par Paola Monperrus-Veroni et Delphine Cavalier, Economistes au Crédit Agricole
• De bonnes nouvelles sur le front de la croissance avec une révision à la hausse de la première estimation de croissance du PIB au T1 2017.
– L’acquis de croissance pour l’année 2017 en moyenne annuelle est de 0,9%, ce qui nous conduit à réviser à la hausse notre scénario de croissance pour 2017 (à +1,4% contre 1,1%).
– Le ralentissement anticipé de la consommation privée n’a pas eu lieu et celle-ci s’est au contraire renforcée.
– La chute de l’investissement productif est difficile à interpréter alors qu’il bénéficie de mesures d’incitation fiscale et qu’il a montré des signes de renforcement tout au long de l’année 2016.
• Le Parti Démocrate de Renzi tend une main à Forza Italia, le parti de Berlusconi. Pour ce faire, le projet de réforme de la loi électorale qu’il propose s’oriente vers un système proportionnel qui pourrait ramener Forza Italia sur la scène politique, alors que ce parti voit sa base électorale érodée à la fois par le mouvement antisystème cinq étoiles et par la Ligue du Nord.
• Du côté du secteur bancaire, malgré l’éligibilité de trois banques en difficulté à la recapitalisation pré- ventive selon les termes de la BRRD, le parcours n’a rien d’une sinécure.
– Le renflouement effectif par l’État semble à portée de main pour Monte Paschi, mais celui de Popo- lare di Vicenza et de Veneto Banca demeure un point de crispation politique et financier.
– Dans un jeu tactique entre de multiples intervenants officiels et privés, l’État est tenu de faire par- ticiper le secteur privé à la recapitalisation de ces deux banques avant sa propre intervention.
– L’appel à la solidarité de place est affaibli par les précédents sauvetages et contributions extraordinaires qui se succèdent depuis un an et demi, sans assurance que cette fois sera la dernière, mais avec la poursuite probable de la hausse des charges systémiques cette année.
– Pourtant, une nouvelle solution de système paraît la seule possible pour ouvrir la voie à la recapitalisation préventive et éviter le bail in.
Macroéconomie : la croissance surprend à la hausse
De bonnes nouvelles sur le front de la croissance avec une révision à la hausse de la première estimation de croissance du PIB au T1 2017 (+0,4% sur le trimestre contre une première estimation à 0,2%) et aussi sur la fin 2016. L’acquis de croissance pour l’année 2017 en moyenne annuelle est de 0,9%, ce qui nous conduit à réviser à la hausse notre scénario de croissance pour 2017 (à +1,4% contre 1,1% précédemment) et 2018 (+1,3% contre 1,1%). Le ralentissement anticipé de la consommation privée n’a pas eu lieu, celle-ci s’est au contraire renforcée. La baisse du taux d’épargne enregistrée fin 2016 s’est probablement poursuivie, mais la récente chute de l’inflation devrait permettre, dans le courant de l’année, le maintien d’un rythme de progression soutenu du pouvoir d’achat et donc de la consommation sans trop d’érosion du taux d’épargne. La contribution de la demande intérieure a été positive au T1 malgré la baisse inattendue de l’investissement, notamment dans sa composante productive. Cette chute est difficile à interpréter alors que l’investissement en ma- chines et équipement bénéficie de mesures d’incitation fiscale et qu’il a montré des signes de renforcement tout au long de l’année 2016.
Mais la contribution très positive des stocks (+0,4 point de PIB) à la croissance pourrait cacher une mauvaise répartition comptable entre variations des stocks et investissement. Nous continuons donc d’anticiper une accélération de l’accu- mulation de capital en 2017 et en 2018, tirée à la fois par le renforcement de l’investissement en machines et équipement et par la reprise de l’investissement en construction, notamment sous l’impulsion d’une redynamisation de la commande publique en plus de la commande privée. La reprise du commerce mondial semble avoir moins profité aux exportations italiennes qu’à la moyenne de la zone euro. Leur ralentissement s’accompagne de celui des importations mais est plus rapide, ce qui justifie une contribution négative du commerce extérieur à la croissance.
Politique : larges ententes en vue
Il y a un mois nous avions confirmé un scénario central prévoyant des élections au terme naturel de la législature, soit au printemps 2018, tout en actant que la probabilité d’élections anticipées en septembre 2017 avait augmenté. Entretemps, toute tentative de trouver une médiation sur un programme de gouvernement et sur la forme du nouveau système électoral entre le Parti démocrate (PD) de Renzi et les autres partis de gauche a échoué. La seule alternative pour le PD est donc celle d’envisager un gouvernement de coalition avec la deuxième force traditionnelle, la droite berlusconienne Forza Italia (FI). Bien que, pour des raisons électorales, l’idée d’une grande coalition ne soit pas ouvertement évoquée, une main a été tendue très clairement à FI avec la proposition d’un projet de réforme de la loi électorale qui s’oriente vers un système proportionnel. En abandonnant la logique majoritaire, chère à M. Renzi mais rejetée par les électeurs en novembre dernier et dans une version plus édulcorée par les autres partis de gauche et par S. Berlusconi, le PD ramène ce dernier sur la scène politique alors que FI voit sa base électorale érodée à la fois par le mouvement cinq étoiles (M5S) et par la Ligue du Nord (LN)
Le système électoral proposé est donc proportionnel, avec un seuil de 5%. Il permettrait d’élire une partie des candidats (225 députés sur 630 et 115 sénateurs sur 316) dans des collèges uninominaux, les autres dans des listes de partis bloquées Ce système a été étonnamment accepté par le M5S, malgré son caractère pénalisant pour le mouvement qui s’est toujours opposé à des coalitions. Les adhérents du M5S se sont exprimés à 95% en faveur de ce projet. Avec un barrage à 5%, selon ce système, seulement quatre partis (PD, M5S, FI et LN) seraient aujourd’hui représentés sans qu’aucun ne puisse espérer obtenir la majorité. Il oblige donc le PD de Renzi à une coalition avec FI. Une majorité avec une coalition des deux par- tis antisystème reste possible mais compliquée du fait de l’éloignement des programmes électoraux des deux partis. Le thème de l’euroscepticisme pourrait les unir, bien que le M5S ait montré un inconfort croissant vis-à-vis de cette thématique.
Le projet de loi électorale devait être voté à la chambre avant le 11 juin et au Sénat au cours de la première semaine de juillet. Mais plusieurs amendements ont été présentés et certains ont donné lieu à un vote contraire aux instructions des partis par des francs-tireurs, surtout au sein du M5S mais aussi du PD. Le projet de loi résultant du vote ne ressemble donc pas tout à fait à la version validée par les partis et le texte doit retourner dans les Commis- sions parlementaires afin de parvenir à un accord sur un nouveau projet. Entretemps, les chefs de parti se sont renvoyé la responsabilité de l’échec et le climat politique s’est envenimé. La crédibilité des grands partis est engagée sur ce vote. Même B. Grillo, qui multi- plie depuis les déclarations contrastées sur le sujet, de- vra bien prendre en compte le vote de ses militants. Mais le résultat défavorable du premier tour des élections municipales partielles le 11 juin dernier pourrait sonner comme un désaveu vis-à-vis de son accord avec les partis traditionnels.
À ce jour, la seule majorité possible pour le PD est une alliance avec FI, ce qui oblige à passer par le système proportionnel. Si un accord sur la loi électorale était trouvé, plus rien n’empêcherait M. Renzi d’aller aux urnes avant l’échéance de la législature. Il éviterait ainsi une érosion de con- sensus avec son soutien au gouvernement « technique » de Gentiloni, notamment si celui-ci se fait imposer un ajustement budgétaire important par la Commission européenne dans la loi de Finances pour 2018. Le fort capital politique que lui procurerait une victoire accroîtrait le pouvoir de négociation de l’Italie face aux partenaires européens et permettrait au nouveau gouvernement italien d’être au centre de la scène lors de la relance des discussions sur l’avenir de la zone euro par le couple franco-allemand après les élections d’outre-Rhin. Même si des élections anticipées entre le 17 et le 24 septembre 2017 sont en- core possibles en cas d’accord sur le système proportionnel avant la mi-juillet, ce calendrier serré en réduit la probabilité.
Secteur bancaire : le système résigné à participer à un nouveau sauvetage
À pas comptés, l’État italien tente de progresser sur le front des recapitalisations préventives, qui s’inscrivent dans le cadre de la BRRD, des trois banques en difficulté. Du côté de Monte Paschi (MPS), l’accord de principe de la DG Concurrence de la Commission eu- ropéenne obtenu début juin a levé les derniers points de blocage du plan prévoyant son renflouement. Les décrets et les détails du plan stratégique devraient être dévoilés prochainement. Du côté de Banco Po- polare di Vicenza (BPVi) et de Veneto Banca (VB), en revanche, les autorités italiennes sont toujours à la recherche des modalités d’une recapitalisa- tion privée à l’intérieur du schéma de la recapita- lisation préventive. Sur un besoin de fonds propres pour les deux banques estimé à 6,4 Mds€, qui devait initialement être comblé par les investisseurs subordonnés et l’État italien, la Commission a finalement jugé également nécessaire un apport de 1,25 Md€ de fonds privés qui seraient injectés au préalable et soustraits de la contribution publique1.
Le gouvernement continue de rejeter fermement l’option de la mise en résolution de ces deux établissements. Un bail in serait autrement plus coûteux financièrement, non seulement pour les banques mais aussi pour les déposants et les détenteurs de dette senior. Il s’accompagnerait en outre de retombées négatives pour l’économie régionale. Sauf revirement majeur de Bruxelles, le secteur bancaire italien est a priori voué à subir une nouvelle ponction fi- nancière. La question reste de savoir si l’effort sera obligatoire pour toutes les banques, comme lors du sauvetage de fin novembre 2015 moyennant trois annuités versées au Fonds de résolution national, ou volontaire, ainsi que le souhaite le gouvernement, comme lors de l’abondement du « schéma volontaire » du FITD l’été dernier pour 400 M€ ou de la création des fonds Atlante pour près de 6 Mds€ au printemps et à l’été 2016 (aux côtés de compagnies d’assurances et de fondations bancaires).
Dans le cas présent, si Intesa et Unicredit sont prêtes à apporter volontairement leur aide à BPVI et VB, elles n’y consentiraient toutefois pas seules. Or, une demande de contribution forcée adressée à l’ensemble du secteur ne tomberait pas au bon moment pour les banques de taille intermédiaire, qui, sans parler de MPS, se trouvent engagées dans des plans de restructuration (Banco BPM, UBI, BPER, Carige) imposés plus ou moins directe- ment par les autorités de supervision et de régulation nationales et européennes, et dont la mise en œuvre requiert, dans les cas de UBI et de Carige, une augmentation de capital. Carige a, de plus, aligné sa septième perte trimestrielle consécutive au T1 2017. Le gouvernement pourrait aussi solliciter les banques étrangères présentes en Italie.
La somme de 1,25 Md€ est pourtant limitée en comparaison de ce que le secteur bancaire avait versé pour le sauvetage de quatre petites banques populaires fin 2015 (3,6 Mds€). Ces entités étaient d’un poids comparable à celui de BPVi et VB dans les actifs bancaires totaux (1,6% pour BPVi et VB à fin 2016 versus 1,2% à fin 2015 pour les banques mise en résolution). Les huit grandes banques2 s’étaient acquittées de la moitié de l’abondement au Fonds de résolution (FDR), soit 950 M€ au titre des trois annuités extraordinaires et quelque 300 M€ au titre de l’annuité 2015 ordinaire. Pour les trois grandes banques en particulier, Intesa, Unicredit et UBI, qui avaient avancé les fonds au FDR sous la forme d’un prêt-relais, cette contribution avait repré- senté 10% à 30% de leur résultat net avant impôt cu- mulé sur les neuf premiers mois de 2015. Le poids de cette nouvelle intervention réparti sur l’en- semble du secteur serait donc en principe moins lourd sur les comptes, même si la profitabilité moyenne du secteur reste fragile et vulnérable aux poussées de coût du risque, comme au T4 2016. Les résultats au T1 2017 ont profité du reflux mécanique du coût du risque, mais les marges nettes d’intérêts ont continué de s’éroder pour l’ensemble du secteur. Le redressement de l’encours de crédit au secteur privé non financier reste extrêmement timide, et les taux proches de leurs plus bas historiques. Les huit grandes banques ont toutefois bénéficié de moindres charges d’intérêts liées aux TLTRO2.
La réticence des banques réside moins dans la charge financière que cette nouvelle opération représente (pour les huit grandes banques, cette charge s’ajouterait aux coûts systémiques ressortis à près de 2 Mds€ en 2016, en hausse de 9% sur un an) que dans le caractère récurrent, voire forcé, de leur mise à contribution, au prétexte qu’un bail in aurait des effets dévastateurs. Le gouverneur de la Banque d’Italie et certains officiels européens reconnaissent que les sauvetages selon les règles de la BRRD, appliquées sans une phase de transition suf- fisamment longue pour préparer les bilans, portent un risque d’affaiblissement pour tout le secteur. En outre, il n’est pas assuré que le renflouement de BPVi et de VB soit le dernier. D’où la nécessité de prendre le mal à la racine en poursuivant la cure d’assainissement des bilans. L’efficacité des nombreux projets de cessions en bloc de sofferenze à travers le secteur sera largement scrutée cette année et les suivantes. En avril, les sofferenze nettes sont restées stables à 77 Mds€ par rapport aux quatre mois précédents, mais sont de mieux en mieux provisionnées (62%). D’autres mesures au niveau européen devront être envisagées pour rendre la BRRD plus souple et moins traumatisante à appliquer.
NOTES
- Cf. Perspectives Italie – Secteur bancaire, L’Italie au banc d’es- sai du Mécanisme de Résolution Unique, 8 juin 2017.
- Intesa, Unicredit, Banco BPM, MPS, UBI, BPER, Carige, et Credem.