Japon : politique monétaire, encore une chance ?

par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas

Pour stimuler les anticipations d’inflation et l’inflation elle-même, la Banque du Japon a apporté deux modifications à sa politique monétaire.

Elle a introduit le « yield targeting », créant ainsi plus de flexibilité par rapport à la politique d’assouplissement quantitatif.

Plus important encore, elle s’est engagée à dépasser son objectif d’inflation. Mais cela n’a pas impressionné le marché pour autant, à en juger par la réaction du taux de change USDJPY.

La crédibilité est la condition sine qua non du succès des objectifs de politique monétaire d’une banque centrale. Elle renvoie à la question du pouvoir (indépendance) de l’institut d’émission pour agir lorsque les circonstances l’exigent ainsi qu’à la détermination et à l’aptitude de ce dernier à adopter les mesures appropriées. Une banque centrale crédible réussira à influencer le comportement des ménages et des entreprises de telle manière que son objectif d’inflation (ainsi que d’autres, le cas échéant) sera atteint et à ce qu’on s’attende à ce que ce soit également le cas à l’avenir : c’est ce que l’on appelle le bon ancrage des anticipations inflationnistes. Que les progrès vers la réalisation du ou des objectif(s) soient trop lents et on assiste à une montée des doutes sur l’efficacité de la politique monétaire, à un désancrage des anticipations d’inflation et à une perte de crédibilité et donc d’efficacité. Ce risque est d’autant plus réel lorsque les marchés financiers ont l’impression que le temps presse, autrement dit que l’on risque d’être à court de munitions.

La Banque du Japon introduit le « yield targeting »

Les décisions prises par la Banque du Japon (BoJ), mercredi dernier, doivent être analysées dans ce contexte. L’introduction du « contrôle de la courbe de taux », dont le ciblage du taux à 10 ans sur les obligations d’Etat japonaises (JGB) reflète plusieurs sujets de préoccupation :

  1.  L’inflation reste trop basse par rapport à l’objectif et les anticipations d’inflation ont reculé.
  2. Avec l’amenuisement du stock de JGB, il va être de plus en plus difficile de maintenir une politique monétaire basée sur les volumes (achats mensuels d’un certain montant de JGB ou d’autres instruments).
  3. Dans le cadre d’une politique traditionnelle d’assouplissement monétaire, le marché détermine le profil de la courbe de taux ; or une courbe trop plate pourrait avoir des effets préjudiciables sur les banques et les compagnies d’assurance.
  4. En lien avec ce dernier point, si la BoJ finit par décider d’abaisser encore son taux de rémunération des dépôts des établissements financiers auprès de la Banque centrale, une politique de ciblage du taux à 10 ans permettrait, en maintenant une courbe suffisamment pentifiée, d’atténuer l’impact sur le secteur financier.
  5. Enfin, l’introduction d’une plus grande souplesse concernant l’objectif en volume (même si la BoJ a curieusement renoncé à supprimer totalement cet objectif) pourrait accroître l’impact de ses opérations sur le marché en exploitant l’effet de surprise.

Cela n’est pas sans rappeler les interventions sur le marché des changes où un mouvement surprise peut également avoir un impact significatif. On peut néanmoins s’interroger sur la durée de cet impact. Le ciblage du rendement obligataire revient-il à fixer des limites à ne pas dépasser, selon une expression souvent utilisée sur les marchés des changes, auquel cas la détermination de la Banque centrale ne manquera pas d’être testée ? Comment réagir face à des influences extérieures (américaines) susceptibles de pousser les rendements du JGB au-delà du taux cible fixé par la BoJ ? Sur quelles bases le taux cible sera-t-il modifié ? L’opacité sur ces questions ou l’incapacité à stabiliser les taux pourraient accroître la volatilité des rendements obligataires et avoir des effets préjudiciables sur l’économie réelle. A cet égard, le graphique 1 illustre la pentification massive de la courbe de taux ces derniers mois au cours desquels le marché a commencé à s’attendre à un changement de politique monétaire. Pour un pays dont la Banque centrale pratique une politique d’assouplissement quantitatif, la pentification a été, pour le moins, considérable.

Engagement à dépasser l’objectif d’inflation

La deuxième décision soulève encore plus de questions. La BoJ « continuera à accroître la base monétaire jusqu’à ce que le taux d’augmentation en glissement annuel de l’IPC observé (indice d’ensemble moins les denrées alimentaires périssables) dépasse l’objectif de stabilité des prix, fixé à 2% et se maintienne durablement au-dessus de cet objectif »1. Le raisonnement est le suivant : si on cherche à atteindre l’objectif d’inflation de 2 % sans accepter un dépassement, les marchés anticiperont un resserrement de la politique monétaire dès que l’inflation se rapprochera de l’objectif. Cela entraînera un durcissement des conditions financières (appréciation de la monnaie, hausse des rendements obligataires, élargissement des spreads des obligations d’entreprises, ralentissement du marché des actions) et rendra d’autant plus difficile la réalisation de l’objectif d’inflation. C’est la thèse soutenue, dans un article récent, par Fernando Duarte, économiste à la Banque de Réserve fédérale de New York (voir encadré). Par ailleurs, l’objectif d’inflation de la BoJ, selon sa propre définition, correspond à une moyenne sur la durée du cycle conjoncturel. Comme l’inflation se situe actuellement en deçà de son objectif, la politique monétaire doit donc essayer de lui faire dépasser cet objectif. En agissant ainsi, la BoJ cherche à agir sur le mécanisme de formation des anticipations inflationnistes des ménages et des entreprises. Sa thèse est la suivante : aujourd’hui, les anticipations se forment de manière adaptative «en regardant dans le rétroviseur » : l’évolution récente et historique de l’inflation détermine les anticipations d’inflation à venir. Il s’ensuit que les taux d’intérêt réels attendus sont trop élevés (car les anticipations d’inflation adaptatives sont trop faibles et s’ajustent très lentement), pesant ainsi sur les mécanismes de transmission de la politique monétaire. Pour amener le secteur privé à adopter un processus plus prospectif de formation des anticipations d’inflation, la BoJ s’est désormais engagée à dépasser son objectif d’inflation montrant par là sa détermination à pousser l’inflation à la hausse le plus tôt possible.

Sur le papier, une politique visant à accepter un dépassement prolongé de l’objectif d’inflation est très agressive. Les taux d’intérêt réels attendus reculent (tout au moins si les anticipations d’inflation se forment de manière prospective), encourageant les dépenses financées par l’emprunt pour peu que les ménages et/ou les entreprises soient confiants en leur capacité future à rembourser la dette et convaincus que l’objectif d’inflation sera effectivement dépassé. La monnaie devrait également se déprécier, stimulant par là la croissance et l’inflation. Cependant, en l’absence de crédibilité de la Banque centrale, rien de tout cela n’aura lieu (…) L’évolution intra-journalière du taux de change USD/JPY avant et après l’annonce de la nouvelle politique monétaire montre clairement que le marché des changes n’est pas encore convaincu de l’efficacité de cette nouvelle politique. Si l’annonce avait été crédible, le yen aurait connu un fléchissement progressif au lieu d’un bond suivi d’une dérive à la baisse.

La BoJ est néanmoins consciente du défi à relever en matière de crédibilité comme en témoigne l’allusion faite dans son annonce de politique monétaire à «d’éventuelles options d’assouplissement supplémentaires » : baisse du taux directeur à court terme ainsi que du niveau cible du taux d’intérêt à long terme, augmentation des achats d’actifs, accélération de l’expansion de la base monétaire. Espérons que cela contribuera à renforcer la crédibilité de la Banque centrale et à atteindre son nouvel objectif de dépassement de l’inflation cible. Mais l’annonce faite par la BoJ nous rapproche aussi d’un nouvel univers lourd de défis, ne serait-ce que par la question qui se trouve ainsi posée: comment normaliser la politique monétaire sans entraîner de perturbations sur le marché (obligations, actions, yen) lorsque l’influence de la banque centrale sur les cours des actifs a été aussi grande (via l’assouplissement quantitatif et le yield targeting) et lorsque l’objectif d’inflation a enfin été dépassé ?

Encadré :

« How to escape a liquidity trap with interest rate rules », Fernando Duarte, Banque de Réserve fédérale de New York Staff Report 776, mai 2016 Cet article constitue le fondement théorique de la décision de la BoJ2. Fernando Duarte s’appuie sur un modèle à trois équations : une équation de l’output gap déterminée par la différence entre le taux d’intérêt réel et le taux d’intérêt naturel réel, une équation des anticipations d’inflation (qui dépend de la production) et une équation du taux d’intérêt nominal (taux nominal avec une politique monétaire à la borne zéro). Ce modèle théorique permet de faire des simulations afin d’évaluer la possibilité de parvenir à des solutions stables. La principale conclusion qui se dégage est la suivante : une longue période de taux d’intérêt proches de zéro est la garantie que, en stimulant la production et l’inflation futures, au moment où la banque centrale renouera avec la règle de Taylor, l’économie ne sera plus sous la contrainte de la borne zéro. Cependant, « les promesses de sévérité à l’égard de l’inflation en dehors des périodes de « taux zéro» empêchent l’augmentation future de l’inflation et de la production, pourtant nécessaire pour enrayer les anticipations déflationnistes lorsque les taux d’intérêt sont proches de zéro ». Un engagement relatif au dépassement de l’objectif d’inflation aurait pour effet de supprimer les anticipations de durcissement prématuré. Cependant, le modèle ne comporte pas d’équations expliquant la dynamique des marchés financiers. Il reste à savoir dans quelle mesure cela influence les recommandations de politique monétaire. Lorsque l’inflation se redresse et s’apprête à dépasser l’objectif de la banque centrale, les rendements obligataires peuvent très bien augmenter sensiblement, de quoi pénaliser le marché actions et créer de la volatilité au sein de l’économie réelle ; il est dans ces conditions plus difficile de maintenir l’inflation à un niveau suffisamment élevé.

NOTES

  1. Source : New Framework for Strengthening Monetary Easing: "Quantitative and Qualitative Monetary Easing with Yield Curve Control", Communiqué de presse de la Banque du Japon, 21 septembre 2016
  2. Nous ignorons, bien entendu, si cet article a ou non influencé la décision de la BoJ.

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