par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
La bataille entre investisseurs optimistes et pessimistes fait rage. Alors que les inquiétudes des investisseurs ont porté dans un premier temps sur le risque politique et le risque lié aux mesures déployées, depuis la fin du premier trimestre, c’est l’évolution de la reprise qui retient à nouveau l’attention des investisseurs. En effet, la reprise économique semble gagner du terrain et contrairement aux impressions de départ, ce processus semble plus tangible aux États-Unis. Ceci devrait permettre d’atténuer les inquiétudes relatives à un scénario en double creux ; les investisseurs craignent en effet que celui-ci ne se concrétise plus tard cette année avec l’essoufflement de la reprise liée à l’écoulement des stocks.
La production industrielle demeure bien placée, tandis que l’activité s'améliore nettement dans les secteurs des services, durement touchés par un repli de la consommation. Nous sommes convaincus qu’un cycle de reprise autoentretenue (quoique plus lente que précédemment) est amorcé, notamment sous l’effet d’une normalisation des dépenses des entreprises. Il existe également des signes tangibles d’une reprise de l’emploi aux États-Unis.
Avec l’intensification probable de la reprise au deuxième trimestre, l’attention des investisseurs pourrait se concentrer à nouveau sur le risque lié aux taux d’intérêt (le coté « normal » de toute amélioration des conditions économiques). Le risque lié au crédit souverain pourrait subsister du fait de l’absence d’une issue correcte face à certaines difficultés.
Les inquiétudes relatives à la stabilité de la zone euro ne devraient pas s’estomper avant un certain temps et de ce fait, les appréhensions du marché ne se rapportent plus à la consommation américaine ; l’Union monétaire est désormais le centre des préoccupations. D’ici peu, les États-Unis seront à nouveau au centre du jeu et les perspectives concernant l’Europe seront alors à nouveau meilleures.
Les investisseurs se demandent pourquoi la zone euro ne trouve pas plus rapidement une issue à la crise grecque. De fait, il semble que la crise au sein de la zone euro ne se rapporte plus à la Grèce, puisque nous sommes désormais plus proches d’une solution qu’au début de cette crise. Nous assistons à une crise plus étendue de la gouvernance économique au sein de la zone euro, afférente principalement à une compétitivité relative, à des prix et à des salaires relatifs dans la zone euro.
Le débat récent sur la politique économique allemande (déclenché par les remarques de la France) reflète et illustre bien ces aspects. Le cas grec a fait ressortir l’une des principales fractures économiques de l’Europe. La France, qui a pendant des années fait preuve d’acharnement pour égaler le niveau de compétitivité de l’Allemagne en matière de prix sur le marché intérieur et de discipline salariale, demande une nouvelle fois à celle-ci de relancer la demande intérieure et les salaires nominaux. Pour sa part, l’Allemagne a déclaré que ses partenaires devaient d’abord appliquer le code de conduite économique de la zone euro, qu’ils ont eux-mêmes signé. La chancelière Angela Merkel ne manquera pas de leur rappeler que ces règles doivent être respectées pour le bien de la compétitivité à plus long terme de l’Europe.
Le débat relatif à ce qui serait ou ne serait pas une politique économique appropriée continuera à faire la une au cours des prochains mois. Deux alternatives semblent possibles : une réduction par l’Allemagne de son taux d’épargne, conjuguée à une augmentation de sa demande intérieure, OU la mise en place obligatoire par des pays tels que l’Espagne, le Portugal et la Grèce de politiques budgétaires déflationnistes.
A long terme, la productivité demeure le maître-mot et l’Europe devra mettre en place les réformes structurelles variées prévues par la Stratégie de Lisbonne, réformes qu’elle a éludées ces dix dernières années. Celles-ci doivent inclure, fondamentalement, la promotion de l’innovation technologique (utile en termes de consolidation budgétaire à long terme). N’oublions pas que l’un des objectifs de cette Stratégie consiste à faire de l’Europe « l’économie du savoir la plus dynamique et la plus compétitive du monde ».
A court terme, cette stratégie est susceptible d’entraîner, dans les pays confrontés aux ajustements et aux réformes, une croissance inférieure et une hausse du chômage supérieure à ce qu’elles seraient dans le cadre de la politique alternative consistant en une absence de réforme et une consolidation budgétaire plus limitée. La pression baissière sur l’euro est soutenue par le message déflationniste que renvoie le comportement des marchés de la dette en euro.
Cependant, à long terme, les avantages économiques d’une politique de libéralisation sont plus importants et plus durables. Ceux-ci seront assurés en contrepartie d’un coût social qui ne sera pas si élevé mais qui sera direct. L’Europe ne peut pas se permettre de perdre une autre décennie et la crise actuelle du crédit souverain doit être le catalyseur d’une consolidation budgétaire et d’un choc de productivité indispensables pour le Vieux Continent. Dans le contexte actuel de la reprise du marché, la zone euro est désormais considérée comme un cas à problèmes (l’Europe est la région dotée du momentum bénéficiaire le plus faible).
L’économie mondiale reste vulnérable aux erreurs politiques telles que le resserrement général des politiques monétaires et budgétaires uniquement aux fins de ménager les marchés. L’Allemagne souhaite se servir de la crise grecque pour réévaluer la gouvernance économique de la zone euro et militer en faveur des ajustements politiques nécessaires dans plusieurs pays.
A la fin de ce trimestre, les investisseurs semblent avoir perdu leurs repères, l’écart entre les optimistes et les pessimistes n’ayant jamais été si prononcé. La solidité de certains indicateurs, notamment l’indicateur qui a été le plus faible sur une longue période, à savoir la consommation américaine, a atténué la tendance au pessimisme des investisseurs, alors que dans le même temps, la crise de la dette souveraine met les investisseurs optimistes à rude épreuve. Résultat : le débat concernant un potentiel scénario en double creux en 2011 continue à préoccuper les investisseurs, lesquels demeurent peu enclins à payer le prix d’une croissance à moyen terme.
Nous sommes d’avis que les principales forces qui vont tirer les marchés d’actions devraient rester les mêmes tout au long du trimestre. Comme au premier trimestre, nous assisterons à la confrontation entre risque politique et risque lié aux mesures déployées d’une part, et reprise économique positive d’autre part. Le risque baissier concernant les actions sera le fait de l’augmentation constante des rendements obligataires. Une fois encore, toute rechute du marché ne sera pas due à des données économiques moins satisfaisantes que prévu, mais plutôt l’inverse. Des signes plus nets d’expansion pourraient, c’est du moins ce qu’avance le consensus actuel, faire réapparaître les risques lié à des relèvements des taux directeurs d’ici à la fin de l’année. Plutôt que de nous concentrer sur la prochaine saison des résultats des entreprises américaines en tant qu’élément déclencheur de la prochaine phase de la reprise, il conviendrait de continuer à suivre de près l’évolution du rendement américain à 10 ans, proche de 4 % à la fin du trimestre. D’après nous, les marchés d’actions sont toujours dans une phase de consolidation qui s’étend dans la durée, et les forces positives et négatives semblent à même de se neutraliser.
Poursuite de la reprise du côté des dépenses d’équipement
Nous avons, depuis quelque temps, vanté les mérites d’une reprise liée aux dépenses d’équipement. Les entreprises sortent de la récession en bonne santé : la rentabilité a été maintenue à des niveaux élevés et les bilans n’ont pas été soumis à un endettement excessif. Dans plusieurs secteurs, des goulots d’étranglement font leur apparition et l’investissement se situe à des niveaux trop faibles pour être viables.
Les investisseurs s’interrogent sur le très grand effet de dissuasion que le net écart de production peut avoir sur la reprise liée aux dépenses d’équipement, étant donné qu'il existe toujours un grand nombre de secteurs faibles et d’importantes capacités excédentaires en place. Dans la pratique, les dépenses d’équipement ne consistent pas seulement à accroître les capacités de production. Pour les entreprises, il s’agit également d’effectuer des mises à niveau technologiques, de conserver leur part de marché et enfin, mais non sans importance, de pouvoir rivaliser avec la Chine, de plus en plus compétitive.
Compte tenu également du fait que la reprise en Europe sera vraisemblablement anémique, la croissance se mettra plus difficilement en place pour les entreprises concentrées dans des régions à plus faible croissance telles que l’Europe. L’écart entre les niveaux de croissance tend à indiquer que le marché octroie une valorisation plus importante aux entreprises capables de générer de la croissance. Accroître les investissements dans une société est une manière de générer de la croissance. Les entreprises peuvent également avoir recours à leur bilan pour pousser les taux de croissance de leurs bénéfices vers le haut soit en rachetant leurs actions, soit en réalisant des acquisitions. Ces deux méthodes soutiennent les marchés des actions.
L’effet de dissuasion se poursuit
Les consommateurs américains ont entamé ce qui ressemble à un long processus de désendettement bilantaire et de reconstruction de leur épargne, dans le but éventuel de restaurer une relation plus viable entre l’endettement des ménages et leur capacité à supporter cet endettement. Le ratio endettement/service de la dette permet de mesurer la viabilité de la situation des ménages et selon cette mesure, les consommateurs ont déjà parcouru pratiquement la moitié du chemin. Le désendettement des ménages devrait se poursuivre au cours du premier semestre 2010, même si l’avènement d’une nouvelle ère pour les ménages ne signifie pas nécessairement qu’il s'agira d’une période sans recours à l’emprunt. Le crédit à la consommation amorcera une progression, quoique plus lente que la croissance des revenus. Ainsi le crédit à la consommation a commencé à augmenter en janvier, après avoir été en repli sur 15 des 17 derniers mois. L’endettement des entreprises pourrait progresser plus rapidement grâce à des bilans sains et à une amélioration des bénéfices.
Les rendements obligataires à long terme se sont également maintenus à des niveaux très faibles (en dépit des niveaux démesurés des déficits budgétaires), en partie grâce à l’assouplissement quantitatif, et également à une contraction sans précédent de la demande privée pour le crédit. Néanmoins, la situation est sur le point de changer. Les demandes de crédit privées sont en passe de rebondir, suite à la faiblesse enregistrée au cours des 18 derniers mois.
Malgré le recul brutal des demandes de crédit au quatrième trimestre, un revirement est sur le point de se produire. D’après nous, l’inversement de cette tendance sera déterminé par l’augmentation de la demande de crédit aussi bien de la part des ménages que des entreprises. Même si les règles strictes s’appliquant aux prêts continuent à pénaliser le niveau d‘emprunt et donc leur rendement, l’impact sur la croissance s’atténue. De plus, le pourcentage net d’entreprises responsables d’octroi de prêts favorables à l’acceptation de prêts aux particuliers est redevenu positif pour la première fois en deux ans et demi et il a atteint un plafond sur quatre ans.
Le problème de la compétitivité
Le problème sous-jacent de la compétitivité au sein de la zone euro est impressionnant. Le dernier sommet de l’Union européenne a abordé principalement l’écart de liquidité, mais pas le problème de la compétitivité. Pour restaurer leur compétitivité face aux membres fondateurs de l’UE, les salaires en Grèce, en Espagne et en Irlande doivent reculer de 6 à 10 % en termes absolus au cours des cinq prochaines années, à moins que l’Allemagne n’amorce une relance plus importante. Une telle baisse des salaires n’a pas encore commencé en Grèce et en Espagne, où la croissance des salaires qui ressort des données les plus récentes est supérieure à celle de l’Allemagne.
Une réduction de 6 à 10 % des salaires se traduirait par une déflation continue dans ces pays.
Accroissement de l’écart entre les États-Unis et l’Europe
L’écart entre les États-Unis et l’Europe s’élargit, et ce à différents égards. Il ressort principalement des prévisions. Ainsi les prévisions de croissance concernant les États-Unis sont toujours revues à la hausse, tandis que les perspectives relatives à la zone euro sont affaiblies du fait de la situation des pays du Sud. Des écarts sont visibles également en termes de chômage. Il existe en effet une différence notable dans la vitesse d’ajustement sur les marchés du travail. Aux États-Unis, bien que les entreprises aient supprimé des emplois en masse au début de la crise, des signes d’amélioration encourageants se font désormais sentir. Enfin, un écart devrait se creuser au niveau politique entre les États-Unis et l’Europe, ceux-ci devant amorcer le resserrement des politiques monétaires et l’Europe le resserrement des politiques budgétaires.
En fin de compte, cette divergence de situations est reflétée dans les spreads de rendement qui s’élargissent et dans l’affaiblissement de l’euro.
C’est pourquoi nous sommes prêts à nous montrer plus offensifs dans le recours à notre biais sur les États-Unis.