par Paola Monperrus-Veroni et Delphine Cavalier, économistes au Crédit Agricole
• La demande domestique se renforce au T1
• Rebond du PIB et du cycle manufacturier
• La demande intérieure tire la croissance
• Le climat des affaires s’améliore en avril
• La Commission européenne valide le budget 2016
• L’Italie bénéficie de marges budgétaires inespérées
• Renzi peut se concentrer sur la campagne pour le référendum constitutionnel d’octobre
• Rendez-vous est donné par la Commission à l’automne sur le budget 2017
• Au T1, les résultats mitigés des banques n’ont pas surpris. Le PNB a pâti du repli des commissions nettes sous l’effet de la chute des marchés, et de l’érosion continue du produit net d’intérêts. La hausse du profit net sur le trimestre n’a reposé que sur la baisse du coût du risque et des frais géné- raux.
• Le manque d’allant de la croissance du crédit continue de décevoir et ne rend que plus cruciale l’amélioration de la gestion des crédits à risque qui pèsent sur les bilans. Le fonds Atlante fait ses premiers pas et porte le poids du doute quant à sa puissance de feu sur le marché des sofferenze.
Macroéconomie : un modeste mieux
L’économie mondiale a laissé derrière elle le creux du cycle manufacturier de l’été et les ajustements qui s’en sont suivis, et l’économie italienne aussi. L’année 2016 commence bien, avec une accélération du PIB (+0,3% sur le trimestre après un T4 2015 révisé à la hausse à +0,2%) en ligne avec notre prévision. A l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas encore les composantes du PIB, mais il est certain que la croissance a été tirée par la demande intérieure et que la contribution des exportations nettes a été négative. Une accélération de l’investissement et une bonne tenue du rythme de consommation sont fort probables. La croissance du PIB a pu s’appuyer sur le dynamisme retrouvé de la production industrielle, qui, grâce à un rebond en janvier et malgré son ajustement à la baisse en février et sa stagnation en mars, a pu marquer une nette accélération au T1 (+0,6% après 0% au T4 2015). Le déstockage encore en cours au T1 dans le secteur toucherait à sa fin et ne viendrait plus amputer la croissance au cours des prochains mois. Après le sursaut du début d’année, le ralentissement de l’activité en février et mars laisse un acquis de croissance négatif au T2 (-0,3%) dans l’industrie, mais nous anticipons un redressement de la production au vu de carnets de commandes qui continuent de se garnir, notamment grâce au marché intérieur. La remontée de la confiance des entreprises dans l’industrie est modeste mais ininterrompue depuis deux mois, et les producteurs signalent une amélioration des perspectives de production et de commandes. Les ventes au détail, qui avaient retrouvé une croissance positive depuis janvier, se sont de nouveau repliées en mars, mais les immatriculations ont crû de 20% au T1 2016, en accélération par rapport aux rythmes déjà très soutenus de 2015. L’indice PMI dans les services se redresse dans toutes ses composantes en avril après avoir touché son plus bas niveau en mars sur un an, mais le rythme d’expansion du secteur reste modeste.
Nous n’anticipons donc pas d’accélération de la croissance du PIB au T2 (0,3%), mais celle-ci devrait se renforcer au deuxième semestre au rythme de 0,4% par trimestre. Cette accélération de la croissance pourrait s’appuyer sur une reprise de l’investissement productif. Les entreprises de l’industrie et des services ont révisé à la hausse leurs intentions d’investissement dans l’enquête de la Banque d’Italie ainsi que dans celle de la Commission européenne. La croissance de l’emploi reste également soutenue en mars (+0,4% sur le mois) et permet une nouvelle baisse du taux de chômage à 11,4%, même si l’INPS signale une baisse des embauches en CDI au T1 2016 du fait de la baisse de la générosité du dispositif d’incitation par rapport à 2015.
Notre prévision table donc sur un taux de crois- sance de 1,1% en moyenne annuelle en 2016 sans modifications par rapport à notre scénario de mars. Nous avons été rejoints par la plupart des institutions internationales (OCDE, FMI, Commis- sion) qui ont révisé leurs prévisions à la baisse, de même que le Consensus des prévisionnistes.
Politique : l’Europe en soutien de Renzi
Le gouvernement italien engrange un succès politique avec l’acceptation par la Commission de toute la flexibilité budgétaire demandée. L’Italie peut faire valoir un respect du critère de 3% de déficit en 2015 (2,6%) mais, avec une baisse prévue à 2,3% en 2016, elle creuserait le déficit structurel de 0,6 point de PIB. Or, selon les règles, elle devrait le réduire de 0,5 point, faute de quoi elle encourrait une procédure pour déficit excessif. Cette flexibilité (0,85 point) lui permet une dégradation du déficit structurel de 0,35 point en 2016. L’Italie va donc devoir produire un ajustement de 0,25 point par rapport à ses objectifs, mais c’est néanmoins une victoire. Déjà en juillet, la Commission avait prévu un écart pour prendre en compte les réformes structurelles et l’investissement public dans le cadre du plan Juncker.
En outre, l’Italie demandait la prise en compte des dépenses pour les migrants et pour la sécurité, qu’elle a obtenue. Comme le Commissaire Moscovici l’a affirmé, il ne s’agit là pas d’un privilège mais d’un droit selon la nouvelle interprétation des règles européennes depuis janvier 2015, inspirée du principe selon lequel la politique budgétaire doit être un facilitateur des réformes structurelles.
Pour l’année en cours, le gouvernement bénéficie donc du répit laissé par cette flexibilité dans l’interprétation des règles, mais aussi par une politique monétaire qui lui permet de gagner des marges budgétaires (charges d’intérêts rédui- tes, -0,2 point en 2016) et d’une moindre sensibilité des marchés à tout dérapage budgétaire. Cette victoire permet au gouvernement de passer le cap difficile des élections locales de juin et du référendum sur la réforme de la constitution d’octobre, au résultat duquel le Premier ministre Renzi a conditionné son maintien au pouvoir.
Ce dernier gagne donc un délai pour faire face à une campagne électorale riche en écueils, y compris à l’intérieur de son parti. Mais rendez-vous est pris en novembre par la Commission pour évaluer le respect des règles en 2017. Cela demandera un changement d’orientation de la politique budgétaire dans un sens restrictif après deux ans de politique légèrement expansionniste. L’heure du bilan va vite arriver pour le gouvernement, qui pourra peut-être compter encore sur un peu de flexibilité en 2017. Mais il devra plus clairement afficher une véritable stratégie de réduction de la dépense pour pouvoir mettre en place la nouvelle vague d’allégement d’impôts déjà annoncée.
Secteur bancaire : la qualité du crédit au cœur des dernières mesures
Au T1 2016, les neuf premières banques1 ont dégagé un résultat net agrégé en forte hausse sur un trimestre mais en baisse sensible sur un an (cf. tableau). Les profits ont bénéficié de la pour- suite de la baisse des coûts opérationnels, toujours au centre des plans stratégiques, et de celle du coût du risque. La réduction de l’effort de provisionnement tend toutefois à se stabiliser sur un an, au vu du niveau plus conforme du taux de couverture moyen des crédits à risque (46% fin 2015, 58% pour les sofferenze). Le rebond trimestriel du résultat net s’explique aussi par une moindre contribution au Fonds de Résolution. Au T4 2015, les banques avaient en effet versé trois annuités extraordinaires pour le sauvetage de quatre banques.
Sans surprise, le produit net bancaire agrégé a enregistré une baisse marquée. Le produit net d’intérêts a reculé sous l’effet d’une érosion sup- plémentaire de la marge nette d’intérêts (taux créditeur moyen – coût de financement moyen), conjuguée à une faible croissance du crédit. Simultanément, l’évolution extrêmement néga- tive des marchés a fait reculer les commissions nettes alors que celles-ci prennent une part croissante dans les revenus récurrents depuis 2012. Pour les mêmes raisons, les gains nets tirés des activités de négociation et de couverture ont lourdement chuté après une année 2015 dominée par des conditions de marché plus porteuses.
A l’échelle du système, la croissance du crédit reste sans élan. Certes, les conditions d’offre se sont desserrées depuis la récession, et les TLTRO2 devraient se révéler légèrement bé- néfiques pour la dynamique du crédit. L’octroi de crédit reste néanmoins prudent eu égard au niveau élevé du risque de crédit. D’après les statistiques BCE de mars, corrigées des titrisations et d’autres effets, l’encours des prêts au secteur privé non financier (-0,1% sur un an en mars) ne décolle toujours pas depuis le printemps 2015, et les évolutions sous-jacentes ne suggèrent pas d’accélération prochaine2. La reprise du crédit aux ménages (+1,8%) reste tirée par le crédit à la consommation. En regard, la progression de l’encours des crédits habitat demeure très ténue, la production nouvelle étant toujours en large part portée par les renégociations. La baisse de l’encours des prêts aux entreprises (-1,6% sur un an) répond à une production encore en fort retrait, ce qui reste symptomatique du risque de crédit élevé et d’un manque d’investissement productif.
Bien que stabilisé depuis l’été dernier, le stock de crédits non performants bruts des provisions reste important (341 Mds€ en décembre 2015 sur le périmètre Centrale dei Rischi, soit environ 20% du PIB). En mars, l’encours brut des seules sofferenze sur le même périmètre était de 197 Mds€. Grâce aux provisions constituées, les encours nets sont toutefois bien moindres (resp. 186 Mds€ et 84 Mds€).
L’amélioration de la qualité des actifs reste l’objectif commun des réformes bancaires mises en œuvre depuis 2015, et plus encore depuis le lancement en avril du fonds Atlante3. Une des deux missions de ce fonds sera de soute- nir le marché de la titrisation des sofferenze par l’acquisition de tranches junior, les tranches senior pouvant bénéficier de la garantie d’Etat (méca- nisme GACS). En outre, deux mesures clés ont été adoptées pour réduire les longs délais (7-8 ans en moyenne) de recouvrement des collatéraux, en per- mettant de contourner un système judiciaire dys- fonctionnel en matière de règlement des litiges commerciaux. Si elles agiront surtout sur les crédits futurs et en cours de négociation, elles n’en constituent pas moins un instrument effi- cace à la disposition des banques qui, avec l’aide d’Atlante, des GACS et des dernières mesures, ont davantage de cartes en main pour lancer une nouvelle vague de nettoyage de leurs bilans. L’inconnu reste le levier dont dispo- sera Atlante pour investir dans les tranches junior, une fois passées ses interventions dans les augmentations de capital de Popolare di Vicenza (BPVI) – dont Atlante a dû prendre le contrôle pour éviter sa mise en résolution – et de Veneto Banca, prévues début juin, dans le cadre de sa première mission. En outre, cette dernière opération va coïncider avec celle de BP, ce qui ne sera pas fa- vorable à Veneto Banca. La question de l’accroissement des moyens d’Atlante se pose déjà.
Les fusions sont restées au point mort depuis l’annonce début mars du mariage entre BP et BPM. En revanche, dix offres non contraignantes de fonds d’investissement étrangers ont été reçues en mai pour la reprise des quatre banques relais4, qui doit être achevée avant la fin septembre. Par ailleurs, Unicredit, tirant les leçons de son retrait en amont de l’augmentation de capital de BPVI, est sur le point de changer de gouvernance et d’annoncer une levée massive de capitaux et/ou des cessions d’actifs pour renforcer sa solvabilité.
NOTES
- Unicredit, Intesa, Monte dei Paschi, UBI, Banco Popolare (BP), Banca Popolare di Milano (BPM), BPER, Credem et Carige, soit 56% des actifs bancaires italiens totaux.
- D’après l’ABI, les chiffres d’avril ne seront pas meilleurs.
- Doté de 4,3 Mds€.
- Nuova Banca Marche, Nuova Banca Etruria, Nuova Carife, Nuova Carichieti.