Japon, les effets de l’ « Abenomics » se dissipent-ils déjà ?

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

L’arrivée du printemps coïncide, au Japon, avec la clôture de l’exercice budgétaire en cours (1er avril au 31 mars), le premier du gouvernement de Shinzo Abe. L’heure est donc aux bilans. La croissance, très dynamique au premier semestre 2013 (3,3% en rythme annualisé) a franchement décéléré par la suite (1,7% au second semestre). La demande intérieure (FBCF, consommation des ménages) ainsi que les exportations se sont essoufflées.

Sur l’ensemble de l’année 2013, la croissance a été de 1,5%. En 2014, nous anticipons un ralentissement supplémentaire à 1%. La croissance demeurerait malgré tout supérieure à son potentiel, estimé à 0,3%. Au premier trimestre, l’anticipation de la hausse de la TVA au 1er avril devrait soutenir la consommation des ménages, mais cet effet positif sur l’activité devrait être plus que compensé au T2 2014. A cet égard, les observateurs de l’économie se montrent de plus en plus inquiets. En février, l’indice global de diffusion des anticipations se trouve inférieur de dix points au seuil des 50 qui délimite les phases d’expansion et de contraction de l’activité. Toutefois, après avoir reculé au deuxième semestre, les exportations, moteur traditionnel de l’activité japonaise, devraient prendre le relais. Elles seraient soutenues par le retournement de la demande européenne notamment ainsi que par la faiblesse du yen.

La question se pose alors de l’efficacité de la politique économique mise en œuvre par le cabinet Abe et de son « arc » à trois flèches : une politique monétaire ultra-accommodante couplée à une politique budgétaire expansionniste et des réformes structurelles.

La Banque du Japon a acheté massivement les obligations émises par l’Etat pour financer son plan de relance budgétaire. L’objectif de la BoJ est de doubler la base monétaire, de JPY 138 000 mds à fin 2012 à JPY 270 000 mds à la fin 2014 (soit 60% du PIB), pour porter l’inflation à 2 %. Celle-ci se redresse progressivement. Elle était à 1,4% en janvier dernier contre -0,3% un an auparavant. Le succès des autorités monétaires japonaises doit, toutefois, être relativisé dans la mesure où la remontée des prix tient principalement à la dépréciation du yen et au renchérissement des prix à l’importation. En outre, la hausse de 3 points de la TVA en avril prochain (de 5% à 8%) devrait mécaniquement pousser les prix à la consommation à la hausse (environ 3,5% au deuxième trimestre). Cependant, hors effet direct de cette mesure, elle resterait proche de 1%.

Un shunto ne fait pas le printemps

Par ailleurs, les salaires n’ont pas suivi la même tendance. Hors primes et heures supplémentaires, les salaires réels ont reculé de 0,5% en 2013. Alors que le Premier ministre avait exhorté les chefs d’entreprise à faire un geste pérenne pour lutter contre la déflation, le « shunto » ou offensive de printemps vient de se terminer. Pour la première fois en six ans, les grands groupes industriels ont accordé des hausses de salaire. Celles-ci demeurent toutefois, modestes, comme chez Toyota où les employés recevront en moyenne EUR20 supplémentaires par mois. En outre, le secteur des PME, qui emploie 70% de la population active, devrait, encore cette année, résister aux appels de Shinzo Abe. La baisse du yen a renchéri les coûts de production des PME, et la rigueur salariale demeure un levier privilégié pour améliorer la compétitivité. Au total, l’accélération de l’inflation devrait continuer de grever le pouvoir d’achat des ménages qui diminuera probablement, en dépit d’une hausse des salaires de l’ordre de 1% en moyenne.

Pour garantir la sortie définitive de déflation, le cabinet Abe doit mettre en œuvre les réformes structurelles annoncées par le Premier ministre en début de mandat (mesures destinées à renforcer l'investissement des entreprises, restructuration du secteur agricole, changements du droit du travail, négociations d’un Accord de Partenariat Transpacifique – APTP – mais aussi avec l’Union européenne…). Sans quoi, la croissance du PIB demeurera durablement faible, une fois les effets temporaires sur l’activité et les prix des deux premières flèches dissipés (politique monétaire ultra- accommodante, politique fiscale expansionniste – un nouveau train de dépenses publiques pourrait être adopté dès le second semestre 2014 – efforts de reconstruction à la suite du séisme de mars 2011).

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