par Sophie Mametz et Thuy Anh Nguyen, économistes chez Natixis
Publiée le 16 février, la croissance japonaise au T4-08 s’est inscrite significativement à la baisse, passant de -0,6% à -3,3% T/T soit un effondrement de 12,7% en rythme annualisé. En ce quatrième trimestre, le Japon est ainsi ébranlé par la sévérité de la crise. La contraction du PIB résulte à la fois de la baisse conjointe des demandes domestique et étrangère.
Le principal facteur ayant négativement contribué à la croissance en T4-08 est le solde extérieur (-2,6 points de pourcentage). Les trois principaux secteurs exportateurs (qui représentent plus de 60% des exportations totales japonaises) sont touchés de plein fouet par la baisse de la demande globale (y compris la demande chinoise) : sont concernés les fabricants de machines, machines électriques, les constructeurs automobiles.
L’effondrement de l’activité exportatrice japonaise a complètement remis en cause les programmes d’investissement des entreprises : en T4-08, l’investissement en équipement a ainsi reculé de -11,1% en GA. Enfin, la consommation privée a également contribué négativement à la croissance (-0,2 point de %). Pourtant, le niveau des prix est à nouveau en net ralentissement. Du côté des entreprises, le prix de production a fortement baissé (+1,1% en décembre contre un plus haut de 7,4% en août). Il s’agit du plus fort recul depuis ces quatre dernières années résultant du ralentissement du prix des importations (l’appréciation du yen contre le dollar de 17,2% sur la même période), la baisse du prix des matières premières (le prix du baril de pétrole a reculé en moyenne de 17,8% en GA sur le trimestre). Malgré ces tensions déflationnistes, la confiance des ménages s’est encore établie à un niveau bien bas (28% au quatrième trimestre).
Les chiffres du T4 montrent la sévérité de la crise à laquelle le Japon est désormais confronté. Selon cette première estimation de la croissance au quatrième trimestre, le Japon enregistre un recul de l’activité de -1,0% en 2008. Ces chiffres placent le pays en bien mauvaise posture pour entamer 2009 : l’acquis de croissance est de -2,8%. Notre prévision pour 2009 s’établit désormais à -3,0% en GA (contre -1,8% le mois dernier).
Dès lors, nous nous posons la question de savoir si les éléments contra-cycliques pourraient être efficaces dans le cas japonais et limiter l’impact de la crise. Ces éléments sont au nombre de deux : i) les plans de relance ; ii) la désinflation.
i) Trois plans de relance certainement insuffisants face à la sévérité de la crise
Depuis le mois de décembre, trois plans de relance ont été approuvés par le Parlement. L’argent frais injecté dans l’économie représenterait JPY 12 trillions, soit 2% du PIB. Les plans de relance ont été pensés autour de trois axes principaux : i) l’aide aux ménages ; ii) l’aide aux PME ; iii) le soutien aux économies régionales.
Globalement, sur les JPY 12 trillions que représente l’argent qui sera injecté dans l’économie via les trois plans de relance, JPY 2 trillions (soit le premier plan) sont financés via un budget supplémentaire pour l’année fiscale 2008. Il nécessitera simplement une émission obligataire de JPY 0,4 trillions ; il sera donc inscrit au budget pour l’année fiscale 2008. Le deuxième plan de relance pour l’année fiscale 2008 et celui pour l’année fiscale 2009 (dont le montant atteint pour chacun JPY 5 trillions) seront financé via des fonds de réserves et surplus détenus dans des fonds spéciaux (tels que le FILP et le Treasury Surplus). Ces deux plans de relance ne seront donc pas inscrits au budget de l’Etat pour l’année fiscale 2008 et celle 2009. A noter que si les émissions obligataires augmentent dans le cadre du budget 2009, elles résulteront uniquement de la baisse des recettes enregistrées durant cette année, non pas pour financer le plan de relance 2009 (JPY 5 trillions pour les mesures fiscales). Ce plan semble être en effet entièrement financé via des réserves et surplus détenus dans des fonds spéciaux, ou par des émissions obligataires réalisées par le FILP, donc n’apparaissant pas au budget prévisionnel pour l’année fiscale 2009.
Face à la sévérité de la crise qui se dessine au Japon, nous pensons toutefois que ces plans de relance seront insuffisants. Les évolutions économiques récentes soulignent la nécessité d’une intervention de l’Etat encore plus importante. Une multiplication des plans de relance n’est donc pas à exclure dans les prochains mois (et ce, indépendamment du fait qu’un nouveau Ministre des Finances, M. Yosano déjà Ministre de l’Economie, soit entré en fonction fin février), aggravant l’endettement de l’Etat.
Nous pensons que la rigueur budgétaire sera un cap impossible à tenir. Le recul de l’activité prévu en 2009 et donc la baisse des recettes fiscales poussera le gouvernement à recourir à nouveau à de nouvelles émissions obligataires. Ainsi, le MoF devrait mettre un terme à la consolidation fiscale initiée par Koizumi en 2002. Ajoutons que le risque de voir se creuser davantage l’output gap pourra augmenter, aggravant le déficit public.
Le coup d’arrêt à la réduction des émissions obligataires présage d’une volte-face dans la consolidation fiscale pour les prochaines années. La question essentielle est de savoir si l’équilibre jusque là observé entre un secteur privé créditeur et l’Etat emprunteur se maintiendra (les dernières données disponibles issue de la comptabilité nationale par type d’agent datent de 2007). Sur les deux dernières années, la position de créditeur du secteur privé résulte avant tout des ménages. Si l’Etat doit s’endetter davantage sur les prochaines années, il faudra donc que le secteur privé continue d’épargner. Or, les entreprises japonaises semblent toujours suivre une logique de désendettement ; tout repose sur le comportement d’épargne des ménages japonais pour savoir si la position de créditeur du secteur privé permettra d’équilibrer la position d’emprunteur du secteur public.
ii) La désinflation ne devrait pas augmenter le pouvoir d’achat des japonais
Sur les deux prochaines années, la constitution d’épargne supplémentaire par les ménages japonais semble peu probable. Il faudrait pour cela que leur richesse augmente, via a) une hausse des salaires, b) une hausse de leurs actifs (immobiliers notamment), c) une hausse de leur pouvoir d’achat via la baisse des prix. Voyons tour à tour ces points.
a) Hausse de la richesse via une hausse des salaires
Dans un contexte de nette dégradation de l’activité économique, notamment en 2009, les entreprises auront tendance à réduire leurs dépenses d’investissement mais aussi en personnel. Chez les grands constructeurs automobiles, des annonces de licenciement ont déjà été annoncées pour le mois de mars. Dès le T1-09, le chômage devrait significativement augmenter (en janvier, il s’est établi à 4,1%, recul temporaire lié au retrait du marché du travail des femmes notamment). Les baisses de salaires se poursuivront (en janvier, pour le troisième mois consécutif, les salaires nominaux ont reculé de 1,3% en GA). Globalement, dans un contexte de ralentissement marqué des profits, les entreprises limiteront leurs dépenses en personnel, via les effectifs et les salaires. Ce ralentissement était déjà bien visible en T3-08 alors que le PIB reculait. En 2009, la hausse de la richesse des ménages ne pourra donc pas venir d’une hausse des salaires.
b) Hausse de la richesse via celle des actifs financiers et/ou immobiliers
En 2007(1), la part de la richesse nette des ménages en actifs financiers représentait 70,2% ; celle en actifs immobiliers s’établissait à 36,3%. Cette dernière a beaucoup diminué avec la déflation durable.
Une répartition largement en faveur des actifs financiers devrait perdurer en 2009 dans la mesure où ne prévoyons pas de rebond des prix sur le marché immobilier. Depuis 1990, ils sont orientés à la baisse (d’où le fort recul de la richesse immobilière), et, malgré une légère hausse récemment enregistrée, il ne faut pas s’attendre à une hausse des prix : le redémarrage des crédits immobiliers notamment reste conditionné par l’évolution des salaires et des perspectives d’emploi. A noter que les crédits ne cessent de ralentir depuis T2-08, passant de 6,7% en GA à 2,8% en T3-08. Globalement, les ménages pourront au mieux enregistrer un effet richesse en fin d’année via les actifs financiers.
c) Hausse de la richesse via le pouvoir d’achat
La baisse des prix est un phénomène bien connu au Japon mais l’expérience montre que la baisse des prix n’a pas soutenu le pouvoir d’achat des ménages. Alors que les prix ont reculé de 0,4% en moyenne de juillet 1998 à septembre 2007, la consommation privée a modérément progressé sur la même période, de 0,9% en GA. Depuis avril 2008, la configuration a quelque peu changé en matière de prix, avec l’IPC redevenant positif en 2008. Toutefois, les salaires réels restent orientés à la baisse alors que les salaires nominaux sont eux-mêmes à nouveau négatif. Dans les prochains mois, bien que les pressions inflationnistes se réduiront de plus en plus en raison notamment du prix du pétrole (nous anticipons un recul de l’IPC de 1,4% en GA en 2009), le pouvoir d’achat des ménages n’en sera pas plus soutenu, les salaires nominaux restant faibles voir négatifs.
Il ne faut pas non plus s’attendre à une nette amélioration du bien-être des ménages japonais, compte tenu de l’appréciation du yen contre dollar : d’une part, l’écart entre prix des biens importés et prix des biens exportés reste considérable et mettra du temps à se résorber ; d’autre part, le yen devrait désormais se déprécier contre USD.
En 2009, les éléments contra-cycliques (désinflation, plans de relance) devraient être peu efficaces dans le cas japonais.
NOTES
(1) Le détail des comptes nationaux par type d’agent s’arrête en 2007
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