par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Depuis son arrivée à la tête de la Réserve Fédérale américaine en 2006, Ben Bernanke n’a eu de cesse de promouvoir davantage de transparence dans la conduite de la politique monétaire. D’importantes étapes ont été progressivement franchies au cours des années avec en particulier l’avancée de la publication des Minutes (trois semaines après le FOMC vs 6 semaines), la publication de façon trimestrielle des projections du FOMC (vs 2 fois par an), la tenue de conférences de presse après certains FOMC (décidées en 2011).
Le FOMC du 25 janvier 2012 restera dans les annales avec d’importantes décisions.
Pour améliorer la transparence de la politique monétaire, Bernanke a toujours milité en faveur de l’adoption d’un objectif d’inflation1. Six ans après sa prise de fonction en tant que Chairman de la Fed, Bernanke arrive enfin à ses fins ! Lors du FOMC de 24/25 janvier, la Fed a en effet annoncé qu’elle adoptait désormais une cible d’inflation à long terme de 2% sur le déflateur de la consommation (« PCE deflator »).
Les avantages d’un objectif d’inflation (anticipée) sont de renforcer la crédibilité anti-inflationniste de la banque centrale, en corollaire d’ancrer les anticipations d’inflation des agents et donc de réduire l’incertitude et la volatilité sur les marchés (diminution de la volatilité des taux d’intérêt). Elle permet de rendre la politique monétaire plus efficace en évitant de sur-réagir à des chocs inflationnistes temporaires (puisque le ciblage concerne l’inflation à moyen ou long terme) qui provoquerait des chocs sur l’économie réelle. La principale critique consiste à mettre en avant l’incompatibilité d’un objectif d’inflation dans le cadre d’un mandant dual de la banque centrale, qui se doit également de maximiser l’emploi, la poursuite de ces deux objectifs n’étant pas forcément compatible.
Pour contrer cette critique, Bernanke a toujours souligné qu’un objectif d’inflation se devait d’être « flexible », non considéré comme une règle mais plus comme un cadre pour la politique monétaire. Dans le communiqué, il insiste sur le fait qu’en cas de conflit d’objectifs, le Comité suivrait une politique équilibrée en prenant en compte l’importance des déviations des deux variables par rapport aux niveaux souhaités et du temps nécessaire pour y revenir. Il souligne également le fait qu’il serait inapproprié de fixer un objectif d’emploi car certains facteurs affectant le marché du travail ne sont pas déterminés par la politique monétaire.
Si l’adoption d’un objectif d’inflation officiel marque un changement dans la stratégie de communication de la Fed, son impact est cependant à nuancer car elle avait déjà une cible officieuse depuis longtemps : à une certaine époque, elle souhaitait maintenir le déflateur de la consommation hors énergie et alimentation (« core PCE deflator ») dans une fourchette de 1% à 2% (« zone de confort »). Plus récemment, la publication des projections de long-terme par le FOMC révélait le niveau recherché par la banque centrale (entre 1,5% et 2% sur le déflateur de la consommation total).
Lors du FOMC du 25 janvier, la Fed a également franchi un autre pas sur le front de la communication : en plus des projections de croissance, de chômage et d’inflation, la Fed publie désormais les projections des 17 membres sur l’évolution des fed funds sur les trois prochaines années et le niveau de long-terme (proche de 4%). Ces projections sont évidemment très intéressantes pour les économistes mais elles pourraient apporter de la confusion pour les marchés si elles ne correspondent pas au message du communiqué (rappelons que sur les 17 membres, seuls 10 votent).
Au-delà de ces importants changements dans sa stratégie de communication, la Fed a également modifié son discours. Si la tonalité sur la perception de la situation macroéconomique n’a guère évolué depuis le dernier FOMC mi- décembre, la Fed assouplit encore sa position en repoussant la date jusqu’à laquelle les taux fed funds devraient rester à un bas niveau à fin 2014 vs mi-2013 précédemment. Ainsi, ces derniers seraient maintenus à 0/0,25% pendant encore trois ans ! Le risque de déflation semble rester la principale préoccupation de la Fed et Bernanke a sorti l’arsenal d’outils pour essayer de l’éviter. La politique monétaire américaine va donc rester très expansionniste pendant encore très longtemps.
NOTES
- Cf. NBER 5893 « Inflation targeting : A new framework for monetary policy », Bernanke, Mishkin, Jan 1997
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