par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM
Les réserves de change chinoises n’ont progressé que de 7,7 mds USD au premier trimestre, le chiffre le plus faible depuis le printemps 2001. Pour mémoire, un an auparavant, ces réserves avaient bondi de 154 mds USD.
La Chine étant le premier détenteur de bons du Trésor américain, on peut se poser la question quant à sa capacité (mais cela vaut également pour l’ensemble des pays à excédents d’épargne) à contribuer au financement des pays épargnant insuffisamment, au premier rang desquels les Etats-Unis.
Un rôle croissant dans le financement de l’économie américaine
Au cours des dernières années, les réserves de change chinoises ont été alimentées à la fois par les énormes excédents commerciaux (entre 260 et 300mdsUSD en 2006 et 2007) et, situation atypique, par les entrées nettes de capitaux (il est très rare qu’un pays cumule simultanément excédents courants et excédents financiers sur plusieurs années).
La volonté des autorités chinoises de maintenir le Renminbi (RMB) sous-évalué notamment par le biais du contrôle des flux des capitaux, s’est donc traduite par une accumulation massive de réserves, atteignant à la fin 2008, 1945 mds USD. Il est clair que ce montant est allé bien au delà de la logique usuelle, qui est de protéger le pays en cas de choc extérieur. En tout état de cause, la gestion de ces réserves s’est faite, jusqu’ici, dans le respect de la stratégie chinoise de stimuler son secteur exportateur en s’appuyant particulièrement sur la consommation américaine. Ainsi, ces réserves ont été principalement investies sur l’actif considéré comme le plus liquide et offrant le moins de risque possible, c’est-à-dire les bons du Trésor américain.
Les statistiques de détention de bons du Trésor américain par les non-résidents attestent du comportement extrêmement actif de l’Administration d’Etat du Taux de Change (en anglais SAFE), le gérant des réserves chinoises.
Début 2000, la part de la dette publique américaine détenue par la Chine atteignait à peine 1% de l’encours total. Début 2009, le ratio est passé à 7%, faisant de la République Populaire le premier détenteur non-résident de bons du Trésor (à hauteur de 744 mds USD).
L’importance de la Chine dans le financement de la dette publique américaine transparaît encore plus depuis l’éclatement de la crise du crédit. Entre juin 2008 et février 2009, l’encours de dette publique aux Etats-Unis a crû de 1488 mds USD, financé à hauteur de 237 mds USD par la Chine, soit 16% ! Ce chiffre est en outre probablement sous-estimé car il n’intègre pas les achats réalisés pour le compte de la Chine par des intermédiaires, notamment à Londres.
Au moment où les Etats-Unis enregistrent une dégradation très rapide de leurs finances publiques, la seconde moitié de l’année pourrait ne pas ressembler à la première, les banques centrales étrangères ne pouvant soutenir le rythme des émissions au moment même où la reconstitution de l’épargne privée américaine comprime les excédents commerciaux à l’extérieur des Etats-Unis.
Réduction des déséquilibres
Une des conséquences de l’éclatement de la bulle du crédit aux Etats-Unis est la contraction très rapide du déficit commercial. Ce dernier s’est établi à 36 mds USD en février (26 mds USD en tenant compte des services), contre plus de 70 mds USD jusqu’en juillet dernier. Evidemment, la chute du cours du pétrole a grandement contribué à ce rééquilibrage, mais le déficit des échanges hors pétrole s’est lui aussi contracté pour retrouver son niveau d’il y a dix ans.
Mécaniquement, la contraction du déficit commercial américain réduit, toutes choses égales par ailleurs, les excédents des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Toutefois, tous les pays ne sont pas exposés de la même manière et, jusqu'à présent, l’excédent commercial chinois s’est maintenu à un niveau élevé.
Ainsi, au 1T09, il a atteint 62,5 mds USD, 22 mds USD de plus qu’un an auparavant. Dans le cas du Japon, en revanche, l’excédent s’est rapidement transformé en déficit. La situation est évidemment encore plus dégradée pour les pays exportateurs de pétrole.
En Chine, le principal changement se situe plutôt du côté des comptes financiers de la balance des paiements. La faillite de Lehman Brothers a semble-t-il porté un coup aux capitaux « spéculatifs ». Depuis le 4T08, l’excédent commercial est en effet supérieur à la hausse des réserves de change, ce qui signifie que les mouvements nets de capitaux sont, dans l’ensemble, devenus négatifs.
Il est probable que l’anomalie de la balance des paiements chinoise (excédents à la fois des comptes courants et des comptes financiers) ne se vérifie pas en 2009. Dans ce cas, la hausse des réserves de change sur l’année serait inférieure à celle des années précédentes, passant de plus de 400 mds USD en 2008 à 150 mds USD, 200 mds USD tout au plus. En termes de flux, il sera sans doute impossible à la Chine de contribuer au financement de la dette publique américaine autant qu’elle l’a fait au cours des douze derniers mois.
Il n’est donc pas surprenant de voir ces derniers temps la Chine multiplier les « avertissements » aux Etats-Unis : retour de fait à un taux de change fixe face au dollar, demande de « garantir » la valeur des actifs en dollars détenues par la Chine, multiplication des accords de swap avec d’autres banques centrales portant sur des RMB et plaidoyer pour une refonte du système financier international retirant au dollar son statut de monnaie de référence.
Néanmoins, un moindre financement de la dette par des capitaux extérieurs n’implique pas nécessairement une hausse des taux longs et/ou une dépréciation du dollar. Tout dépendra de l’ampleur de la reconstitution de l’épargne intérieure. En l’occurrence, le retour de la valeur du patrimoine net des ménages à moins de cinq fois le revenu disponible suggère un retour du taux d’épargne vers les 7-8% dans les prochains trimestres (le dernier chiffre connu se situe à 4,2% en février), ce qui accroîtrait l’offre de fonds prêtables de plus de 700 mds USD par an. En revanche, les banques centrales étrangères étant surtout actives sur la partie courte de la courbe, une baisse de leurs achats conduirait à un certain aplatissement de la courbe, à moins que la Fed intervienne (ce qui ne saurait être que temporaire).
Conclusion
La fin du modèle de consommation tirée par le crédit implique aussi l’arrêt de la montée de l’épargne alimentée par les exportations. Dans ce cadre, la Chine ne pourra plus à l’avenir accroître ses réserves de plus de 400 mds USD comme en 2008. La contraction du déficit commercial américain hors pétrole en apporte la confirmation. Toutefois, il est dans l’intérêt de la Chine d’éviter une chute brutale du dollar, et le billet vert restera le support privilégié des réserves de change. Evidemment, si ce scénario de rééquilibrage global ne se vérifiait pas, et que la sortie de crise se traduisait par le retour des déséquilibres, il faudrait craindre alors un destin bien plus difficile pour le dollar et l’économie mondiale.
L’autre conséquence majeure de l’éclatement de la bulle du crédit est le transfert massif de dette du secteur privé vers le secteur public. La chute de leur patrimoine net a déjà incité les ménages américains à accroître leur taux d’épargne, de 0% à plus de 4%, et la hausse n’est probablement pas finie. On se dirige donc vers un financement de la dette publique davantage centré sur le secteur privé résident. Une éventualité favorable à la stabilité du dollar et des taux, mais certainement pas à la croissance du PIB.