Japon : reprise en V

par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM

  • Les destructions représentent de 3% à 5% du PIB.
  • La relance budgétaire sera d’environ 2% du PIB.
  • Recul du PIB de 1,2% à 1,5% au 2T.
  • La production électrique sera insuffisante cet été, réduisant la croissance de 0,4 point au 3T.
  • La perte de PIB sera effacée d’ici la fin 2012, avec une croissance de 0,2% en 2011 et 2,3% en 2012.
  • Renforcement de l’assouplissement quantitatif.

 

Le Japon se trouve confronté au choc d’offre et de demande le plus important depuis le premier choc pétrolier. Le 1T s’annonçait pourtant comme celui de la ré-accélération de l’activité, après le passage à vide de la fin 2010. Nous revenons dans cette note sur le scénario économique japonais, à l’aune des premiers indicateurs post-tremblement de terre publiés.

Un choc plus profond que celui de Kobe en 1995

L’impact économique du séisme du 11 mars est triple. Tout d’abord, au-delà des pertes humaines, le stock de capital (et donc la croissance potentielle) a été réduit. Ensuite, il y a eu perte durable de capacité de production d’électricité, dont l’impact se fera sentir lors des pics de demande de l’été. Enfin, on ignore encore quelles seront les conséquences des fuites radioactives sur le commerce intérieur et extérieur d’un certain nombre de produits japonais.

Les premières estimations gouvernementales du coût des destructions se situent entre 3,3% et 5,2% du PIB. Pour mémoire, les dégâts du tremblement de terre de Kobe en 1995 ont atteint 2% du PIB. L’effort de reconstruction sera donc significatif et s’étalera sur plusieurs années (deux années pour Kobe, on peut donc raisonnablement tabler sur trois ou quatre ans aujourd’hui). L’investissement va rapidement devenir le principal déterminant de la croissance. L’enquête Tankan d’avril a d’ailleurs confirmé qu’il s’agit du scénario privilégié par les firmes japonaises. Le recours aux réductions d’effectifs dans le courant des prochains mois devrait donc rester très marginal car la baisse d’activité sera temporaire.

L’Etat jouera évidemment un rôle majeur dans l’effort de reconstruction. Un large consensus politique s’est rapidement dessiné pour donner les marges de manœuvre nécessaires au gouvernement. Un soutien de l’ordre de 2% du PIB pourrait être débloqué, financé à la fois par l’utilisation de fonds de réserve et par l’émission de dette. Mais le déficit budgétaire pourrait surtout se creuser avec la chute des recettes fiscales. Le budget tablait initialement sur une hausse de 9,4% des recettes pour l’année fiscale. Avec une croissance de seulement 0,2% en 2011 (année calendaire), on peut craindre un recul des recettes, à moins d’un relèvement de la pression fiscale (improbable à brève échéance) ou des coupes dans les dépenses hors des zones dévastées. L’essentiel des fonds budgétaires devrait être mobilisé dans le courant du 2T, ouvrant la voie à une reprise dès le 3T.

La reprise en V sera retardée au 3T par la question énergétique

Pour autant, l’activité du 3T sera contrainte par la capacité du pays à rétablir sa production d’électricité, sachant que les mois d’été enregistrent les plus forts pics de demande. Si les infrastructures de la plupart des opérateurs japonais sont toujours opérationnelles, celles de TEPCO, qui fournit le tiers de l’électricité nippone, ne permettent plus de produire que 38,5GW début avril 2011 (la capacité maximale se situait à 64,5GW en mars 2010). Or, le pic de demande enregistré l’an dernier atteignait 60GW.

Comment combler cet écart de plus de 20GW en trois mois ? Du côté de l’offre, les capacités de production hors-nucléaire seront progressivement remises en activité. Néanmoins, les 47GW de production maximale, hors arrêts pour maintenance, des centrales thermiques et hydrauliques seront loin de suffire. La centrale nucléaire de Fukushima 1 (4,7GW) peut être considérée comme définitivement arrêtée et Fukushima 2 (4,4GW), elle aussi endommagée mais sous contrôle, ne pourra pas être redémarrée avant de nombreux mois. En faisant l’hypothèse que les capacités de production hors Fukushima 1 et 2 soient utilisées à 80%, la capacité mobilisable cet été avoisinerait les 45GW. Même à 90% de taux d’utilisation, hypothèse très optimiste, la production ne dépasserait pas 50GW. Il faut enfin tenir compte des transferts en provenance de la partie ouest du pays, qui sont techniquement limitées à environ 1GW.

Du côté de la demande, de nombreux paramètres sont difficiles à estimer, que ce soit la réorganisation des processus de production sur les heures de plus faible consommation, la réduction de la demande dans les régions dévastées ou surtout les températures. Les pics de 60GW de juillet 2010 ont peu de chances d’être observés à nouveau, des niveaux proches de 55GW (moyenne 2008-2010), voire moins, étant plus vraisemblables. Quoi qu’il arrive, les coupures alternées risquent donc de réapparaître en juillet et en août. Nous retenons l’hypothèse que la production sera entre 5% et 10% inférieure à la demande en juillet et en août, écart qui disparaitrait dès septembre avec la chute saisonnière de la demande pour la zone couverte par TEPCO. Au niveau national, cela se traduirait par une insuffisance de production électrique de 1,2% à 2,3% sur le 3T. Sur la base d’une élasticité du PIB à la production d’électricité de 0,21, on aurait alors une réduction de 0,2 à 0,4 points de pourcentage sur le 3T. Le plein effet de la reconstruction serait alors reporté sur le 4T et sur le 1S12, avec une croissance bien au-dessus du potentiel.

Nous voyons une croissance fortement réduite en 2011, à 0,2% (1,6% avant le séisme), suivi d’une accélération en 2012 à 2,3% (1,4% précédemment).

Un choc d’offre qui aura des conséquences sur l’inflation

L’inflation pourrait bien faire son retour dans l’Archipel, du moins à court terme. Outre la question des mesures sanitaires qui toucheront les produits alimentaires si les fuites radioactives ne sont pas rapidement maîtrisées (ce qui poussera certainement les prix de ces produits à la hausse), la reconstruction devrait entraîner une plus forte utilisation des capacités de production, d’autant plus que le stock de capital productif du secteur privé a été réduit (de 1% selon nos estimations) par les destructions du tremblement de terre. Cette réduction n’est certes que temporaire puisque la reconstruction va avoir lieu, mais l’impact sur le PIB potentiel sera assez sensible, de l’ordre de 0,4% en année pleine. Avec l’accélération de la croissance de la fin 2011, l’inflation devrait repasser en territoire positif et tendre vers les 0,5% en 2011 et 1% en 2012, tendance facilitée par le fait que les autorités nippones ont implicitement décidé d’importer de l’inflation via le yen.

Les interventions concertées de la Banque du Japon et des autres banques centrales des pays du G7 le 18 mars ont en effet renvoyé le yen bien au-delà des 80 contre dollar. Pour la suite, l’écart croissant entre la politique monétaire japonaise, dont on voit mal comment elle pourra éviter le renforcement de l’assouplissement quantitatif (pour prévenir toute hausse des taux), et celle de la BCE et de la Fed, en voie de normalisation, devrait étendre le mouvement de dépréciation du yen dans les trimestres à venir. De fait, Tokyo privilégie les entreprises aux ménages : non seulement les exportations ne seront pas entravées par une monnaie trop chère, mais le marché d’actions devrait également bénéficier de meilleures perspectives de résultat via l’effet change.

Conclusions

Après un recul du PIB assez prononcé au 2T, la reprise en V devrait se dessiner dans le courant du 2S et faire revenir le PIB japonais sur sa trajectoire de croissance d’ici la fin 2012 (la perte de production ne sera que provisoire).

Nous attendons un surcroît d’inflation et une accélération de la hausse de la dette publique, mais le renforcement de l’assouplissement quantitatif permettra de prévenir une hausse des taux réels et affaiblira le yen.

NOTES

  1. Obtenue à partir d’une fonction de production à deux facteurs (capital et travail) plus la production d’électricité en kWh sur les trente dernières années.