par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Les taux montent pour de bonnes raisons : l’économie est dynamique, en accélération aux États-Unis et en zone Euro. Par ailleurs, les Banques Centrales vont mettre fin à leurs politiques monétaires très accommodantes et les marchés obligataires vont donc progressivement retrouver un fonctionnement plus « naturel ». Reste que le rythme de cette hausse logique des taux est rapide… Trop rapide ? à peine sorti de la déflation, faut-il craindre le retour de l’inflation et un dérapage des marchés obligataires aux conséquences fâcheuses sur la valorisation des actifs ?
Depuis le début de l’année, les rendements obligataires 10 ans sont passés de 2,4 % à près de 2,9 % aux États-Unis (moins de 2,1 % en septembre) et de près de 0,5 % à près de 0,8 % en Allemagne (0,3 % en septembre). Ceci est logique compte tenu de la conjoncture et de la fin des « Quantitative Easing(1) ». Rappelons-nous qu’il y a encore quelques mois, les investisseurs se plaignaient de marchés obligataires asséchés, aux rendements trop bas – voire négatifs – qui pesaient sur les passifs des institutions et sur leurs stratégies de placement.
Les politiques inédites des Banques Centrales sont certes discutables, mais elles semblent avoir réussi à ramener une confiance globale dans l’économie et les marchés après la terrible crise de 2008 : les indicateurs d’optimisme, émanant des investisseurs, des consommateurs et des chefs d’entreprises sont au plus haut depuis 2007 de part et d’autre de l’Atlantique. Il semble donc temps de procéder à une certaine normalisation et de laisser les marchés fonctionner naturellement.
Les perspectives d’inflation remontent aussi, de manière logique dans cet environnement. La question actuelle est de savoir jusqu’où ? Aux États-Unis, le programme de réduction fiscale agit comme une politique de stimulation, habituelle- ment réservée aux périodes de récession, alors que cette fois-ci, l’économie est mature et que le taux de chômage est au plus bas à 4,1 %. D’ailleurs, la correction récente a été déclenchée par la publication du taux de salaire horaire, en progression de près de 3,0 % en rythme annuel. De ce fait, les anticipations d’inflation commencent à s’orienter à la hausse. Les « Breakeven » inflation(2), c’est-à-dire l’inflation implicite inscrite dans le cours des obligations indexées, est passé de 1,9 % à près de 2,2 % en quelques jours. L’inflation pourrait donc s’établir dans une fourchette 2,5 %/3,0 % cette année contre 2,0 % en 2017. Certains gérants évoquent même la possibilité d’atteindre 5,0 % fin 2018, scénario qui aurait de sérieuses conséquences sur les marchés…
Nous n’en sommes pas encore là : nous sortons à peine de la crainte d’un scénario déflationniste mondial et du fameux « mystère de l’inflation » évoqué par Janet Yellen elle-même, il y a quelques mois. Les dernières statistiques sont encore en deçà des niveaux cibles de 2,0 %, donnés par la Fed et aussi la BCE.
Taux d’intérêt : Bienvenue monsieur Powell !
Sa nomination coïncide avec la première sérieuse correction de Wall Street depuis près de 2 ans. Les marchés vont apprendre à décoder le nouveau président de la Fed. Jusqu’à présent, le consensus considère qu’il s’inscrira dans la logique de Janet Yellen et qu’il poursuivra sa politique de normalisation très progressive. Mais certains notent qu’il n’est pas un partisan de taux d’intérêt ultra bas et qu’il est sensible aux critiques qui visent la Fed dans la création de bulles financières. Toujours est-il que trois hausses des taux de 25 points de base sont attendues cette année, la première le 21 mars, ce qui porterait les Fed Funds dans une fourchette 2,0 %/2,5 % à la fin de l’année. Compte tenu des nouvelles craintes inflationnistes, il y a désormais une possibilité pour quatre ou même cinq hausses des taux. Dans ce cas, la réaction des marchés obligataires serait négative dans un premier temps, mais la tension des taux longs pourrait finalement être assez modérée et la courbe des taux s’aplatir, la Fed montrant ainsi qu’elle est aux commandes et en contrôle de l’inflation… à suivre. La prochaine et première prise de parole de Jérôme Powell aura lieu le 3 mars.
Nous pensons que les taux longs américains gouvernementaux devraient se stabiliser autour de 3 % dans les prochains mois, car les pressions inflationnistes devraient rester somme toute modérées. Les Banques Centrales ont permis de sortir de la crise et nous allons finalement revenir très progressivement à des modes de fonctionnement plus normaux des marchés. Et il est également normal que les salaires retrouvent leurs niveaux d’avant crise.
En zone Euro, les anticipations d’inflation n’ont pas beau- coup progressé, les « Breakeven » inflation ont à peine varié ces dernières semaines et se situent à environ 1,3 % à 10 ans sur le Bund allemand. Les marchés à terme anticipent un premier relèvement de l’Eonia à horizon mi-2019, ce qui paraît logique avec la feuille de route de la BCE. Le marché s’attend à mi-année à une annonce sur la fin de programme de QE, et à un premier relèvement des taux directeurs au premier trimestre 2019. Le positionnement dans le cycle est également en retard par rapport à celui des États-Unis. Cette thématique est cependant d’actualité avec les négociations salariales en Allemagne. La hausse des salaires sera un sujet après l’augmentation de 4,3 % obtenue par le syndicat de la métallurgie IG Metall. D’autres corporations vont probablement obtenir des concessions du même ordre. Mais l’Allemagne est un cas particulier en Europe avec un excédent budgétaire et commercial et le pays a les moyens de « redistribuer » les fruits du succès économique, dans le cadre d’un nouveau mandat d’Angela Merkel qui devra composer avec le Parti social-démocrate, plus « à gauche ».
Plus généralement en zone Euro, la réaction des marchés a – là aussi – été rapide par rapport à des craintes inflationnistes qui ne se matérialisent pas encore dans les statistiques. Ce mouvement a accompagné celui initié outre-Atlantique et également en anticipation de la fin programmée du « Quantitative Easing » fin 2018. Nous pensons que le rendement du Bund 10 ans devrait se stabiliser autour de 1,0 % dans les prochains mois et redonner un peu de sérénité aux marchés.
Les obligations crédit « Investment Grade » et « High Yield » sont trop chères selon nous. Il y a peu de potentiel de réduction supplémentaire des spreads aux niveaux actuels et le profil devient donc asymétrique avec peu de rendement et du risque en cas de scénario négatif. Nous pensons toujours, et plus que jamais au vu du contexte actuel, que les obligations indexées permettent de couvrir un scénario inflationniste potentiel. L’asymétrie est « dans le bon sens », à moins de croire à un scénario à nouveau déflationniste. Il y a encore du chemin, surtout en zone Euro, entre l’inflation implicite et la zone de 2 % qui est à la fois la cible de la BCE et le niveau d’avant crise.
Les obligations émergentes, surtout celles en devises locales qui ont notre faveur depuis plusieurs mois, ont fait preuve de résilience durant la correction récente. Les spreads émergents vs américains sont restés stables et les devises ont peu varié contre le dollar. C’est seulement le repli du dollar contre l’euro qui fait apparaître une performance légèrement négative sur la période récente pour les investisseurs européens. Le rendement est attractif : il est possible de construire des portefeuilles de maturité 5 ans en obligations gouvernementales émergentes, à près de 8 % de rendement.
Les arguments positifs en faveur des obligations convertibles européennes n’ont pas changé depuis notre dernière publication de décembre : le niveau de Delta est presque optimal car proche de l’asymétrie idéale à près de 40 %, même si il y a peu de rendement.
Devises : toujours surveiller le dollar USD et le YUAN
Le paramètre « devises » reste à surveiller pour la stabilité globale des marchés. Le dollar, avec un « Twin deficit » américain en détérioration (déficit budgétaire et commercial) a toutes les raisons de baisser, et c’est d’ailleurs ce qui s’est produit ces derniers mois. Contre l’euro, il est désormais très proche de la résistance technique très importante autour de la zone des 1,25. Celle-ci risque d’être difficile à franchir à court terme : le scénario de baisse du dollar est désormais très consensuel et il y a beaucoup de positions ouvertes en ce sens, donc fragiles. La devise chinoise est également un paramètre important pour les marchés. Une baisse rapide du RMB pourrait relancer des mouvements de « guerre des changes ». La Chine pourrait en effet être tentée de laisser à nouveau baisser sa monnaie en réponse au choc de compétitivité décidé par les États-Unis. Nous pensons qu’elle baissera de l’ordre de 5 % cette année contre le dollar et que ce mouvement sera progressif, donc peu déstabilisateur. Mais attention à ce paramètre. Notons que depuis la correction récente, elle s’est repliée d’un peu plus de 1% en 10 jours.
Actions : le contexte d’accélération de la croissance est favorable aux bénéfices
La croissance mondiale 2018 vient d’être révisée à la hausse par le FMI, de 3,7 % à 3,9 %. Aux États-Unis, les dernières mesures vont redonner une impulsion et, bien qu’en phase de cycle mature après 9 ans de reprise, la croissance 2018 pourrait dépasser celle de 2017 à plus de 2,5 % contre près de 2,2 %. Tous les indicateurs avancés et enquêtes d’opinions auprès des chefs d’entreprises et des consommateurs soulignent que ce mouvement d’amélioration semble solide. 94 % des indices PMI recensés dans les principaux pays développés et émergents sont supérieurs au seuil de 50, qui indique une expansion.
Avec la correction récente et le mouvement de révision à la hausse des bénéfices des entreprises – qui s’opère depuis quelques semaines après la réforme fiscale – la valorisation des actions amé- ricaines a baissé. Les bénéfices des entreprises sont actuellement recalculés, mais les dernières estimations prévoient entre 150 et 155 dollars par indice de bénéfice en 2018 : soit une progression de 14 % à 18 % cette année. Pour 2019, même si c’est encore un peu tôt, elles s’établissent à un peu plus de 172 dollars, soit une progression supplémentaire de l’ordre de 10 %. Ceci donne finalement un PER de l’ordre de 17,0 pour 2018 et de 15,5 pour 2019. Ce n’est certes « pas donné » au regard des normes historiques et le marché est aussi cher en termes de prix/valeur d’actif. Mais nous ne sommes pas en situation de bulle évidente aux niveaux de taux actuels.
En Europe, il y a quelques petits réajustements à la baisse dus à la force de l’euro depuis quelques mois, mais rien de particulièrement inquiétant au vu du momentum actuel de croissance. Une progression des bénéfices des entreprises autour de 10 % est attendue pour 2018 et 2019, ce qui donne des PER très raisonnables autour de respectivement 14 et 13, avec un rendement des dividendes de l’ensemble du marché qui reste élevé à plus de 3 %. Les secteurs qui avaient notre préférence et que nous avions mentionnés lors de notre conférence du 17 janvier surperforment et devraient continuer à le faire : les financières (les banques particulière- ment), l’automobile et, dans l’ensemble, plutôt les cycliques. Nous aimons toujours les actions émergentes qui bénéficient également d’une dynamique positive sur les résultats des entreprises.
Scénario central
Nous avons vécu une consolidation de marché violente, déclenchée par des craintes inflationnistes non encore avérées, et accentuée par des facteurs techniques, comme nous le craignions en début d’année (flash krach).
La clé sera l’évolution des taux d’intérêt. Nous ne pensons pas que nous puissions passer du « mystère de l’inflation » à un scénario de dérapage inflationniste en si peu de temps. Le marché sera néanmoins sensible à cette thématique dans les prochaines semaines et il faudra suivre tous les indicateurs relatifs à ce thèmes : statistiques de l’emploi, publication des composantes du CPI, Banques Centrales…
Mais dans l’ensemble, la conjoncture macro et micro-économique reste bonne et les plus hauts niveaux atteints par les actions cette année devraient être retrouvés assez rapidement, ce qui donne un potentiel d’environ 10 %, avec dividendes, sur les actions européennes et autour de 5 % sur les actions américaines.
NOTES
- Quantitative Easing : rachats massifs de titres de dettes par une Banque Centrale (2)
- Le « Breakeven » inflation représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente indexée sur l’inflation (taux réel).