par Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques de Crédit Agricole
Pas de surprise : c’est l’investissement qui fera la différence dans la sortie de crise. Cette crise est en effet financière à son début, avec un effet très négatif sur les anticipations et la confiance – un effet qui demeure. Elle se poursuit en devenant économique, sociale, politique et en touchant aujourd’hui les finances publiques. Elle débouche en même temps sur un nouvel état du monde, les émergents d’hier se montrant en grande forme économique, les États-Unis ayant les plus grandes peines à changer de modèle, pour épargner plus, et l’Europe risquant une croissance à la fois très faible et très différenciée, entre Allemagne et Grèce.
Au sein de l’Europe, deux pays jouent un rôle décisif pour la croissance, l’Allemagne et la France, et les choix qu’ils font seront, en réalité, décisifs pour tous. Or, ce ne sont pas les mêmes. L’Allemagne est entrée dans une logique de reprise par l’investissement, moins la France. Or, cet écart d’intensité peut avoir des effets très dommageables à terme, pour la France bien sûr, pour l’Europe également.
Des remontées voisines de la productivité en France et en Allemagne, des ajustements différents de l’emploi
Mécaniquement, tout ralentissement économique, a fortiori s’il est sévère, fait baisser la productivité. Dans le cas allemand, le processus a été particulièrement violent, et bien moindre dans le cas français. Deux raisons à cela : d’abord la chute de la production a été plus forte en Allemagne qu’en France (-6,6%, contre -3,9% entre le pic d’activité au premier trimestre 2008 et le point bas au premier trimestre 2009) ; ensuite l’ajustement par l’emploi a été plus fort en France qu’en Allemagne. En France, le taux de chômage a augmenté de 2,1 points depuis le premier trimestre 2008, passant à 9,3% de la population active en France métropolitaine au deuxième trimestre 2010.
A l’inverse, en Allemagne, le taux de chômage a diminué de 0,4 point depuis le pic d’activité, à 7,7% au deuxième trimestre 2010. L’Allemagne est une économie relativement plus exportatrice que l’économie française, elle est donc potentiellement plus volatile
Surtout, les entreprises allemandes ont bien moins réduit leurs effectifs que les françaises, partiellement en rapatriant sur le territoire des activités normalement sous-traitées à l’extérieur, en particulier dans les pays de l’Est et surtout en considérant qu’il valait mieux conserver des populations très qualifiées, au risque d’une baisse temporaire de rentabilité, que prendre le risque de leur départ. Les entreprises françaises n’ont pas fait le même choix intertemporel, en réduisant rapidement leurs effectifs. C’est sans doute la trace de leur relative faiblesse financière et plus encore économique, les biens qu’elles produisent étant moins spécifiques.
Les marges se reconstruisent plus vite en Allemagne
Pour autant, même si les entreprises allemandes conservent leurs effectifs alors que baisse leur productivité, elles sont en meilleure position que les entreprises françaises en sortie de crise1. L’explication de ce paradoxe est que le retard entre productivité et taux de marge n’a cessé de se creuser en France, alors même que son niveau était plus faible qu’en Allemagne : 31% en France en moyenne, contre 41% en Allemagne. Dit autrement, le taux de rentabilité des entreprises françaises est non seulement plus faible et plus volatile que celui des entreprises allemandes, mais encore il peine de plus en plus à se reconstituer après un choc. Dans ce contexte, on comprend que l’ajustement des effectifs en France est plus pressant, pour des raisons de rentabilité et plus généralement de survie, au risque d’une perte de capital humain.
Une répartition de la valeur ajoutée en faveur des salaires en France, des profits en Allemagne
L’explication de cet écart croissant entre productivité et profit tient évidemment aux conditions de répartition de la valeur ajoutée comparées entre France et Allemagne. D’abord la part des profits dans la valeur ajoutée est constamment supérieure en Allemagne sur la période. Surtout, ces dernières années ont vu deux évolutions complètements opposées. La part des profits dans la valeur ajoutée en France chute en effet fortement, jusqu’à 29% et remonte très peu vers 30%. En Allemagne, au contraire, la part des profits baisse certes, mais jusqu’à 41% et remonte aussitôt, vers plus de 43%.
Rien de d’investissement divergent : redressement fort en Allemagne, modeste en France. Nous sommes face à un enchaînement particulièrement dommageable : les entreprises françaises ont des marges modestes et une répartition de la valeur ajoutée favorable aux salaires.
Face à un choc, elles ajustent l’emploi plus vite que les entreprises allemandes qui ont les moyens de résister… à moins que n’existe en Allemagne un contrat implicite de modération salariale sur le long terme compensée par une stabilité plus forte de l’emploi dans une économie plus volatile, car plus exportatrice.
Un bouclage financier qui entretient la mollesse de la reprise française
Conséquence : les PME françaises s’autofinancent relativement plus que les PME allemandes. Inquiètes, elles puisent davantage dans leurs ressources internes, qui sont pourtant plus modestes que celles de leurs concurrentes allemandes (pour chacune des sources de financement, les entreprises doivent indiquer si elles y ont eu recours ou non ces six derniers mois). Et les grandes entreprises allemandes s’endettent, au meilleur moment.
Conclusion
Une sortie de crise favorable à l’Allemagne du fait d’un partage salaire/profit de consensus existe donc, alors que l’hypothèse généralement retenue est plutôt que la sous-productivité acceptée par l’Allemagne va aujourd’hui l’handicaper. Cette reprise plus forte de l’Allemagne serait la preuve de la solidité du modèle «haute valeur ajoutée/stabilité de l’emploi » contre le modèle « valeur ajoutée moyenne/emploi relativement flexible ». On voit également que les conditions de financement sont en réalité secondes et ne font qu’ajouter aux écarts natifs. Il est à espérer que les décideurs soutiendront, à court terme, l’investissement en France (amortissement accéléré) et que les avantages d’un consensus social à l’allemande seront mieux compris.
NOTES
1 Cf. ECO France – octobre 2010 : France, les entreprises au cœur de la reprise.
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