par Hervé Thiard, Directeur général de Pictet Asset Management
Ce mercredi 22 avril est la Journée de la Terre. C’est l’occasion pour notre équipe de gestion thématique d’analyser les conséquences de la crise actuelle sur les enjeux environnementaux.
Il est paradoxal que nous célébrions aujourd'hui le 50e anniversaire de la Journée de la Terre au milieu d'un blocage qui d’un côté réduit considérablement l'activité économique dans le monde entier et d’un autre côté améliore la qualité de l'environnement dans de nombreux domaines. Cet effet secondaire d'une crise sanitaire et économique autrement épouvantable soulève la question des implications à long terme de la pandémie pour la sensibilisation à l'environnement, les politiques environnementales et, du point de vue des actions thématiques, les investissements environnementaux.
Distinguons les effets politiques à court terme, qui seront probablement mitigés, et les effets à plus long terme, qui pourraient se transformer en vents porteurs séculaires.
Le court terme est déterminé par les plans de relance budgétaire massifs qui, selon les estimations, pourraient représenter plus de 10 % du PIB à l'échelle mondiale. Ces mesures pourraient avoir un impact environnemental :
- Dans l'Union Européenne, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von derLeyen, s’est engagée en faveur du "European Green Deal". Cet engagement semble rester en place, même s'il faut s'attendre à certains retards de mise en œuvre.
- En Chine, les résultats semblent plus mitigés. Depuis la crise de l'"airpocalypse" de 2011/2012, la Chine a placé la protection de l'environnement au premier rang de ses priorités politiques et, ce faisant, a devancé de nombreux pays occidentaux. Certains signes indiquent que cet engagement reste en place, la protection de l'environnement demeurant l'une des trois principales missions nationales du gouvernement chinois. Depuis le début de la pandémie, le président Xi a souligné à plusieurs reprises la détermination du gouvernement central à fournir de l'air pur et de l'eau douce à la population chinoise, et le gouvernement inclut des projets environnementaux (par exemple, la rénovation de l'eau et les énergies renouvelables) dans son plan de relance budgétaire. D'un autre côté, il apparaîtrait que l'octroi d'autorisations pour les centrales au charbon s'est accéléré depuis le début de l'année.
- Aux États-Unis, le recul des politiques environnementales au niveau fédéral, déjà observable depuis 2017, semble devoir se poursuivre grâce au plan de relance budgétaire. Ce recul devrait être quelque peu compensé par les politiques menées au niveau des États dans les principaux États progressistes.
A plus long terme, à horizon cinq ans, la crise COVID-19 devrait induire un changement dans la prise de conscience des questions environnementales qui pourrait éventuellement conduire à une modification des comportements des consommateurs et des entreprises ainsi que des politiques publiques :
- L'amélioration visible de la qualité de l'air dans de nombreuses villes, due à l'absence de trafic et à la réduction de la consommation d'énergie, rend le lien entre l'activité économique et la qualité de l'environnement beaucoup plus visible pour un plus grand nombre de personnes.Et bien que cela ne plaide pas en faveur d'une réduction de l'activité économique, cela suggère de repenser plus largement les modèles économiques en mettant davantage l'accent sur les concepts d'efficacité des ressources et de durabilité.
- Si le lien entre la qualité de l'air et la santé est connu depuis longtemps, des recherches établissant un lien entre la pollution de l'air et l'acuité/taux de mortalité de la pandémie ont commencé à apparaître. Au sortir d'une crise sanitaire mondiale, cela pourrait se transformer en un argument puissant pour améliorer la qualité de l'environnement. À titre d'exemple, la ville de Milan cherche déjà à réduire l'utilisation de la voiture après la crise en se basant sur ce raisonnement.
- En raison de l'origine animale probable du virus du SRAS-COV-2, qui suit un schéma déjà observé lors de diverses épidémies antérieures, le débat sur les causes possibles s'est renforcé. L'un des angles d'attaque est l'opinion, certes encore provisoire, selon laquelle l'activité humaine, son empiètement sur les écosystèmes naturels et la destruction de la biodiversitéqui en résulte pourraient être à l'origine de ces maladies. Dans cette optique, le contact plus étroit avec les espèces animales rend la transmission de l'animal à l'homme plus probable. Plus on creuse, plus le stress sur les écosystèmes naturels pourrait aussi rendre les mammifères plus susceptibles de contracter de telles maladies. Enfin, le lien entre l'élevage industriel et COVID19 apparaît également comme un argument de poids, qui pourrait renforcer le passage à une alimentation à base de plantes (moins gourmande en ressources).
- La crise a mis en évidence la fragilité du système économique mondial, face à des chocs qui dépassent une certaine intensité. La capacité du système économique et social à résister à de tels chocs, c'est-à-dire sa dépendance, sera inévitablement au centre des préoccupations des milieux d'affaires et du débat public. Cette prise de conscience accrue des risques devrait permettre d'attirer l'attention sur la résilience climatique et d'autres sources de perturbations environnementales. Une telle perspective du risque peut soutenir un état d'esprit en matière d'assurance, selon lequel on est prêt à payer des coûts initiaux (par exemple des investissements dans la résilience environnementale ou l'atténuation du changement climatique) pour réduire la probabilité d'événements extrêmes.
Enfin, il semble assez clair, même à ce stade précoce, que la crise COVID-19 entraînera une accélération de la diffusion technologique, en particulier dans le domaine de la numérisation, de la virtualisation et de l'automatisation. Du point de vue des solutions environnementales, cela est de bon augure car cela devrait stimuler de manière significative l'émergence et la croissance de modèles commerciaux axés sur les concepts d'efficacité des ressources et d'économie circulaire. L'idée générale derrière la "dématérialisation" ou la "virtualisation" de l'économie est de permettre de découpler la croissance économique de la consommation des ressources. De tels modèles économiques sont présents dans un certain nombre de nos stratégies thématiques, notamment Pictet-Global Environmental Opportunities, Pictet-Clean Energy, Pictet-Digital, Pictet-Robotics ou encore Pictet-Security.
En résumé, une fois la crise sanitaire passée, les moteurs séculaires à long terme de l'investissement environnemental devraient se renforcer.