par Fiona Frick, Chief Executive Officer d’Unigestion
Depuis la crise financière de 2008, l’opinion publique se montre très sceptique quant au rôle joué par le système financier. Malgré ce contexte difficile, nous pensons que les sociétés financières – et en particulier les gestionnaires d’actifs – ont un rôle majeur à jouer dans la résolution des problèmes auxquels le monde est confronté.
Se tourner vers le capitalisme comme solution aux problèmes du monde
Le capitalisme a montré ses limites au cours de ces dernières années. En 2008, le système financier mondial a frôlé l’effondrement, contraignant les gouvernements à lui venir en aide au travers d’injections massives de liquidités dont le retour sur investissement ne se fera pas avant plusieurs décennies. Aux yeux de nombreuses personnes, le capitalisme est donc en crise.
Mais la bonne nouvelle est que le capitalisme est un système évolutif qui s’améliore constamment sur fond de découvertes et d’expérimentations permanentes. Au cours des derniers siècles, le capitalisme a permis une augmentation considérable de la richesse globale, sortant des centaines de millions de personnes de la pauvreté. Et ce processus se poursuit encore aujourd’hui.
Le monde doit désormais faire face à de nouveaux problèmes, parmi lesquels la stagnation de la classe moyenne dans les pays développés, la montée des inégalités de revenus à travers le monde et une foule de préoccupations environnementales. Le capitalisme peut-il s’adapter pour contribuer à résoudre ces problèmes ?
Un changement de perspectives pour les entreprises et les investisseurs
Dans les années 1990, la plupart des entreprises n'avaient essentiellement qu'un seul objectif : créer de la valeur grâce à la capacité des équipes dirigeantes à accroître les bénéfices, les dividendes et le cours de l'action, le tout au seul profit des actionnaires.
Faire de la création de valeur pour l’actionnaire l’objectif premier d’une entreprise a conduit à adopter une vision étroite axée exclusivement sur les bénéfices trimestriels et la performance boursière à court terme. Suite à la crise financière, nous avons pris conscience de l’existence d’une frontière entre la création durable de valeur pour l’actionnaire et le fait d’être prêt à tout pour générer des bénéfices.
L’optimisation de valeur pour les actionnaires doit-il être l’objectif principal d’une entreprise ? Nous vivons maintenant dans un monde où les entreprises nourrissent une ambition plus large que le simple fait d’enrichir leurs actionnaires. Par exemple, l’objectif principal de Google est d’organiser toutes les informations disponibles à travers le monde tandis que Nike a pour ambition d’apporter inspiration et innovation à tous les athlètes.
La crise financière a suscité une méfiance considérable vis-à-vis de la contribution du secteur financier à l’économie. Au cours des décennies qui ont précédé la crise, le système financier avait pour but de fournir les flux de capitaux nécessaires à la croissance de l’économie. Notre objectif aujourd’hui doit être de nous assurer que le système financier retrouve sa fonction d’outil plutôt que d’une finalité en soi. Dans cette analyse, nous soutenons que les gestionnaires d’actifs, qui figurent parmi les principaux acteurs du système financier, ont un rôle important à jouer, non seulement en termes de génération de rendements pour leurs clients, mais aussi pour aider à résoudre certains des problèmes les plus pressants auxquels le monde est confronté.
Les investisseurs institutionnels ont eux aussi un rôle important à jouer : selon une étude réalisée par l’EFAMA en 2014, ils représentent environ trois quarts des clients des gestionnaires d'actifs européens, ce qui leur confère une influence considérable. On constate une tendance manifeste quant à la façon dont les investisseurs institutionnels abordent leurs responsabilités non seulement en termes d'obligation fiduciaire consistant à générer les rendements que leurs bénéficiaires attendent, mais aussi de plus en plus en tant qu’investisseurs à long terme impliqués dans les activités des entreprises dans lesquelles ils investissent afin d’avoir un impact positif sur la société.
Les gestionnaires d’actifs doivent repenser leur rôle dans la société
Dans ce nouveau contexte, les gestionnaires d’actifs doivent se demander quel devrait être leur objectif au-delà de la simple génération de rendements pour leurs clients. Nous pensons qu'à partir de maintenant ils ne seront plus seulement évalués sur les rendements financiers qu’ils génèrent, mais qu'ils seront également jugés par rapport aux valeurs qu’ils défendent, à leur éthique, et, de manière plus générale, à leur contribution à l'amélioration de notre société.
En tant qu’acteurs essentiels du système financier et investisseurs dans les entreprises de tous les secteurs économiques et les gouvernements du monde entier, les gestionnaires d’actifs sont idéalement placés pour pouvoir changer les choses. Selon nous, ils peuvent jouer quatre rôles clefs pour contribuer à l’amélioration de la société, que nous abordons dans la suite de cette analyse.
- Aider la population mondiale vieillissante à financer sa retraite
- S’assurer que les marchés financiers agissent comme un mécanisme de transmission efficace
- Financer les besoins à long terme de l’économie réelle plutôt que chercher à réaliser des bénéfices à court terme
- Créer l’architecture nécessaire à la résolution des problèmes sociaux et environnementaux.
1. Aider la population mondiale vieillissante à financer sa retraite
– Fournir les bonnes solutions pour la retraite
La population mondiale vieillit et le financement des retraites est d’ores et déjà un problème urgent. Les particuliers vont devoir épargner plus et s’arrêter de travailler plus tard s'ils veulent disposer d’une retraite confortable étant donné que les systèmes de retraite ne peuvent plus faire face et sont menacés. Ce problème s’est accentué lorsque nous sommes passés des régimes de retraite à prestations définies aux régimes à cotisations définies.
Comment les gestionnaires d’actifs peuvent-ils contribuer à résoudre ce problème ? En surface, la gestion d’actifs consiste à promettre aux clients un certain niveau de rendement sur leur portefeuille, mais l’objectif sous-jacent est de garantir à leur sécurité financière sur le long terme.
Aider les gens à financer leur retraite est depuis longtemps l’un des objectifs des gestionnaires d’actifs, mais dans ce nouveau contexte nous devons redoubler d’efforts pour faire face à l’augmentation de l’espérance de vie et à l’allongement de la durée de la retraite. Si nous pouvons prouver notre capacité à concevoir des solutions d’investissement qui répondent à ces enjeux en garantissant la sécurité financière sur une période de retraite plus longue, nous démontrerons clairement que notre secteur est à même d’aider la société dans son ensemble.
L’élément le plus important d’une solution d’épargne-retraite doit être la sécurisation des revenus futurs plutôt que la valeur de marché du portefeuille ou de ses plus-values. La gestion des risques et l’atténuation des pertes vont jouer un rôle essentiel pour atteindre ce but : perdre 40 % une année et gagner 40 % l’année suivante ne suffira pas, étant donné que la perte de revenus générée par la correction de la première année pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les investisseurs finaux. Donc plutôt que d’avoir pour seul objectif l’accroissement de la valeur d’un portefeuille, les gestionnaires d’actifs doivent privilégier la génération de flux de trésorerie stables et développer des solutions qui apportent à leurs bénéficiaires des sources de rendement assimilables à des rentes. À ce titre, la gestion d’actifs pour le compte d’investisseurs privés va s’assimiler de plus en plus à la gestion d’actifs pour le compte d’institutions ayant des obligations à honorer sur le long terme.
Une partie de ce processus consistera à passer de la simple vente de produits à une approche basée sur des solutions visant à répondre aux besoins spécifiques des clients. Le gestionnaire d’actifs sera chargé de vendre les bons produits aux bonnes personnes avec un niveau de risque approprié pour garantir leur sécurité financière.
– L’importance de l’éducation des investisseurs
Un autre élément essentiel pour les gestionnaires d’actifs sera leur capacité à éduquer un large public en matière d’investissement, de gestion des risques et de prises de décision informées quant à l'épargne-retraite.
Avec la transition des régimes de retraite à prestations définies au profit de régimes à cotisations définies, le risque d’investissement a été transféré des entreprises aux employés. Bien que cette démarche réduise les engagements financiers des entreprises, elle confie des décisions relativement complexes à des personnes qui n’ont pas nécessairement les compétences financières pour faire les meilleurs choix. Si les gens n’investissent pas intelligemment pendant leur vie active afin de garantir leur retraite, ils courent le risque de connaître des difficultés financières plus tard. Les gestionnaires d’actifs doivent s’assurer qu’ils fournissent des informations complètes et faciles à comprendre sur les solutions d’investissement mises à disposition de leurs clients et sur la façon dont elles répondent à leurs besoins.
2. S’assurer que les marchés financiers fonctionnent comme mécanisme de transmission efficient
C’est le secteur de la finance qui fournit les flux de capitaux nécessaires à la croissance de l’économie.
Au sein de ce système, les sociétés de gestion d’actifs ont un rôle essentiel à jouer : les gestionnaires européens détiennent à eux seuls des actions qui représentent 40 % du flottant des sociétés cotées en Europe. L’une des principales missions du secteur de la gestion d’actifs est de s’assurer du bon fonctionnement des marchés financiers. De quelle façon ?
– Garantir un niveau de liquidité approprié
Tout d’abord, nous devons nous assurer qu’il n’y a pas de décalage entre la liquidité des titres que nous détenons au sein de nos solutions d’investissement et les conditions de rachat que nous promettons à nos investisseurs. Autrement dit, il convient de vérifier que nos fonds d’investissement ne proposent pas des conditions de liquidité plus intéressantes que les placements sous-jacents dans lesquels ils sont investis.
S’il existe un décalage de liquidité et qu’un fonds ne peut pas honorer ses demandes de rachat en phase de baisse du marché, les implications peuvent être considérables pour les marchés dans la mesure où les prix seront déconnectés de la valeur des actifs sous- jacents. Nous en avons eu un exemple flagrant en 2008 lorsque les hedge funds se sont retrouvés incapables de satisfaire toutes les demandes de rachats des investisseurs.
Plus récemment, l’augmentation rapide des flux au profit des ETF est une source d’inquiétude. Deux incidents révélateurs sont survenus en 2015. Premièrement, les actions américaines ont subi une forte correction à l'ouverture du marché le 24 août et les prix des ETF en actions américaines sont tombés à des niveaux largement inférieurs à la valeur des indices qu’ils répliquaient. Deuxièmement, le désengagement progressif des obligations à haut rendement en décembre s’est transformé en débâcle pour les ETF investissant dans cette classe d’actifs. En résumé, les ETF constituent une force de marché non éprouvée qui pourrait accentuer les pressions à la vente en cas de baisse des marchés.
– Se focaliser sur le long terme pour éviter une volatilité excessive du marché
Les gestionnaires d’actifs doivent également jouer un rôle d’investisseurs à long terme (stratégie buy-and-hold) en fondant leurs décisions sur leur niveau de confiance vis-à-vis de la valorisation et du potentiel de croissance des entreprises. Aujourd’hui, un très grand nombre d’intervenants sur les marchés financiers n’investissent pas sur le long terme mais négocient dans l’espoir de pouvoir générer le plus de profits possible en un minimum de temps.
Le danger de cette vision à court terme est qu’elle favorise la volatilité des cours boursiers, ce qui représente un risque pour les investisseurs. Par ailleurs, cela n’encourage pas les gestionnaires d’actifs ou les entreprises dans lesquelles ils investissent à adopter des stratégies à long terme puisqu'ils ne seront pas jugés sur leur succès. Au lieu d’inciter les institutions et les dirigeants à surmonter des problèmes complexes sur le long terme, nous les récompensons pour faire exactement le contraire. Souvent, les paris à court terme semblent plus intéressants que les investissements sur le long terme maintenus pendant les périodes difficiles et créant des gains durables qui peuvent bénéficier à toute la société.
Il faudrait donc que les gestionnaires d’actifs soient évalués en fonction d’indicateurs de rendement à long terme incorporant des mesures de risques. L’investisseur doit, pour sa part, s’impliquer en tant que propriétaire à long terme d’une action plutôt que comme simple locataire prêt à l'échanger dès qu'il peut réaliser rapidement un profit ou qu’il s’aperçoit qu’aucun gain à court terme n’est possible.
En fait, l’approche à court terme domine beaucoup trop l’économie. Les entreprises sont jugées non pas sur leur performance financière à long terme et leur potentiel futur, mais sur ce qui s’est passé au cours des trois derniers mois. Les gestionnaires d’actifs, quant à eux, sont évalués par leurs clients en grande partie sur la base de leur performance depuis le début de l'année plutôt que sur leurs rendements à long terme.
Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi et elles peuvent changer. Ce n’est qu’au cours des dix dernières années que cette obsession du court terme a fait son apparition. Auparavant un horizon d’investissement de 3 à 5 ans constituait la norme. En remontant encore plus loin dans le temps, au tout début du marché boursier, on constate que l’investissement dans une action n’avait d’autre motivation que de profiter de la croissance à long terme de l'entreprise.
Il est donc important que les gestionnaires d’actifs investissent en gardant à l’esprit le long terme sans se focaliser outre mesure sur les fluctuations à court terme. Les investisseurs institutionnels ont eux aussi un rôle à jouer étant donné qu’ils possèdent des contraintes sur le long terme et qu’ils doivent évaluer leurs gestionnaires d’actifs sur un horizon d’investissement similaire et non plus sur la performance des derniers mois. Nous élaborerons sur ce point plus loin.
– Contribuer à la détermination des prix et éviter les bulles
Le troisième moyen pour les gestionnaires d’actifs d’assurer l’efficacité des marchés se fait au travers de leur rôle dans la détermination des prix. Signalons toutefois que seuls les gestionnaires appliquant une gestion active peuvent endosser ce rôle qui fait partie de leurs principales fonctions.
Il y a dix ans, les fonds à gestion passive représentaient environ 5 % des actifs mondiaux investis en actions cotées. Aujourd’hui, ce chiffre tourne autour de 20%. Les investissements à gestion passive ont une fonction importante car ils limitent les commissions de gestion et garantissent la liquidité sur les marchés mais ils n’influencent pas la détermination des prix autant que les gestionnaires actifs.
Comment cela se traduit-il dans la pratique ? En termes simples, les gestionnaires actifs cherchent à obtenir le plus d’informations possible sur un titre et ces données sont incorporées au cours de l'action, reflétant ainsi la somme de toutes leurs opinions. Sans les gestionnaires actifs, personne ne saurait précisément quel devrait être le prix d'un titre.
Les investisseurs passifs profitent quant à eux du travail des autres acteurs puisqu’ils ne supportent que des frais marginaux pour participer aux marchés sans avoir à couvrir les coûts importants liés au processus de recherche dont l’objectif est d’évaluer les prix avec précision.
De plus, leur allocation de capital se base généralement sur la composition d'un indice de marché plutôt que sur la conviction qu'une entreprise bénéficie d’un potentiel de croissance ou constitue un investissement intéressant. Par conséquent, une approche passive s’apparente à investir en regardant dans le rétroviseur. Si une société est comprise dans l’indice, les investisseurs passifs sont obligés de continuer à détenir ses actions, même si sa valorisation ne reflète plus ses fondamentaux. Il en résulte que plus la part du capital investi dans les stratégies passives est importante, plus le risque de formation de bulles et de brusques revirements de performance est élevé.
Nous ne remettons pas en question l’objectif des stratégies d’investissement passives mais leur multiplication nous pousse à nous demander si elles ne vont pas finir par mener le marché plutôt que de le suivre. Le coût pour la société de la gestion passive est un marché boursier plus volatil et moins efficace. Si tous les investissements étaient gérés selon une approche passive, la principale fonction du marché (détermination des prix) cesserait d’exister. Les investissements passifs peuvent également exposer les investisseurs à des risques inutiles : un investisseur misant sur un fonds passif en 2008 aurait été exposé à certains secteurs très risqués (comme la finance) sur le point de s'effondrer et que de nombreux gestionnaires actifs avaient complètement évité. La gestion active basée sur l’exposition à une série de facteurs de risque éprouvés est la mieux à même de générer des rendements corrigés des risques intéressants sur le long terme.
3. Financement à long terme de l’économie
– Les gestionnaires d’actifs sont idéalement placés pour fournir des financements à long terme
Les gestionnaires d’actifs devraient s’impliquer davantage dans le financement à long terme de l’économie. Contrairement aux banques, qui utilisent des financements à court terme pour allouer des capitaux, les gestionnaires d’actifs s’appuient sur les financements à long terme fournis par les investisseurs institutionnels. Ils représentent donc un maillon essentiel entre les investisseurs et les besoins de financement de l’économie réelle. En outre, historiquement, ils sont très peu nombreux à avoir fait faillite ou à avoir eu besoin d’aides de l’État pour survivre. Les gestionnaires dits actifs affectent les capitaux à diverses utilisations. Ce faisant, s’ils font leur travail correctement, ils stimulent la croissance économique car ce sont les activités qui génèrent les meilleures performances corrigées du risque qui sont susceptibles de drainer le plus d’investissements.
Les gestionnaires d’actifs ont donc un important rôle sociétal à jouer dans le cadre de l’affectation des capitaux en vue de financer la croissance. Mais pas n’importe quel type de croissance. L’objectif réel ultime devrait être une expansion économique durable qui minimise le risque d’une nouvelle crise financière majeure.
Reste à savoir comment atteindre cet objectif. Là encore, les investisseurs institutionnels et les gestionnaires d’actifs doivent travailler de concert afin d’investir dans des entreprises qui affichent un modèle de croissance durable plutôt que de viser une hausse des cours à court terme. Les investisseurs institutionnels (essentiellement des fonds de pension et des compagnies d’assurance) représentent environ 75 % de la clientèle des gestionnaires d’actifs en Europe. Ils ont donc un rôle essentiel, celui de s’assurer que les entreprises dans lesquelles ils investissent agissent de manière responsable et mettent en œuvre de bonnes pratiques de gouvernance.
Étant donné que les passifs de nos principaux clients – fonds de pension et compagnies d’assurance – sont essentiellement à long terme, les gestionnaires d’actifs sont bien placés pour intervenir comme source de financements à long terme de l’économie, principalement en investissant dans des titres de participation et de dette émis par des entreprises et des États.
Ceci vaut aussi bien pour les titres de participation cotés que pour le capital- investissement. L’idée du capital-investissement est d’injecter du fonds de roulement dans une entreprise prometteuse et de l’aider à parfaire ses produits, ses activités ou sa gestion, tout en rémunérant de manière adéquate les actionnaires pour les risques que cela implique. Le capital-investissement étant, de par sa nature, un placement à long terme, les investisseurs disposent d’encore plus de temps pour s’assurer que la stratégie des entreprises sous-jacentes répond à un objectif sociétal pertinent.
– Changer d’état d’esprit
De nos jours, adopter une approche sur le long terme est plus facile en théorie qu’en pratique en raison de la tendance au court-termisme que nous venons d’évoquer. Ainsi, la période de détention moyenne d’une action est passée de huit ans dans les années soixante à environ un an aujourd’hui. Parallèlement, la durée moyenne d’un mandat de CEO est d’à peine trois ans. Dans ces conditions, qu’est-ce qui peut inciter un dirigeant à présenter une stratégie sur le long terme ? En l’état actuel des choses, il ne sera jugé que sur sa gestion au jour le jour.
L’actualité financière nous donne régulièrement des signes tangibles de ces évolutions. Les outils d’ingénierie financière à court terme – rachats, dividendes, scissions et cessions – sont de plus en plus fréquemment utilisés et entraînent généralement une forte hausse du cours des actions sur le court terme. Mais ces opérations ont des effets indésirables à plus long terme, fragilisant la situation financière des entreprises, notamment si elles ont recours à l’emprunt pour racheter leurs propres actions. De telles mesures nuisent à la création de valeur sur le long terme et pourraient, in fine, desservir les entreprises et leurs investisseurs, et ce, même si le cours des actions connaît une forte augmentation à court terme.
Cette évolution se reflète dans un rapport publié en 2015 par le McKinsey Global Institute, qui montre que la variance moyenne du rendement des fonds propres des entreprises nord- américaines est actuellement supérieure de 60 % au niveau affiché sur la période 1965– 1980. Par ailleurs, le court-termisme pourrait handicaper les entreprises cotées, contraignant certaines à revenir à un actionnariat privé de façon à mettre en œuvre une stratégie de long terme sans s’inquiéter outre mesure des résultats trimestriels. Aux États- Unis, le nombre d’actions cotées est tombé de 8 000 en 1996 à environ la moitié actuellement.
Afin d’éviter ce genre de situation, les gestionnaires d’actifs doivent agir en qualité d’investisseurs long terme s’assurant que les entreprises n’accordent pas une trop grande importance aux fluctuations journalières des cours de leurs actions, et planifient leur avenir à long terme en investissant suffisamment dans celui-ci. Parallèlement, les dirigeants des entreprises devraient être incités à investir dans la recherche, l’innovation et la formation de leur personnel, mais aussi à faire les dépenses d’investissement essentielles pour assurer leur croissance sur le long terme. Ceci leur permettra de maintenir la légitimité de l’entreprise à mesure que les besoins de ses clients évoluent.
– La nécessaire implication des investisseurs
Il faut toutefois que les investisseurs institutionnels adoptent également une approche de long terme dans la sélection de leurs gestionnaires d’actifs et l’évaluation de la performance de leurs investissements. À cette fin, ils pourraient établir un barème de commissions basé sur des objectifs de performance à long terme – un horizon de cinq ans nous semble approprié dans la mesure où cela correspond peu ou prou à la durée d’un cycle d’investissement.
Les dirigeants travaillant chez des investisseurs institutionnels doivent également être jugés sur le long terme. S’ils sont jugés sur leur performance sur un an, en aucun cas ils n’évalueront leur gestionnaire d’actifs sur la base de ses performances à long terme, ce même si l’objectif du fonds de pension est d’honorer ses engagements à long terme.
Outre un changement majeur par rapport aux pratiques actuelles, l’adoption d’une approche de long terme serait dans l’intérêt des investisseurs eux-mêmes. La plupart des investisseurs institutionnels ayant un horizon de long terme, ils ont tout intérêt à s’assurer de la pérennité de la croissance des entreprises dans lesquelles ils investissent.
4. Créer l’architecture nécessaire à la résolution des problèmes sociaux et environnementaux
– Allouer des capitaux en vue de résoudre des problèmes sur le long terme
Dans son ouvrage intitulé Finance and Good Society, l’économiste américain Robert Shiller a essayé de définir ce qui fait une « bonne » société et comment le secteur de la finance pourrait contribuer à améliorer le monde dans lequel nous vivons. En tant que mécanisme de transmission facilitant l’activité humaine, le système financier peut être utilisé à des fins qui vont au-delà du simple financement de l’économie. Il peut nous aider à atteindre les objectifs les plus ambitieux que notre société se doit de réaliser, tel qu’accroître le bien-être de tous les citoyens ou contribuer à préserver l’environnement.
La finance n’a pas pour seule vocation de faire du profit, elle doit aussi promouvoir la prospérité, l’égalité et la sécurité financière. Il ne devrait pas exister de contradiction entre la réalisation de profits et l’objectif ultime de la finance, qui peut être source de profits. Si les profits sont essentiels à la survie d’une entreprise, ils ne constituent pas nécessairement sa finalité. De même, si l’eau est essentielle à l’être humain, boire de l’eau ne suffit pas à donner un sens à la vie.
La prospérité se définit non pas seulement selon des critères monétaires comme le revenu ou le patrimoine, mais comme l’accumulation de solutions répondant aux problèmes auxquels tout être humain est confronté. En ce sens, la gestion d’actifs ne consiste pas seulement à allouer des capitaux : elle contribue aussi à orienter les investissements de façon à aider à résoudre les problèmes de la société.
Par conséquent, outre l’appréciation des actifs de leurs clients, les sociétés de gestion d’actifs peuvent avoir une incidence positive sur la société. Ainsi, dans le passé, les fonds communs de placement ont été développés afin de permettre à des particuliers de diversifier leurs actifs, aidant ainsi davantage de personnes – pas seulement les plus riches – à accroître leur patrimoine. Plus récemment, l’émergence des robots-conseillers a contribué à l’élargir l’accès aux outils de gestion d’actifs.
Près de 1 400 détenteurs et gestionnaires d’actifs ont déjà signé les Principes pour l’Investissement Responsable des Nations Unies. Ces principes encouragent les gestionnaires d’actifs à être meneurs dans le milieu de l’entreprise et ont contribué à améliorer considérablement la gouvernance via le vote par procuration des gestionnaires d’actifs et l’engagement du dialogue en faveur d’un meilleur comportement des entreprises.
Cette tendance se retrouve également au sein de notre clientèle. Nos investisseurs sont de plus en plus nombreux à devoir montrer à leurs partenaires que leurs investissements ont une incidence positive au-delà de la simple création de valeur. Outre la maximisation du potentiel de performance et le contrôle de la volatilité, ils peuvent ainsi nous demander de prouver le nombre d’emplois créés ou de crédits accordés en vue du financement de la croissance économique grâce à leurs investissements. Dans ce contexte, la relation entre les détenteurs d’actifs et les gestionnaires évolue, les investisseurs ayant des exigences sociétales croissantes à l’égard de leurs gestionnaires.
– Contribuer à la lutte contre le changement climatique
Depuis quelques années, les investissements à faible intensité de carbone ont le vent en poupe. Face aux inquiétudes croissantes concernant le changement climatique et aux pressions grandissantes émanant des États, des universités, des groupes religieux et des organisations non gouvernementales, les investisseurs accordent de plus en plus d’importance au risque carbone au sein de leurs portefeuilles. Cela est particulièrement vrai pour les investisseurs sur le long terme comme les régimes de retraite, les compagnies d’assurance et les fonds souverains.
Les investisseurs, et en particulier les détenteurs d’actifs, subissent de plus en plus de pressions pour honorer leurs obligations fiduciaires en termes de reporting et de réduction des émissions de carbone. La régulation du risque carbone et la réputation liée à celui-ci n’étant pas récompensées, ce risque doit être identifié et limité.
Les gestionnaires d’actifs pourraient grandement contribuer à faciliter la transition vers une économie à faible intensité de carbone. Ils peuvent y parvenir de différentes façons, en contrôlant leur exposition aux entreprises impliquées dans l’extraction et le traitement des combustibles fossiles et en restant à l’écart des entreprises affichant de fortes émissions de CO2, ainsi qu’en finançant les projets dans le secteur de l’énergie renouvelable. En fait, ces dernières années, les gestionnaires d’actifs ont clairement eu tendance à investir délibérément dans des entreprises développant des sources d’énergies alternatives, à la fois pour leur fort potentiel de performances et leur capacité à réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles.
Conclusion
Les répercussions de la crise de 2008 continuant d’affecter l’existence de millions de personnes dans le monde, il n’est guère surprenant que l’opinion publique reste globalement très sceptique à l’égard du secteur financier. Mais cette méfiance pourrait être selon nous un puissant levier au service du bien.
En particulier, les gestionnaires d’actifs ont un rôle essentiel à jouer dans la résolution de certaines problématiques les plus pressantes auxquelles notre monde est actuellement confronté et doivent montrer leur capacité à mettre au point des solutions d’investissement efficaces capables de relever les défis actuels et de contribuer au financement d’une croissance économique durable.
Notre position en tant qu’intermédiaire entre les fournisseurs de financements et les entités qui en ont besoin est idéale. Nous devons mettre à profit l’occasion qui nous est offerte d’améliorer le monde dans lequel nous vivons tout en accroissant la valeur des actifs de nos clients. Si nous y parvenons, nous serons à nouveau en mesure de légitimer l’existence du secteur aux yeux du public.