La BCE prête à agir

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Ce n’est pas un virage à 180 degrés qu’a opéré la Banque Centrale Européenne lors de son dernier Comité de politique monétaire le 4 avril mais le changement de discours est nettement perceptible. La BCE ouvre à nouveau la porte à une baisse de taux après l’avoir refermée début janvier, en se tenant « prête à agir ». Surtout, son appréciation de l’économie réelle a sensiblement changé en quelques mois, la BCE se montrant beaucoup plus pessimiste sur les perspectives de la zone euro.

La BCE assure que la politique monétaire va rester accommodante aussi longtemps que nécessaire. Mais que peut-elle faire ?

Sur le front de la politique conventionnelle, elle peut encore diminuer le taux refi de 25pb à 0,50%. Si jusqu’à présent, la BCE se montrait réticente à abaisser à nouveau le refi, les barrières semblent tomber peu à peu. En cas de baisse de taux, il est probable qu’elle réduirait le corridor pour maintenir le taux de dépôt à 0%. Comme nous l’avions mis en avant en février1, une baisse de taux de 25pb ne serait pas la solution aux problèmes de la zone euro mais elle pourrait malgré tout alléger les tensions pesant sur certains pays. Par ailleurs, les raisons légitimant une baisse de taux ont eu tendance à se renforcer ces derniers mois.

  • La croissance de la zone euro va vraisemblablement rester en territoire négatif au premier semestre 2013. Les indicateurs avancés de la croissance après une légère amélioration en début d’année sont repartis à la baisse en mars. La demande domestique continue de s’ajuster à la baisse avec le maintien des politiques d’austérité dans la plupart des pays. La reprise du commerce mondial est lente, suggérant qu’il ne faut pas trop attendre du commerce extérieur pour tirer la zone euro de l’ornière.
  • L’inflation est désormais bien inférieure à la limite de 2%, se situant à 1,7% en mars et les anticipations d’inflation restent bien ancrées. Etant donné la croissance des excès de capacité dans la zone euro, le risque inflationniste est de plus en plus faible. La BCE considère toujours que les risques sur l’inflation sont équilibrés mais pourrait changer d’idée dans les mois qui viennent.
  • La politique monétaire s’est resserrée avec les remboursements de VLTRO ces derniers mois, réduisant la taille du bilan de la BCE. Par ailleurs, la baisse de l’inflation fait remonter les taux d’intérêts réels.
  • Les banques des pays périphériques sont toujours fragiles et continuent de venir se financer à la BCE (malgré le début de remboursement des VLTRO). Elles bénéficieraient ainsi de la baisse du refi. La transmission de la politique monétaire à l’économie est toujours difficile, les taux des prêts aux ménages et entreprises dans les pays en difficulté restent élevés.

Outre la politique conventionnelle, la BCE dit réfléchir également à étendre ses mesures non conventionnelles mais tout en restant dans le cadre de son mandat, c’est-à-dire en s’interdisant de monétiser de la dette publique et de prendre trop de risques sur son bilan et en évitant toute création d’un aléa de moralité, ce qui réduit considérablement ses marges de manœuvre. Si l’objectif est de réussir à faire baisser les coûts de financement pour les agents privés dans les pays où les canaux de transmission sont déficients, la BCE pourrait acheter fermement des titres peu risqués (covered bonds comme ce fut le cas en 2012 ou titres corpo) finançant ainsi directement l’économie en s’inspirant des actions passées de la Réserve Fédérale américaine (TALF2 et CPPF3).

Mais la BCE semble toujours réfractaire à aller plus loin, insistant sur les mesures déjà prises, en particulier l’extension du collatéral accepté aux opérations de refinancement qui permet aux banques d’apporter des crédits. Il y a cependant une différence entre accepter du collatéral et acheter fermement (risque de crédit), barrière que la BCE refuse de franchir pour le moment (sauf sur les covered). Par ailleurs, le financement direct est moins aisé en zone euro qu’aux Etats-Unis dans la mesure où le financement de l’économie est très différent (financement de marché aux Etats-Unis vs financement intermédié dans la zone euro). Le « funding for lending » de la BOE pourrait également servir d’exemple en rendant les conditions plus favorables pour les banques qui prêtent à l’économie.

Jusqu’à présent, la BCE était dans une posture de « wait and see », elle pourrait rapidement passer à l’acte, mais toujours en dissociant la politique conventionnelle de mesures non conventionnelles.

NOTES

  1. Edito du 22 février 2013 “BCE : to cut or not to cut ?”
  2. TALF : Term Asset-Backed Securities Loan Facility
  3. CPPF : Commercial Paper Funding Facility

Retrouvez les études économiques de Natixis