Japon : reprise économique en 2013 ?

par Kohei Iwahara, économiste chez Natixis 

L'économie japonaise entrevoit l'éventualité d'une reprise en 2013. Au second semestre 2012, l'économie a fait face à un risque de récession technique, causée par le ralentissement des activités manufacturières. Les pressions déflationnistes sont restées notables à cause de l'écart de production négatif plus important.

L'économie pourrait toutefois se redresser en 2013 dans la mesure où le PLD, nouvellement élu au gouvernement, a l'intention de mettre en œuvre des politiques monétaire et budgétaire expansionnistes. Le Premier ministre, Shinzo Abe, a demandé à la BoJ (Banque du Japon) de relever son objectif d'inflation à 2%, ce qui pourrait potentiellement stimuler l'économie à la faveur de taux d'intérêt réels plus bas.

Un budget supplémentaire d'environ 10 300 milliards de yens (2% du PIB), qui attend de recevoir l'aval de la Diète, possiblement mi-février, devrait permettre de soutenir l'économie à partir du deuxième trimestre 2013.

Activités manufacturières

Le ralentissement du secteur manufacturier s'est poursuivi, faisant augmenter le risque de récession technique au second semestre 2012. Déjà touché par l'expiration, au mois de septembre, du programme d'aide financière du gouvernement encourageant l'achat de véhicules écologiques, le secteur a également souffert de la baisse de la demande extérieure. Premièrement, les effets négatifs des tensions géopolitiques en Asie continuent de se faire ressentir. Par exemple, les exportations automobiles vers la Chine ont dégringolé de -68,6% (GA) au mois de novembre.

Deuxièmement, la faiblesse de la demande mondiale devrait perdurer en 2013. Les mesures censées contrôler et réduire les déficits en Europe et aux États-Unis pèsent lourdement sur les perspectives économiques mondiales. Par voie de conséquence, les niveaux de stocks du secteur manufacturier japonais sont demeurés élevés. Malgré le soutien que pourrait constituer la récente faiblesse de la monnaie japonaise, nous anticipons un ralentissement des exportations de +0,6% en 2013 contre +0,9% (GA) en 2012. Les activités manufacturières devraient donc être limitées. Cette opinion négative a été confortée par la faiblesse des chiffres dévoilés par l'enquête Tankan de décembre, l'indice manufacturier ayant reculé de -3 en septembre à -12 en décembre.

Demande privée

La consommation privée s'est essoufflée. Premièrement, à l'issue de l'aide financière publique pour l'acquisition de véhicules écologiques, les ménages semblent avoir accru leur taux d'épargne dans le but de compenser les dépenses supplémentaires. Deuxièmement, la confiance des ménages a continué de se détériorer. Selon une étude menée par le Bureau du Cabinet (« Cabinet Office »), les conditions sur le marché de l'emploi ont enregistré la détérioration la plus importante. Étant donné que le cycle économique et le marché du travail sont susceptibles de se dégrader à nouveau, la consommation privée devrait donc ralentir pour atteindre +0,1% (GA) en 2013 (contre +2,3% en GA en 2012).

L'investissement des entreprises devrait reculer (-0,2% en GA en 2013 par rapport à +2,2% en GA en 2012). Les commandes privées de machines, qui se sont repliées pendant deux trimestres consécutifs à partir du T2, suggèrent un faible niveau d'investissement de la part des entreprises. Au vu du ralentissement des activités manufacturières et des taux d'intérêt réels élevés, la demande d'investissement en provenance du secteur manufacturier devrait demeurer en berne. A vrai dire, l'enquête Tankan a révélé que ce dernier avait dû faire face à des surcapacités supplémentaires. En revanche, le secteur des activités non manufacturières, telles que les systèmes d'information ou la location et le crédit-bail, pourrait stimuler l'investissement. La même enquête révèle en effet que ce secteur est parvenu à réduire ses surcapacités et à remédier à ses insuffisances. Au total, l'important effet cumulé négatif du T4 risque de supplanter l'augmentation progressive des investissements en 2013.

Dépenses publiques

Le nouveau gouvernement formé par le PLD a prévu un budget supplémentaire d'environ 10 300 milliards de yens (2% du PIB). Bien que le détail de ses composantes ne soit pas encore défini, les dépenses publiques liées aux projets de reconstruction (environ 5 200 milliards de yens, soit 1% du PIB) devraient se tailler la part du lion. Elles seraient allouées à des travaux de réfection et d'entretien des routes, des tunnels, des écoles et des hôpitaux. Le budget servirait aussi aux dépenses de sécurité sociale et aux projets de reconstruction dans la région de Tohoku, durement touchée par le tremblement de terre. Le gouvernement table sur la création de 600 000 emplois grâce à ces mesures, ce qui pourrait réduire le taux de chômage de 0,1%. Une nouvelle émission d’obligations spéciales de financement du déficit budgétaire (JGB) destinée à financer ce budget devrait voir le jour pour un montant de 5 à 6 000 milliards de yens. Le gouvernement compte approuver le budget mi-janvier et espère que la Diète fera de même à la mi-février. Les projets de travaux publics sont donc susceptibles d'être mis en œuvre à parti du deuxième trimestre.

L'investissement public lié à ces projets devrait continuer de soutenir l'économie japonaise 2013. Les commandes de travaux publics, un indicateur avancé de l'investissement public, a ralenti au mois d'octobre (+6,6% en GA, contre +13,6% en GA les mois précédents). Heureusement, les nouveaux projets décidés dans le cadre du budget supplémentaire pourraient commencer au moment où l'effet des précédentes mesures commencera s'estomper vers le T2. En revanche, ces facteurs positifs concernant la croissance pourrait justifier du gouvernement qu'il augmente la taxe sur la consommation de 5% à 8% en avril 2014. Tout comme le PDJ (Parti démocrate du Japon), le PLD et le Nouveau Komeito ont soutenu la proposition de loi relative à la taxe sur la consommation. Aussi longtemps que l'économie ne rentrera pas en récession, le gouvernement maintiendra vraisemblablement l'augmentation de la taxe comme prévu.

Une question importante qui se pose aujourd'hui est de savoir si la politique budgétaire expansionniste peut mettre le Japon sur la voie d'une croissance auto-entretenue. Les résultats du PLD pour relancer l'économie depuis les années 90 n'ont guère été probants. Une raison plausible est que la déflation l'a empêché d'y parvenir. D'un côté, l'augmentation des dépenses via l'investissement public et les réductions d'impôts ont effectivement stimulé l'économie. De l'autre, l'augmentation des taux d'intérêt réels du fait de la déflation a pesé sur la consommation et les investissements privés. En synthèse, les mesures de relance budgétaire n'ont probablement pas été suffisamment appuyées pour stimuler l'économie dans un contexte de déflation chronique. De ce point de vue, les tentatives du nouveau gouvernement pour relever les anticipations en matière d'inflation et pour baisser les taux d'intérêt réels vont dans la bonne direction. Néanmoins, comme cela est abordé plus bas dans la section consacrée à la politique monétaire, ces objectifs sont extrêmement compliqués à atteindre et demandent beaucoup de temps.

Marché du travail

La croissance de l'emploi reste faible. D'une part, le taux de chômage est tombé à 4,1% en novembre, son plus bas niveau depuis octobre 2008. D'autre part, le taux de participation est resté à 59,2%, un niveau très proche de son point bas historique. Cela sous-entend que certains chômeurs auraient pu se décourager et quitter le marché du travail. Le cycle économique ayant ralenti, ce dernier a peu de chances de se ressaisir de sitôt. Point positif pour l'emploi, le gouvernement envisage de mettre en place pour l'année 2013 des mesures d’incitations fiscales afin de réduire les charges salariales à l'embauche. Il est prévu que ce nouveau projet reste en vigueur deux ou trois ans.

Les difficultés que connait le marché de l'emploi est révélateur d'un problème structurel au Japon. Alors que le secteur manufacturier a souffert du suremploi, le secteur non manufacturier connait, lui, une pénurie. Par exemple, l'enquête Tankan de décembre révèle que le secteur de la construction était en proie à des pénuries de main-d'œuvre au T4. C'est la conséquence de la fermeture de plusieurs entreprises de construction suite à la réduction du nombre de projets d'investissement publics à partir du milieu des années 2000. La pénurie de main-d'œuvre dans l'industrie de la construction pourrait être problématique dans la mesure où elle pourrait retarder la mise en place des projets de travaux publics prévus par le budget supplémentaire. Cette congestion fait peser un risque additionnel sur la future croissance économique. Sans compter qu'il faudrait du temps à ce marché de l'emploi rigide, toujours basé sur l'ancienneté, pour procéder aux ajustements nécessaires. Malheureusement, comparé aux autres pays industrialisés, le marché du travail n'est pas favorable aux actifs en milieu de carrière et le système d'éducation permettant à la main- d'œuvre d'acquérir de nouvelles compétences est encore très peu développé.

Inflation

Les tensions déflationnistes restent importantes. L'inflation sous-jacente, mesurée par l'IPC core core, est restée inchangée à -0,5% (GA) en novembre par rapport à octobre. L'enquête Tankan de décembre indique que le nombre d'entreprises des secteurs manufacturier et non manufacturier confrontées à des prix à la production en baisse a augmenté. La seule exception concerne le secteur des services aux collectivités qui a reçu l'autorisation du gouvernement d'augmenter ses charges. Après l'arrêt des centrales nucléaires, les prix plus élevés de l'énergie ont été répercutés sur les consommateurs. Par voie de conséquence, l'inflation mesurée par l'IPC global a baissé de -0,2% (GA) en novembre après avoir reculé de -0,4% (GA) en octobre.

Politique monétaire

Comme attendu, la BoJ a pris de nouvelles mesures de relance monétaire à l'occasion de sa réunion de décembre en procédant à une augmentation de 10 000 milliards de yens de son programme d'achat d'actifs, qui atteint désormais 101 000 milliards de yens. 5 000 milliards de yens ont été alloués à l'achat de JGB et autant à l'achat de bons du Trésor. D'abord, les résultats de l'enquête Tankan de décembre sont ressortis faibles, laissant entrevoir une récession technique. Ensuite, une situation de statu quo aurait pu accroître le risque d'appréciation du yen. La BoJ s'est donc montrée raisonnable en procédant à un assouplissement.

Elle est fortement susceptible de revoir à la hausse de 1% à 2% l'objectif d'inflation lors de sa réunion de janvier. Fait intéressant, elle a également annoncé dès l'issue de la réunion de décembre qu'elle aborderait la question de la stabilité des prix à moyen et long terme à l'occasion de sa réunion de janvier. Même si la BoJ a prudemment annoncé qu'elle examinait le niveau des prix chaque année, cette analyse pourrait être interprétée comme une réponse à la demande du leader du PLD, Shinzo Abe, de revoir à la hausse l'objectif d'inflation (2%).

Selon nous, il faudrait beaucoup de temps pour que l’inflation se rapproche des 2%. La première difficulté est de relever les anticipations inflationnistes. Si tous les agents économiques étaient soudain convaincus que l'inflation allait atteindre 2%, les anticipations inflationnistes augmenteraient aussitôt et les taux d'intérêt réels attendus chuteraient immédiatement. En pratique, cela a toutefois peu de chances de se produire dans la mesure où l'annonce censée générer une telle inflation pourrait pousser au scepticisme. C'est pourquoi le rôle du gouverneur de la Banque centrale est primordial car ce dernier doit prouver sa volonté de générer plus d'inflation.

La BoJ peut présenter plusieurs mesures nouvelles pour afficher sa détermination. Premièrement, elle peut annoncer l'extension de la période d'assouplissement monétaire en supprimant la date butoir prévue pour le programme d'achat d'actifs, actuellement fixée au mois de décembre 2013. Dans le même temps, elle peut s'engager à poursuivre le programme jusqu'à ce que l'objectif d'inflation de 2% soit atteint. Deuxièmement, la BoJ peut allonger l'échéance des emprunts d'État qu'elle achète jusqu'à des échéances à moyen terme, de manière à injecter des liquidités sur une plus longue période. Troisièmement, elle peut supprimer le paiement des intérêts sur ses réserves excédentaires. Enfin, elle peut envisager d'acheter des obligations étrangères, ce qui pourrait faire baisser un peu plus le yen. Toutefois, la mise en œuvre de cette mesure prendrait du temps étant donné que le règlement de la BoJ doit être amendé et que la politique relative au change est actuellement établie par le ministère des Finances.

Théoriquement, les taux d'intérêt réels attendus pourraient baisser à mesure que la BoJ renforce sa crédibilité par rapport à sa propension à générer de l'inflation. Cela permettrait de stimuler les investissements, la consommation et les exportations grâce à une baisse du yen. En conséquence, le PIB négatif s'amenuiserait et les tensions déflationnistes s'atténueraient.

Dans les faits, comment l'inflation a-t-elle réagi à l'évolution des anticipations la concernant ? L'expérience montre que les liens entre ces dernières et les ménages sont complexes. Si les deux sont étroitement corrélées (+0,81), l'augmentation des anticipations d'inflation parmi les ménages ne conduit pas nécessairement à une hausse de l'inflation. De plus, étant donné que leur revenu global a chuté au cours de la dernière décennie, les ménages pourraient avoir du mal à se convaincre du retour de l'inflation. D'un autre côté, la réponse sur le marché des changes a été tout autre. Shinzo Abe, le chef de file du PLD, s'est prononcé en faveur d'un objectif d'inflation plus élevé avant que la Chambre basse ne soit dissoute, et le yen s'est déprécié de 10% tout juste après la dissolution. Nous interprétons cette dépréciation comme une réaction aux taux d'intérêt réels plus bas qu'attendu au Japon. Même si cela représente un pas vers la maîtrise de la déflation, atteindre un niveau d'inflation proche de 2% serait tout de même très difficile.

A l'occasion de sa réunion prévue les 21 et 22 janvier, nous maintenons que la BoJ va procéder à un assouplissement monétaire pour le deuxième mois consécutif. Premièrement, elle devrait revoir à la baisse ses prévisions économiques dans son évaluation semestrielle qui sera publiée après la réunion. En effet, le 16 janvier dernier, elle a déjà revu à la baisse son évaluation de l'économie de huit des neuf régions japonaises. Deuxièmement, elle devrait relever son objectif d'inflation de 1% à 2%. Si l'objectif est revu à la hausse, le temps et les efforts nécessaires pour l'atteindre devraient en principe augmenter. Puisque surmonter l'inflation est le principal objectif du nouveau gouvernement, la BoJ pourrait se retrouver dans une situation politique compliquée si sa réunion de janvier aboutissait à un statu quo. Elle devrait donc accroître la taille de son programme d'achat d'actifs d'environ 5 à 10 000 milliards de yens, et très possiblement plus. Les achats supplémentaires devraient essentiellement porter sur des emprunts d'État et des bons du Trésor. De nouvelles mesures de politique monétaire sont susceptibles d'être discutées et mises en place sous l'égide d'un nouveau gouverneur de la BoJ.

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