Islande : l’horizon s’éclaircit

par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas

  • L’Islande sort progressivement de la profonde crise financière de 2008, qui a mis à mal son modèle économique, reposant sur un système bancaire hypertrophié.
  • Les perspectives sont encore sombres. L’économie peu diversifiée devrait très progressivement renouer avec la croissance, tout en mettant en œuvre le nécessaire assainissement de ses finances privées et publiques. – Dans ces conditions, la Banque centrale ne devrait pas lever rapidement le contrôle des changes introduit fin 2008.

 

Les conclusions de l'enquête de la commission spéciale du Parlement visant à déterminer comment et pourquoi le système bancaire s'est effondré en 2008 viennent d’être rendues publiques. Elles soulignaient la responsabilité du Premier ministre et des principaux dirigeants de l'époque, ainsi que la croissance trop rapide et disproportionnée des banques de l'île. A l’automne 2008, l’Islande, dont le dynamisme reposait sur un secteur financier hypertrophié (passé d’une fois à dix fois le PIB islandais entre 2004 et 2007), a été touchée de plein fouet par la crise économique et financière mondiale. Pour éviter leur faillite, le gouvernement a nationalisé les trois premières banques commerciales du pays (Kaupthing, Glitnir Bank et Landsbanki), confrontées à des difficultés majeures de refinancement sur les marchés financiers. L’effondrement de la couronne islandaise (plus de 70% contre dollar et de 50% contre euro) a été stoppé, à l’automne 2008, par la mise en place de mesures de contrôle des changes, conjointement au relèvement de 600 points de base des taux d’intérêt de la Banque centrale. Après une série de manifestations durant l'hiver 2008-2009, le Premier ministre, Geir Haarde, démissionnait, et le nouveau gouvernement avait immédiatement démis de ses fonctions le gouverneur de la Banque centrale, David Oddsson, artisan de la dérégulation financière des années 1990.

Lente sortie de crise

En 2009, la contraction de l’économie islandaise a été de 6,4%, la plus forte de l’après-guerre. Les perspectives sont encore très mitigées, cette année. Le PIB reculerait encore de plus de 3%. Le nécessaire ajustement des comptes des agents privés, entreprises, ménages et institutions financières, lourdement endettés pèsera sur la reprise. La demande interne devrait rester déprimée. Après avoir chuté de 14% en 2006, la consommation privée reculerait d’environ 3% en 2010. Les ménages devraient favoriser la reconstitution de leur épargne, compte tenu du repli attendu des revenus, dans un contexte où leur richesse financière a chuté (le marché immobilier a plongé) et les perspectives d’évolution du chômage demeurent négatives. A 1% en janvier 2008, le taux de chômage est passé à plus de 9% en mars 2010. Il devrait poursuivre son ascension cette année pour culminer à 10% avant de reculer en 2011, en ligne avec la reprise progressive de l’activité. A cet égard, l’Etat, premier employeur du pays, met en place une politique de rigueur qui s’articule, entre autres mesures, autour de la maîtrise des dépenses salariales dans la fonction publique. En outre, à plus de 16% en 2009, l’inflation ne devrait reculer que progressivement et continuer, par conséquent, de grever le pouvoir d’achat des ménages. Enfin, le report de projets publics dans le secteur de l’aluminium entraînera une contraction de l’ordre de 5% de l’investissement des entreprises, qui s’était déjà effondré en 2009 (en recul d’environ 50%).

Par ailleurs, l’Islande ne bénéficiera que partiellement de la reprise mondiale, ses principaux partenaires commerciaux étant européens (Allemagne, Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni), en dépit de la dépréciation passée de la couronne islandaise contre euro (plus de 50% entre septembre et décembre 2008) et de la hausse des cours des matières premières en général et de l’aluminium en particulier, qui représente près de 20% des exportations totales de l’île.

Face à la détérioration rapide des finances publiques, le gouvernement met en place une politique budgétaire prudente, avec le soutien du FMI. Tout en sauvegardant les principes de l’Etat providence, l’équilibre budgétaire devrait être rétabli à terme. En 2010, le déficit primaire devrait être de l’ordre de 3% et le déficit total de 11% du PIB. Toutefois, dès 2011, le programme de stabilisation des finances publiques prévoit un solde primaire à nouveau en excédent. Le solde public retrouverait l’équilibre en 2013.

Normalisation attendue de la politique monétaire

Après avoir atteint plus de 18% en janvier 2009, l’inflation1 s’est repliée régulièrement. A encore près de 8,5% en mars 2010, elle est encore loin de l’objectif de la Banque centrale islandaise (BCI)2. Toutefois la stabilisation de la couronne islandaise avec la mise en place du contrôle des changes a permis à la BCI de commencer à détendre sa politique monétaire et baisser régulièrement ses taux d’intérêt à partir de mars 2009. Le taux repo a été progressivement (en huit étapes) abaissé de 18%3 en mars 2009 à 9% en mars dernier. Cependant, comme le soulignait les dernières minutes de la réunion de la Banque centrale en mars, les incertitudes concernant le financement de la dette extérieure sur les marchés financiers limitent la poursuite immédiate de la politique de normalisation.

Reprise en avril du programme d’aide bilatéral

A la mi-avril 2010, en dépit des difficultés à trouver un accord avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas concernant l’indemnisation des comptes Icesave, le FMI a approuvé un nouveau versement de USD 160 millions. A ce jour, l’Islande a déjà reçu plus de la moitié des fonds accordés par le FMI à l'Islande (au total USD 2 120 millions). Par ailleurs, l’organisme a également annoncé que, à la demande de l'Islande, ce prêt avait été "prolongé de trois mois, jusqu'au 31 août 2011, pour compenser les retards pris pour parvenir à ce versement". Dans les conclusions de son rapport, l’organisme rappelait que la poursuite du processus de restructuration de la dette privée est un élément essentiel de la résolution de la crise économique et financière que traverse le pays. Par ailleurs, la nouvelle stratégie de gestion de la dette publique devrait réduire les risques d’effet boule de neige, tout en soutenant à moyen terme une reprise durable. Enifn, le FMI estime que le contrôle des changes doit encore être maintenu, compte tenu des incertitudes persistantes concernant le financement extérieur. Le déblocage de la troisième tranche du prêt du FMI constitue un signal fort à l’intention des marchés financiers et Etats souverains engagés auprès de l’Islande.

En effet, la direction du FMI a toujours considéré que le règlement de ce litige n'était pas une condition au versement de son aide, mais était soumis aux décisions de ses États membres. Ainsi, deux jours après le FMI, la Suède, la Norvège, la Finlande et le Danemark ont annoncé le déblocage de la seconde tranche de EUR 440 millions du prêt accordé à l’Islande (d’un montant total de EUR 1,8 milliard). Le 22, avril, le Parlement allemand votait une résolution favorable à l’entrée de l’Islande en tant que membre à part entière de l’Union européenne4. Le 23 avril, Moody’s relevait de négative à stable la perspective de la note Baa3 de la dette souveraine islandaise, pour prendre en compte l’amélioration des financements extérieurs du pays grâce à la reprise des versements du FMI et des pays nordiques. 

L’économie islandaise demeure peu diversifiée. La filière pêche représente près de 60% des exportations totales de l’île.

Toutefois, le pays n’en dispose pas moins d’importants atouts, tels que le bon état de ses infrastructures, l’absence de corruption et une main-d’œuvre jeune et qualifiée. Ceux-ci seront précieux pour mettre en place le plan d’assainissement des finances publiques ainsi que la réforme du système financier. A court terme, la recapitalisation des banques d’épargne d’ici fin mai, la poursuite de la restructuration du secteur bancaire et le renforcement des autorités de supervision et de régulation du secteur financier sont prioritaires.

NOTES

  1. Mesurée par l’indice national des prix à la consommation.
  2. L’objectif central d’inflation de la BCI est en moyenne proche de 2,5%. Le gouverneur est tenu d’expliquer au gouvernement tout écart de plus de 1,5% de part et d’autre de l’objectif central. Par ailleurs, la BCI doit soutenir la politique économique du gouvernement, dans la mesure où cette dernière n’entre pas en conflit avec son objectif de stabilité des prix.
  3. Le taux repo avait été remonté à ce niveau historique en octobre 2008 pour endiguer le plongeon de la couronne, concomitamment à l’introduction de mesures de contrôle des changes.
  4. En juillet 2009, l’islande a déposé une demande de candidature à L’Union européenne. Fin février, la Commission européenne se disait favorable à l’ouverture de négociations dans ce sens, jugeant le pays à un stade suffisamment avancé de préparation, dans les domaines public, économique et législatif.

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