par Simon Somerville, gérant du fonds JGF Japan Select chez Jupiter Asset Management
Un récent voyage au Japon a été l’occasion de mesurer l’impact des Abenomics sur les entreprises nippones, notamment sur leur profitabilité, ainsi que sur le moral de la population. Cela a également permis de mieux appréhender auprès de politiciens et de hauts- fonctionnaires dans quelle direction allait être tirée la « troisième flèche » de Shinzo Abe.
Shinzo Abe a profité de la trêve estivale pour travailler à une feuille de route sur la mise en place de ses différentes réformes et de sa politique de croissance d’ici la fin de l’année, encouragé par les bonnes nouvelles économiques dans le pays.
En effet, la croissance du PIB pour le 2ème trimestre de l’année fiscale a été revue à la hausse pour atteindre 3.8% annualisé, prouvant, selon nous, l’efficacité de la politique d’Abe. Cela se traduira très certainement par une hausse de la taxe à la consommation en avril prochain qui passerait de 5 à 8%. A vrai dire, l’idée étant intégrée par tous nos interlocuteurs, nos discussions ont plus portées sur le montant que les mesures de relance vont devoir atteindre pour contrebalancer l’effet de cette hausse des taxes. La décision concernant ces mesures de relance devrait être annoncée le même jour que celle sur la hausse de l’impôt (le 1er octobre) et cela devrait prendre la forme de subventions sur les voitures, l’immobilier ou encore l’investissement des entreprises en capital, pour un montant dépassant les 5 trillions de yensi.
Les rumeurs concernant une baisse des impôts sur les sociétés ont enflé lors de notre présence au Japon. Il faut dire que le taux actuel est de 38% ! Les discussions sur ce sujet devraient durer selon nous pendant les 6 prochains mois et la baisse devrait être effective en mars 2016. La bonne surprise serait que cela soit une revue plus complète du régime fiscal des entreprises qui est pour l’instant archaïque.
Les profits des sociétés restent robustes. Au premier trimestre les profits nets des entreprises listées dans le Topix ont crû de 94%ii et cette tendance devrait être confirmée par les chiffres du deuxième trimestre. Les bénéfices vont clairement dépasser les prévisions et cela devrait se traduire par une hausse des dividendes.
Une session extraordinaire de la Diète (le Parlement) se tiendra le 15 octobre prochain pour mettre en place les axes principaux de la troisième flèche d’Abe, parmi lesquels la réforme de la sécurité sociale et le renforcement du droit industriel. Ces réformes devraient être d’autant plus efficaces que le parti au pouvoir, le Parti Libéral Démocrate, a maintenant les coudées franches. Les hauts fonctionnaires que nous avons rencontrés nous ont fait part du dynamisme généré par le fait de sentir un leadership et une direction forte. De plus, le parti au pouvoir détenant une large majorité, les lois sont effectivement votées (contrairement à ce qui a pu se passer sous d’autres administrations), ce qui apporte un regain d’enthousiasme parmi les hauts-fonctionnaires et facilite leur exécution. Ainsi le projet de loi concernant le droit industriel devrait apporter d’importants changements qui seront détaillés dans les semaines à venir.
Bien que cela soit surtout dû à la faiblesse du yen, le pays continue de connaître une légère inflation. Le pain, le lait, et d’autres denrées ont vu leur prix augmenter récemment. Il est de plus en plus question de hausses de salaires, qui restent un élément crucial : si l’on veut voir continuer la croissance domestique, il est impératif que la hausse des salaires se matérialise dans les 12 mois à venir.
Concernant le nucléaire, après avoir rencontré différents experts et hommes politiques, il semblerait que la couverture médiatique des problèmes liés a la centrale nucléaire de Fukushima soit un peu alarmiste. Certes, il reste des problèmes significatifs à Fukushima et de faibles niveaux de radiation ont été enregistrés mais la situation générale est sous contrôle, voire en phase d’amélioration.
Enfin, Tokyo vient de remporter l’organisation des Jeux Olympiques de 2020. Le coût en infrastructures (le Stade Olympique, le village des athlètes et 9 autres lieux) devrait être de l’ordre de 455 milliards de yensiii (environ 3.45 milliards d’euros). Ces Jeux Olympiques devraient avoir un impact environnemental limité, avec la réutilisation de la plupart des installations créées pour les JO de 1964 et qui plus est, sur une zone géographique compacte (85% des sites sont dans un rayon de 8 km du village olympiqueiv dans la baie de Tokyo). Avec les 552 milliards de yensv (4.2 milliards d’euros) supplémentaires affectés aux dépenses pour les transports, le budget total avoisine 1 trillion de yens, soit environ 0.2% du PIB actuel du pays. En tout, le courtier Nomura estime que l’impact des Jeux sera de l’ordre de 0.5% du PIBvi, ce qui est finalement relativement négligeable en termes de chiffres. Mais l’impact social devrait être beaucoup plus positif.
En effet, remporter l’organisation des JO va jouer sur le sentiment de fierté nationale des japonais, ce qui devrait rendre le Premier Ministre Shinzo Abe encore plus populaire. Ce sentiment accru de confiance chez les Japonais signifie aussi que la politique pro-croissance d’Abe et du gouverneur de la banque centrale Haruhiko Kuroda devrait devenir beaucoup plus efficace. L’attribution de l’organisation des JO devrait enfin, selon nous, donner plus de force à la troisième « flèche » d’Abe, à savoir la politique de réformes structurelles, et stimuler ses initiatives concernant le financement de PFI (Initiative de Financement Prive) et de PPP (Partenariat Public-Privé).
Finalement, tout comme les JO de 1964 avaient permis de démontrer que le Japon avait rejoint les rangs des nations industrialisées, l’organisation des Jeux devrait permettre au Japon de démontrer d’ici 2020 que l’économie est sortie du marasme qui a suivi le tsunami de 2011 et plusieurs décennies de crise économique.
La situation n’est cependant pas idyllique, car certains risques sont toujours présents. En premier lieu, il est urgent que les salaires augmentent à tous les niveaux pour compenser l’inflation et rassurer les consommateurs. Le deuxième sujet de préoccupation est la transformation des Abenomics en « Nomuraenomics » : il y a de plus en plus de levées de fonds de la part d’entreprises qui n’en ont pas réellement besoin, privant ainsi d’autres entreprises d’une source de financement. Dans la même veine, nous devrions assister à un nombre significatif d’entrées en bourse dans les 12 à 18 prochains mois de la part d’entreprises comme Japan Display, Tokyo Metro ou encore Recruit. Mais le risque principal est le premier ministre lui-même puisqu’il est le cœur des Abenomics. Suite à la victoire aux élections de la chambre haute, il a maintenant 3 ans devant lui sans élection pour mettre en place sa vision d’un Japon amélioré. S’il venait à s’enliser dans une réforme constitutionnelle (ce qui semble de moins en mois probable) ou s’il devait démissionner pour une raison ou une autre, cela affaiblirait dramatiquement les prospectives.