par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Après avoir touché des points bas à respectivement 0,08%, 0,35%, 1,26% et 1,18%, les taux à 10 ans allemands, français, italiens et espagnols ont regagné entre 90 et 100pbs en quelques semaines… Krach obligataire ? Retournement de tendance ou remontée éphémère ? Il peut paraître paradoxal de parler de krach obligataire alors même que la BCE a acheté 147Md€ de titres publics (souverains et supras) depuis début mars…
Répondant à une question sur sa vision de ce rebond des taux longs européens lors de sa conférence de presse du 3 juin, Mario Draghi a qualifié ce mouvement de volatilité en précisant que nous devrions nous habituer à des périodes de plus forte volatilité. D’ailleurs la « volatilité » est devenue le maître-mot sur les marchés financiers ces derniers temps. Ses propos ont provoqué une hausse des taux longs euro de plus de 10pb le jour même !
Depuis quelques semaines, de nombreux facteurs ont été mis en avant pour expliquer le rebond des taux européens. D’une part, des facteurs macroéconomiques positifs, les bonnes surprises sur l’évolution de la croissance au début de l’année 2015, la remontée de l’inflation qui après un point bas à -0,6% en janvier est revenu à 0,3% en mai, les perspectives légèrement plus haussières sur l’inflation avec le rebond du prix du pétrole depuis janvier et en corollaire la hausse des anticipations d’inflation… Tous ces facteurs pouvant laisser penser au marché, à notre avis à tort, qu’une sortie du QE par la BCE pouvait avoir lieu de façon précoce (avant septembre 2016). D’autre part, des facteurs de marché comme de fortes prises de position par les Hedge Funds, un effet d’offre avec de nombreuses émissions, une faible liquidité ou encore le report de la BCE sur des titres plus courts accompagnant finalement le mouvement de remontée des titres plus longs…
Même si M. Draghi semble peu affecté par ce mouvement à la hausse des taux longs, il est probable que la BCE, via ses communications et ses achats, tente dans les semaines qui viennent d’avoir un impact sur les marchés pour faire rebaisser les taux.
En effet, cette remontée des taux longs, conjointement avec le mouvement de réappréciation de l’euro (cf Faut-il parier contre l’euro ?), a des conséquences non négligeables sur les conditions monétaires et financières de la zone euro. En d’autres termes, ces dernières se resserrent significativement ce qui pourrait affecter la tendance positive observée ces derniers mois. Par ailleurs, comme signalé dans son communiqué, la BCE est légèrement moins confiante sur la dynamique de croissance de la zone euro qu’il y a trois mois… Si les projections de croissance n’ont pas été révisées, le discours est légèrement moins enthousiaste.
Il nous semble que la BCE ne va pas prendre le risque de rester indifférente aux évolutions récentes. Au cours des mois qui viennent, les facteurs de marché pourraient s’améliorer et provoquer une baisse des rendements dans la zone euro. Les effets d’offre vont être positifs avec beaucoup moins d’émissions, la BCE a d’ailleurs décidé d’anticiper une partie de ses achats à court terme. Par des flux plus importants de la part de la BCE et peut être par une réorientation de ses achats sur des maturités plus longues, il nous semble que les taux longs dans la zone euro devraient baisser à nouveau dans les semaines à venir… mais probablement avec plus de volatilité…
Qu’est ce qui pourrait contrecarrer cette évolution ? Le QE a été mis en place pour lutter contre le risque de déflation. Pour que la BCE change de stratégie dans les mois qui viennent, il faudrait une déviation significative des variables macroéconomiques et en particulier de l’inflation (et de ses anticipations) par rapport à ses projections. Du côté des facteurs domestiques de détermination des prix, nous ne voyons guère de risque de dérapage à la hausse de l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire revenant rapidement vers 2%) avec la modération des salaires. Le risque se situe plutôt du côté du prix des matières premières. En particulier, une remontée brutale du prix du pétrole aurait pour conséquence de ramener rapidement l’inflation vers 2% et impliquerait vraisemblablement une forte hausse des anticipations d’inflation engendrant une hausse des taux longs. Les anticipations d’arrêt précoce du QE s’intensifieraient alors. Ce n’est pas, à ce stade, l’évolution qui nous semble la plus probable.