Italie : le point sur la situation

par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique, et Olivier de Larouzière, directeur gestion taux d’intérêt, pôle d’expertise Taux de Natixis Asset Management

Le risque politique est bruyamment réapparu ce week-end en Italie avec la décision de Silvio Berlusconi de revenir sur la scène politique, un an après son départ au plus fort de la crise et la mise en place du gouvernement mené par Mario Monti. Le parti de Silvio Berlusconi a retiré son soutien au gouvernement en s’abstenant lors de votes au Sénat. L’élan réformiste (mesures pro-croissance, lois anti-corruption, réformes électorales) a donc subi un sérieux revers. En conséquence, Mario Monti démissionnera après le vote du budget 2013 prévu cette semaine.

La démission de Mario Monti a provoqué un choc puisque le premier ministre italien était très respecté en dehors de l'Italie et par la communauté financière. Dans le même temps le fait générateur traduit aussi la fragilité sur laquelle était construit le gouvernement de "technocrates" qui dirigeait l'Italie.

Cette démission précipite les élections italiennes. La dissolution pourrait être annoncée le 21 décembre par le président Napolitano lors de la traditionnelle conférence de presse de fin d'année. Les élections devront alors se tenir dans un délai de 45 à 70 jours après la dissolution soit entre la mi-février et la mi-mars 2013.

Si les sondages sont aujourd’hui nettement favorables au centre-gauche mené par Pierliuigi Bersani, une coalition au centre sera nécessaire pour obtenir une majorité parlementaire. La stabilité d’une telle coalition sera rapidement mise à l’épreuve de la poursuite de la consolidation budgétaire et des réformes de structure.

D’autres incertitudes existent, notamment liées à l’importance du vote protestataire (le mouvement de Beppe Grillo est crédité de 15 à 20 % des votes dans les sondages) et au rôle de Mario Monti dans le futur gouvernement. S’il renonce à son statut de sénateur à vie, l’ancien commissaire européen pourrait se lancer dans la course électorale et tenter de fédérer le centre réformiste (malgré une opinion publique moins favorable en raison de la profonde récession et des coupes budgétaires). Dans cette hypothèse, Mario Monti pourrait rester Premier Ministre.

Décryptage macroéconomique

Plusieurs questions sont posées par cette démission et le renouvellement du gouvernement italien.

1 – Le gouvernement Monti avait été mis en place sous la pression de l'Allemagne et de la France afin de permettre à l'Italie de retrouver une dynamique de croissance plus robuste tout en rééquilibrant ses comptes publics. Le bilan de Mario Monti indique la mise en place de réformes fiscales fortes pour permettre le rééquilibrage des comptes publics. Cependant, ces mesures drastiques, notamment pour le consommateur, se sont traduites par une récession profonde de l'économie italienne.

L'objet des réformes structurelles est de permettre à l'économie italienne de trouver une plus grande autonomie de croissance. Pour l'instant il y a eu des avancées notamment sur les retraites et sur des aspects liés à la concurrence mais l'Italie est au milieu du gué. Des réformes plus profondes sont attendues sur le marché du travail (celle proposée n'est pas passée au parlement) ou sur le secteur financier.

Le sentiment est qu'en rester là ne permettra pas à l'économie italienne de retrouver une dynamique de croissance autonome. L'ajustement budgétaire très brutal et le début des réformes à l'œuvre ont fragilisé le support populaire de ce gouvernement et de Mario Monti. C'est pour cela que des opportunités sont apparues au sein même de la majorité qui soutenait le gouvernement.

2 – Cette problématique des réformes est importante pour l'ensemble de l'Europe. En effet, au regard de l'économie globale il n'y a pas de région du monde susceptible de créer une impulsion provoquant un effet fort sur la croissance des pays européens. Cette absence de leadership, habituellement en provenance des États-Unis, oblige les pays d'Europe à définir un mode de croissance plus autonome. C'était l'objet des réformes structurelles que Mario Monti souhaitait mettre en place.

Des problématiques du même ordre sont, ou doivent, prochainement être à l'œuvre en Espagne, en France ou au Portugal. Ces pays connaissent, en effet, une dynamique conjoncturelle médiocre et doivent s’adapter à une dynamique globale changeante avec notamment l'apparition au premier plan des pays émergents, des changements technologiques majeurs ou encore des choix forts sur le plan énergétique. Ces économies doivent s'adapter rapidement à ce nouvel environnement.

La situation en Italie va être déterminante car si un gouvernement de coalition est élu, on ne peut exclure que faire des réformes deviendra plus complexe et moins radical. Au regard du poids de l'Italie, une telle situation pourrait avoir un effet de contagion vers d'autres pays européens limitant alors la capacité de l'Europe à se réformer et à retrouver in fine une capacité à retrouver le chemin de la croissance dans la durée et à créer des emplois.

L'enjeu implicite est cette trajectoire que l'on souhaite plus robuste pour l'économie européenne afin qu'elle engendre davantage d'autonomie et d'emplois. L'exemple italien sera donc essentiel.

3 – On peut concevoir le geste de Mario Monti comme un moyen de court-circuiter son prédécesseur au poste de premier ministre. Celui-ci souhaitait, en effet, faire de Mario Monti sa cible lors des élections prévues au printemps. Il visait une option populiste anti-Monti, anti-euro…

En agissant rapidement et au regard de ses récentes déclarations relatives à son souhait de continuer à jouer un rôle majeur, l'actuel premier ministre peut aussi chercher à disposer d'une légitimité démocratique qu'il n'avait pas jusqu'alors. S'il est élu dans ce cas, il pourra s'appuyer sur une "vraie" majorité et mettre en œuvre une stratégie ambitieuse pour l'Italie.

La question posée est alors celle de la majorité sur laquelle il s'appuiera. La scène politique italienne est en recomposition avec l'arrivée au premier plan de Pier Luigi Bersani à la tête du parti démocrate (centre gauche), mais aussi l'émergence du parti populiste de Beppe Grillo. Bersani souhaite s'allier à Monti mais n'a pas de majorité. Une coalition, si elle se met en place, devra être réduite pour permettre de réformer sans avoir à trop "composer" avec une majorité qui peut parfois être multiforme et, de ce fait, paralysante.

L’enjeu est fort pour l’Europe mais il reste encore un peu de temps avant les élections qui devraient être programmées en février – mars 2013. Le risque est que la situation se radicalise dans l'attente de celle-ci et que le schéma sorte de l'épure que chacun souhaite voir se mettre en place. Il y aurait alors un risque d'instabilité sans que le gouvernement de transition ait la capacité d'intervenir. Il n'aura pas, en effet, la légitimité pour demander de l'aide à la BCE pour calmer les éventuelles tensions sur les marchés de taux d'intérêt.

Le point de vue de la gestion

Pour les marchés financiers, la principale implication de la démission de Mario Monti est que le gouvernement (qui gèrera les affaires courantes jusqu’aux élections) n’aura plus autorité pour activer l’OMT (le plan de soutien de la BCE) en cas d’emballement du marché obligataire. Le "bruit politique" au cours d’une campagne électorale, même raccourcie, pourrait également être vecteur de volatilité.

Et la situation italienne semble clairement aujourd’hui susceptible d’engendrer des situations extrêmes de volatilité, même temporaire. C'est à cela qu'il faudra être attentif pour éviter toute divergence qui serait problématique pour l'Italie, mais aussi pour l'Europe.

Dans ce contexte d'incertitude, la dette italienne s'est donc tendue avant-hier, le 10 décembre, de 29 bp à 4,80 % sur le 10 ans comme en témoigne l’historique, pour retrouver les niveaux de novembre. Mais elle est encore largement sur les plus bas de l'année.

Nous étions précédemment +1 (échelle allant de -2 à +2) sur toutes maturités, ce qui signifiait que nous anticipions une surperformance de la dette italienne contre dette allemande.

Nous avons décidé de revenir à la neutralité sur toutes les maturités en cette fin d'année.