la fois les conditions financières favorables à la croissance, le besoin de financement du gouvernement et la stabilité des prix, un resserrement monétaire brusque est à exclure malgré la hausse récente de l’inflation.
La croissance s’accélère après la crise…
Malgré son ralentissement marqué dans le sillage de la crise internationale, l’Inde a continué à afficher un dynamisme remarquable. L’économie indienne a enregistré une expansion de 6,7% en 2008/09, un chiffre très en dessous de la moyenne de trois dernières années (9%) mais largement au dessus de la croissance mondiale et de sa moyenne historique, l’Inde ayant affiché un taux d’expansion annuelle de 4,7% entre 1950 et 2008. Le ralentissement de l’activité en 2008/09 s’explique par la fin du cycle d’investissement immobilier affecté par le resserrement des conditions monétaires domestiques en 2008 et, bien entendu, par les effets de la crise internationale. Cette dernière s’est transmise à l’Inde à travers la chute brutale de la demande externe (qui a touché sévèrement le secteur textile et la production des pierres précieuses) et la diminution du financement externe freinant des investissements. Sur le plan domestique, les incertitudes engendrées par l’environnement de crise ont porté un coup sévère à la consommation domestique, affectant notamment l’achat (et la production) des biens durables (voitures, électroménager).
A la différence d’un bon nombre d’économies asiatiques, la crise ne s’est pas traduite par une contraction de l’activité globale. Sa résilience est due à la structure productive du pays qui est relativement peu exposée à la demande mondiale de bines manufacturés, en chute libre avec la récession des pays du G3. Le secteur manufacturier ne constitue que 20% du PIB et produit principalement (environ 60%) pour le marché domestique. Qui plus est, une portion considérable (35%) des exportations du pays est constituée par les services (i.e. software, communication), avérés relativement plus résilients à la conjoncture mondiale.
Enfin, le gouvernement a donné une réponse rapide au contexte de crise à travers les politiques de relance budgétaire engageant des dépenses additionnelles de l’ordre d’environ 1% du PIB et des rabais d’impôts- et un assouplissement de la politique monétaire (notamment via la baisse du ratio de réserves obligatoires et du taux des opérations de repo), contribuant au maintien du dynamisme de la demande domestique. L’absence d’exposition des banques indiennes aux actifs « toxiques » et l’indépendance du système bancaire, peu intégré au système international a constitué également un facteur de résilience de l’économie.
En termes de dynamisme économique, le point bas de la croissance indienne semble être derrière, entre janvier et mars 2009 (croissance de 5,7% en GA). Entre avril et juin (i.e. le premier trimestre de l’année fiscale 2009/10) la croissance s’est accélérée à 6,1%. Le retour à une croissance robuste est principalement expliqué par le dynamisme de la production de services, en expansion de 7,8% en GA au premier trimestre. Ce sont toujours les secteurs des nouvelles technologies de l’information et de la communication, moins régulés que les secteurs des manufactures et bénéficiant de l’abondance d’une main d’œuvre qualifiée, qui connaissent un essor remarquable depuis le début des années 2000. Quant à la production industrielle (dont les secteurs principaux sont l’automobile et l’industrie pharmaceutique), celle-ci s’est montrée moins dynamique (+3,4% en T1) mais semble récupérer de la crise avec une hausse sur un an de 7% et 10,5% en juillet et août respectivement.
…mais le dynamisme économique est menacé par la mauvaise mousson
En raison d'une mousson décevante entre avril et août 2009 principalement dans le nord du pays, où le niveau de précipitations a été le plus faible depuis 1972 et inférieur de 22% à la moyenne historique, la récolte de l’automne (the Kharif croop) est sensiblement compromise. Alors que 65% des exploitations agricoles du pays ne pratiquent pas l'irrigation, ce qui les rend dépendantes des pluies de juin à septembre, les conséquences sont particulièrement graves.
Sont concernées principalement la production de riz en particulier du type Paddy (15% de surface semée en moins en 2009 sur un an) de cacahuètes (-15%), de canne de sucre (-3%) et d’huiles végétales (-5%). Si l’abondance des pluies durant septembre a créé des conditions favorables (en remplissant les réservoirs d’eau) pour la récolte d’hiver (Rabi croop) et favorisé la production de blé, de grain de moutarde et d’huile de colza, les estimations officielles1tablent déjà sur une perte de 2 points de pourcentage de croissance pour l’année fiscale 2009/10 en raison de la sécheresse. Certes, le poids de l’agriculture dans le PIB du pays n’est que de 17%, mais les effets indirects sont considérables étant donné que 70% de la population du pays dépend des revenus agricoles.
Le prix des denrées alimentaires pousse à la hausse l’indice des prix
Outre la chute des revenus du secteur rural, la crise du secteur agricole est à la base de la flambée des prix agricoles sur le marché domestique. L’inflation de septembre (+11,6% pour les prix à la consommation) marque une pause dans la hausse de l’IPC par rapport à août (+11,7%) mais reflète la gravité de la situation. Le gouvernement essaye d’enrayer la hausse du prix du riz par le recours à l’importation de ce produit et sa distribution sur le marché domestique via des sociétés publiques de négoces, de façon à protéger les populations les plus exposées (à noter que le taux de pauvreté du pays est de 42%). Alors que des courtiers privés auraient déjà importé 400 mille tonnes de riz, selon les estimations les plus pessimistes l'Inde pourrait acheter jusqu'à 3 millions de tonnes de riz sur les marchés mondiaux, devenant ainsi un importateur net pour la première fois depuis une vingtaine d'années. Le recours au destockage de grains détenus par le gouvernement est aussi envisagé.
Les finances publiques sous pression
Alors que les finances publiques de l’Inde s’étaient sensiblement améliorées après la tentative de consolidation mise en place par la Loi de Responsabilité Fiscale et de Gestion du Budget de 2003/04 – qui a permis la réduction du déficit global de l’Administration publique de 8,5% du PIB en 2003/04 à 4,1% en 2007/08- la situation budgétaire s’est sensiblement dégradée en 2008/09.
Le déficit budgétaire consolidé a été de 8,7% en 2008/09 et devrait se situer aux alentours de 10% au cours de cette année 2009/10. La dégradation de la situation budgétaire est moins expliquée par la mise en place d’un programme de relance par les investissements en infrastructure (qui ne totalise que 1% du PIB), que par la hausse de subventions aux carburant et aux fertilisants de 2008, l’augmentation des salaires publics, et l’expansion de la couverture régionale du NREGA (National Rural Employment Guarantee Act) en vigueur depuis août 2005, programme qui garantit à tous les adultes du pays vivant dans des zones rurales de travailler au salaire minimum jusqu’à 100 jours par an dans des travaux publics. Enfin, le déficit budgétaire est également affecté pour des raisons cycliques, liées à la baisse des revenus associés au ralentissement de l’économie.
L'Inde entame un retrait timide de sa politique monétaire accommodante
Alors que les prévisions de croissance officielles ont été progressivement revues à la hausse pour s’établir à environ 6,5% pour l'année fiscale se terminant en mars 2010, la question d’un durcissement de la politique monétaire est devenue un sujet de débat. Un durcissement limiterait le risque d’apparition de bulles sur les prix des actifs financiers –déjà en forte hausse depuis avril (la bourse a gagné 63% entre avril et octobre) et de généralisation de la hausse des prix à des biens non alimentaires.
Cependant, la gestion de la politique monétaire est fortement articulée avec les besoins de financement du secteur public, en forte hausse. La RBI (Reserve Bank of India, désormais RBI) va en effet monétiser environ 41% du déficit -qui est de 10% du PIB attendu pour 2009/10- par la voie des opérations d’open-market, dont 24% se fera dans le cadre du mécanisme MSS2.
Outre l’obstacle que pose le caractère intrinsèquement expansionniste du financement du déficit au resserrement de la politique monétaire, la RBI doit également considérer l’effet que pourrait avoir une hausse des taux d’intérêt sur le volume des flux entrants de capitaux internationaux. Retirés massivement en 2008, les investissements étrangers en Inde se sont fortement redressés depuis avril 2009 en particulier dans la bourse. Une hausse des taux d’intérêt pourrait encore renforcer l’afflux de capitaux et exercer une pression additionnelle sur la roupie indienne, orientée déjà à l’appréciation et qui pourrait accroître le déficit des paiements courants.
Jusqu’à présent, la RBI s’est limitée à relever de 24% à 25% le ratio de liquidités statutaires des banques commerciales, une mesure qui sera effective dès le 8 novembre et qui facilitera le financement du déficit budgétaire3. L'institution maintient toujours son taux repo à 4,75% et son taux de reverse repo à 3,25% depuis avril 2009. A noter toutefois que le taux d’intérêt n’est pas l’instrument principal de politique monétaire et que la RBI cible principalement la croissance des agrégats monétaires. Ainsi, les prêts interbancaires se font souvent hors du corridor constitué par les taux de politique monétaire.
Des défis structurels
Les perspectives de croissance de long terme sont toujours très favorables, pour de nombreuses raisons telles que la forte croissance de la population indienne surtout active, qui permet en plus la hausse du taux d’épargne, la disponibilité de main d’œuvre qualifiée à bas coût à l’origine d’une révolution dans le secteur des nouvelles technologies, le processus d’urbanisation et la continuité du système politique, qui a permis à la fois d’entamer des réformes de dérégulation et de consacrer des ressources à des politiques de réduction de la pauvreté. Même si les conditions de vie de la population se sont sensiblement améliorées au cours des dernières décennies, le progrès reste très lent comme l’attestent les statistiques qui montrent que l’Inde fait partie des pays les plus affectés par le phénomène de mortalité infantile et où le poids des dépenses de santé est faible (rang 171ème sur 175 pays). Comme le souligne le rapport du World Economic Forum (2005) une croissance « non-inclusive », qui conjugue dérégulation, globalisation et exclusion risquerait de se solder par des difficultés pour établir des politiques consensuelles, favorisant ainsi une conjoncture instable.
Outre les dilemmes qui se posent pour le mode de développement, sur le court et moyen terme le pays est confronté à des défis de politique macroéconomique. Le gouvernement doit aussi assurer des dépenses contra-cycliques, nécessaires pour se substituer au ralentissement de la demande extérieure sans décourager l’investissement productif, fondamentales pour réduire les goulots d’étranglement de l’économie. Le pilotage de la politique monétaire sera chargé d’arbitrer entre les besoins de financement du secteur public, la stabilité du taux de change et la stabilité des prix, objectif qui restera subordonné aux deux premiers. Un environnement favorable au développement des infrastructures du secteur agricole à faible productivité et du secteur énergétique dont les insuffisances pèsent sur le dynamisme de l’industrie, semble décisif pour maintenir une croissance rapide.
NOTES
- Source : Economic Advisory Council to the Prime Minister
- Le Market Stabilisation System est le système en place depuis 2004 pour faciliter les opérations périodiques de la RBI visant à stériliser les interventions de change. Typiquement la RBI émet une dette pour compte du gouvernement et la place sur les marchés en créent simultanément un dépôt au nom du Trésor à la banque centrale.
- A noter que les réserves statutaires peuvent être intégrées sous la forme de cash, or, Bons du Trésor, Bons du gouvernement émis dans le cadre du MSS.