par Frederik Ducrozet et Grégory Claeys, économistes au Crédit Agricole
Le taux directeur de la BCE est maintenu à 1 %, un niveau jugé « approprié ». Une nouvelle baisse des taux ne serait envisagée, selon nous, qu’en cas de décrochage des anticipations d’inflation.
La BCE s’attend à une modération des rythmes de baisse de l’activité, et à une inflation négative cet été.
En détaillant son programme de rachats de covered bonds, la BCE s’est défendue de s’engager dans la voie du Quantitative Easing et de créer de la monnaie. La réalité est (beaucoup) plus complexe.
La BoE laisse son taux directeur inchangé à 0,50 % et ne modifie pas son programme de rachats de titres.
Conformément à nos attentes, la BCE a décidé de laisser son principal taux directeur inchangé à 1 % lors de sa réunion du 4 juin. Les marchés avaient récemment spéculé sur la possibilité d’une nouvelle baisse de taux, compte tenu des commentaires de certains membres du Conseil de gouverneurs et de la publication d’un rapport à la tonalité dovish attribué à « une source BCE ».
Deux facteurs nous laissent penser que le taux refi ne sera probablement pas baissé à court terme (pas plus que les taux des facilités de dépôt et de prêt marginal, respectivement à 0,25 % et 1,75 %) :
- La BCE juge le niveau actuel des taux d’intérêt « approprié » ;
- La première opération de refinancement à douze mois, au taux fixe égal au taux refi (1 %) et pour des montants illimités, sera conduite entre le 23 et le 25 juin. Il serait particulièrement malvenu de baisser le taux appliqué à ces prêts quelques jours ou quelques semaines après avoir permis aux banques de sécuriser un refinancement à un an.
La BCE entend par ailleurs poursuivre sa politique de soutien à la liquidité interbancaire jusqu’en 2010, ce qui devrait contribuer à la normalisation graduelle des conditions de marché et à une meilleure transmission de la politique monétaire. De ce point de vue, une nouvelle baisse de taux ne paraît pas indispensable à ce stade.
Ceci étant, M. Trichet a répété lors de la conférence de presse que 1 % n’était pas nécessairement le point bas pour les taux dans ce cycle. Une nouvelle baisse des taux ne peut donc pas être totalement exclue, mais un statu quo durable reste l’option la plus probable. Dans un scénario alternatif, un assouplissement monétaire pourrait être déclenché par un décrochage des anticipations d’inflation, synonyme de risque accrû de déflation. Or, comme M. Trichet l’a souligné, les anticipations d’inflation de moyen terme restent bien ancrées à ce jour, qu’elles soient mesurées par des indicateurs de marché (comme le taux forward cinq ans dans cinq ans sur les swaps d’inflation) ou des enquêtes d’opinion (comme le Survey of Professional Forecasters de la BCE). Le ralentissement rapide de l’inflation en zone euro à 0 % au mois de mai ne semble donc pas avoir impacté les anticipations. Reste à savoir si celles-ci résisteront également à la publication de taux d’inflation négatifs cet été.
Nouvelle forte baisse des prévisions de croissance
La BCE a publié les nouvelles projections de son staff d’économistes, révélant des révisions plus importantes que prévu aux chiffres de croissance. Le PIB de la zone euro est désormais attendu en contraction de 4,6 % en moyenne en 2009 (contre -2,7 % il y a trois mois), en ligne avec notre propre prévision (-4,5 %). En revanche, la croissance serait encore négative en 2010 (à -0,3 %, contre 0 % il y a trois mois), une prévision que nous jugeons trop pessimiste. Même si M. Trichet a noté que plusieurs indicateurs avancés et enquêtes de confiance s’étaient de nouveau améliorés sur le mois écoulé, il s’est dit « très prudent » sur le potentiel de reprise. La BCE ne s’attend pas à des taux de croissance durablement positifs avant la mi-2010.
60Mds€ de covered bonds, « point final » !
Enfin, la BCE a révélé les détails de son programme de rachats de covered bonds qui vise à raviver ce segment de marché particulièrement affecté par la crise. Si certains points techniques doivent encore être précisés (notamment sur la question du prix de rachat), les grandes lignes de ce programme sont désormais connues. En imposant des conditions assez restrictives sur l’éligibilité des actifs concernés, la BCE décide de viser la partie du marché la plus liquide. Compte tenu de ces restrictions (cf. ci-dessous), les montants mobilisés paraissent largement suffisants dans un premier temps pour espérer avoir un impact sur le marché. En incluant à la fois des covered bonds gagées sur des créances hypothécaires et au secteur public, la BCE confirme qu’elle peut a priori contourner les contraintes imposées par le Traité, en particulier s’il s’agit d’assurer le refinancement des entités publiques régionales. Enfin, M. Trichet s’est défendu de s’engager dans la voie du Quantitative Easing par le biais de ce programme, interprété par certains comme un premier pas vers des rachats d’actifs plus larges (obligations d’Etat et des entreprises). Le président de la BCE a indiqué que la stérilisation de ces opérations se ferait, pour partie au moins, de façon « automatique».
- Taille du programme : « 60 Mds €, point final ! » Contrairement aux spéculations, la taille du programme n’a pas été augmentée par rapport à l’annonce faite le mois dernier. C’est une des raisons qui permettent d’expliquer la réaction des marchés et la nouvelle hausse des taux longs.
- Timing : de juillet 2009 à juin 2010 Les interventions de la BCE seront étalées dans le temps et se feront à la fois sur le marché primaire et secondaire. L’objectif est double : favoriser les nouvelles émissions et soutenir le mouvement de détente des taux et des spreads sur ces actifs. De ces deux points de vue, l’amélioration des conditions de marché est déjà visible depuis l’annonce de la BCE début mai. A noter par exemple que le volume de nouvelles émissions est revenu en quelques semaines à un niveau antérieur à la crise, aux environs de 15 Mds € par mois sur le marché des obligations « Jumbo », par exemple.
- Critères d’éligibilité des actifs : sévères Les covered bonds éligibles devront non seulement répondre aux critères usuels appliqués lors des opérations de refinancement classiques (prises en pension), mais aussi être conformes aux normes européennes liées aux produits financiers structurés (Article 22-4 de la Directive UCITS, Undertakings of Collective Investment in Transferable Securities). En pratique, cela signifie qu’une grosse partie du marché est exclue du programme : la moitié environ des obligations foncières françaises et la quasi-totalité des multi-Cédulas espagnoles notamment. Par ailleurs, les encours des obligations éligibles devront être de 500 millions d’euros ou plus (et dans tous les cas, supérieurs à 100 millions). La BCE vise donc explicitement le marché dit des « Jumbo covered bonds » libellées en euros, dont l’encours total représentait environ 700 Mds € fin 2007. Enfin, les deux derniers critères imposés par la BCE restreignent encore le champ des titres éligibles en termes de notations (AA ou plus, et dans tous les cas au moins BBB-/Baa3) et de maturités (entre trois et dix ans, ce qui exclurait les nombreux titres d’une maturité inférieure). En additionnant toutes ces restrictions, le montant de 60 Mds € du programme paraît élevé, et il se pourrait même que la BCE ne trouve pas suffisamment de titres éligibles, d’où la possibilité de racheter également des obligations à l’émission.
- Stérilisation des opérations de rachats fermes : M. Trichet n’a donné aucune précision sur les moyens employés pour parvenir à une stérilisation « automatique » de ces opérations. L’idée sous-jacente, déjà évoquée par plusieurs membres de la BCE, est de retirer d’un côté (via les opérations de refinancement qui devraient générer une demande moins importante ou via des opérations de drainage exceptionnelles) la liquidité injectée par ailleurs (via les rachats fermes de covered bonds). En réalité, l’effet agrégé de ces opérations sur la base monétaire (réserves des banques commerciales + devises en circulation), est pour le moins incertain. Sa dynamique échappe en partie au contrôle de la BCE dans la mesure où elle dépend du comportement des banques commerciales.
BoE : Rien A Signaler
A l’occasion de la réunion du 4 juin, les membres du comité de politique monétaire de la BoE se sont, sans surprise, prononcés pour un maintien du taux directeur à 0,5 % ainsi que pour une poursuite de la politique de quantitative easing. Dans un court communiqué, la BoE a ajouté qu’il faudrait encore deux mois pour mener à bien son programme d’achat d’actifs de 125 milliards de livres sterling (cf. graphique), mais qu’elle continuerait à voter le montant total alloué à sa politique de QE lors des prochaines réunions. Malgré les bonnes nouvelles de ces dernières semaines au Royaume-Uni (avec notamment un indice PMI qui est repassé au-dessus de la barre des 50 pour la première fois depuis plus d’un an), la BoE n’a pas donné son avis sur la situation économique, il faudra donc attendre les minutes de cette réunion publiées le 17 juin prochain pour en savoir plus quant à ses intentions.