La course d’obstacles du TTIP

par Catherine Stephan, Economiste chez BNP Paribas

En juillet 2013, les Etats-Unis et l’Union européenne ont entamé des négociations en vue d’aboutir à la ratification du Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP, en anglais).

De nombreux points restent en suspens à quelques mois des élections présidentielles américaines.

La Commission européenne et les Etats-Unis ont accéléré le processus des négociations, mais cet empressement inquiète certains dirigeants européens.

La défiance des dirigeants politiques doit toutefois être jaugée à l’aune de celle, croissante, de la population.

La Commission européenne, qui a besoin d’asseoir sa légitimité pour poursuivre sereinement les négociations, souhaite demander aux chefs d’Etat ou de gouvernement de conforter son mandat de négociation lors du sommet européen des 28 et 29 juin prochains.

Les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ont entamé en juillet 2013 des négociations en vue d’aboutir à la ratification du Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI), plus connu sous les sigles TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement). Les Etats-Unis et l’UE espèrent qu’un tel accord se traduirait par de nouveaux débouchés commerciaux, des économies d’échelle et des gains de productivité. Alors que leur poids dans le commerce mondial est prépondérant, ils souhaitent par là même répondre à la montée en puissance des pays émergents, en particulier la Chine.

Les Etats-Unis et l’UE peinent cependant à s’entendre. Le large champ des domaines couverts par le TTIP participe indéniablement à la lenteur des négociations. Ce traité vise en effet à réduire non seulement les droits de douane, mais également les obstacles non tarifaires, tels que les lois, les règlements et les normes. L’UE et les Etats-Unis espèrent en particulier parvenir à une reconnaissance mutuelle des procédures. Il s’agit, par exemple, tout en conservant des normes de sécurité, d’accélérer l’accessibilité des dispositifs médicaux (stimulateurs cardiaques, scanneurs…), particulièrement lorsque les règles appliquées font double emploi, ou imposent des essais identiques.

L’opposition d’une partie de la société civile, qui redoute que les normes sociales et environnementales soient mises à mal, contribue également à freiner les pourparlers. Cette opposition oblige en effet la Commission européenne, soucieuse d’asseoir sa légitimité, à revoir certaines de ses propositions, rallongeant d’autant les négociations1.

Des négociations menées par la Commission européenne

C’est la Commission européenne, grâce au mandat obtenu auprès des Etats membres en juin 2013, qui mène les négociations sur le TTIP au nom de l’UE. Le traité de Lisbonne confère en effet à l'UE la compétence exclusive en matière de commerce international, lequel comprend désormais les investissements directs étrangers et leur protection. Aux Etats-Unis, le TTIP est négocié par le Bureau du représentant américain au commerce.

De nombreux points en suspens

A l’issue d’une treizième rencontre entre les Etats-Unis et l’UE fin avril, les négociations ont abouti à près de vingt textes consolidés sur les vingt-cinq à trente chapitres que devrait finalement contenir le texte du Partenariat. Cette consolidation ne signifie pas que les parties soient parvenues à un accord, mais elle facilite la poursuite des négociations. Les Etats-Unis et l’UE ont, par ailleurs, réalisé des avancées en s’accordant sur la suppression, à terme, des droits de douane sur 97% des lignes tarifaires.

Les Etats-Unis et l’UE devront cependant fournir encore beaucoup d’efforts pour parvenir à un accord. Nombre de sujets majeurs, tels les lignes tarifaires agricoles ou la coopération règlementaire, font toujours l’objet de pourparlers. Certaines négociations restent particulièrement délicates, notamment celles sur l’accès des entreprises européennes aux marchés publics américains. Il existe, en effet, à ce jour une différence importante de traitement entre l’UE, où une forte proportion des marchés publics est potentiellement ouverte, et les Etats-Unis, qui continuent d’appliquer le « Buy American Act » (« BAA »), une loi de 1933 qui, sous réserve de dérogations, impose au gouvernement américain de privilégier l'achat de biens produits sur son territoire.

Les discussions autour de la protection d’une liste d’indicateurs géographiques, une priorité pour l’UE, sont également complexes. L’UE et les Etats-Unis doivent en effet concilier des approches différentes. Les appellations d’origine, liées au lieu de provenance des produits (par exemple, le fromage de Beaufort ou le vinaigre de Modène…), sont protégées à titre d’« indications géographiques » (IG) au sein de l’UE, alors qu’elles le sont en tant que marques aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis continuent par ailleurs d’examiner les nouvelles propositions de la Commission européenne sur les règlements des conflits entre Etats et entreprises. En effet, la Commission européenne, qui a dû prendre en compte les craintes exprimées par la société civile, souhaite désormais que le système juridictionnel des investissements (Investment Court System ou ICS) soit composé d’un tribunal de première instance et, à la différence des tribunaux actuels d’arbitrage, d’une cour d’appel. Le texte précise par ailleurs que les gouvernements pourront modifier la législation, même si ces changements affectent les profits futurs escomptés par les investisseurs.

Prudence de la classe politique

De nombreux points restent en suspens alors que le ou la prochain(e) président(e) des Etats-Unis pourrait se montrer moins enclin(e) que le président Barack Obama à négocier des accords de libre-échange. Hillary Clinton, candidate démocrate à la Maison Blanche, a ainsi exprimé des réserves à l’encontre du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) 2, alors que Donald Trump, candidat républicain, y est opposé. La Commission européenne et les Etats-Unis ont, dans l’espoir de parvenir à un accord d’ici la fin d’année, accéléré le processus des négociations en multipliant les rencontres entre chaque cycle. Mais cet empressement inquiète certains dirigeants politiques européens, qui craignent qu’il ne débouche sur un texte inachevé. La Commission européenne pourrait, en effet, faire davantage de concessions ou négliger certains sujets litigieux tels que l’accès aux marchés publics ou le tribunal de règlement des différends.

La société civile hostile au TTIP

La défiance des dirigeants politiques, de part et d’autre de l’Atlantique, doit être jaugée à l’aune de celle, croissante, de la population, à l’approche d’échéances électorales importantes. L’élection présidentielle américaine à l’automne prochain sera en effet suivie de l’élection présidentielle en France au printemps 2017 et des élections fédérales en Allemagne au cours de l’été ou l’automne 2017.

L’opposition au TTIP est particulièrement vive en Allemagne ainsi qu’aux Etats-Unis. Selon l’enquête de la Fondation Bertelsmann publiée en avril 2016, seulement 17% des Allemands pensent que le TTIP pourrait être bénéfique, contre 55% en 2014. Cette défiance peut surprendre de la part de la troisième puissance commerciale mondiale, et ce d’autant que les Etats-Unis sont déjà leur principal partenaire commercial3. Toutefois, les Allemands, qui soulignent le manque de transparence des négociations, craignent que le TTIP ne nuise à la protection des consommateurs, et ne s’accompagne d’un abaissement des normes environnementales. De même, seulement 15% des Américains pense que le TTIP puisse être avantageux, contre 53% en 2014.

Un besoin de légitimité de la Commission européenne

Dans ce contexte, la Commission européenne, qui a besoin d’asseoir sa légitimité auprès de la population et de ses dirigeants pour poursuivre sereinement les négociations, souhaite demander aux chefs d’Etat ou de gouvernement de conforter son mandat de négociation lors du sommet européen des 28 et 29 juin prochains. Même confortée dans son mandat, la Commission européenne ne devrait cependant pas pouvoir, à l’issue des négociations, se dispenser d’un débat sur la nature de l’accord. L’enjeu est de taille. En effet, le processus de ratification du TTIP en dépend. Si la Commission européenne juge que le TTIP est un accord exclusivement commercial, sa ratification nécessitera « seulement » l’aval du Conseil européen et du Parlement européen, en raison de la compétence exclusive de l’UE en la matière. Si au contraire, comme l’exigent plusieurs Etats membres dont la France, le TTIP est considéré comme un accord mixte qui inclut des dispositions autres que spécifiquement commerciales, le TTIP relèvera également de la compétence des Etats membres. Les parlements nationaux devraient alors se prononcer sur cet accord. Cela pourrait rallonger le processus de ratification, voire le compromettre, compte tenu du climat de défiance de la société civile à l’égard du libre-échange.

C’est à ce titre que l’accord baptisé CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), conclu entre le Canada et l’UE en septembre 2014, se retrouve au centre des attentions. Les juristes de la Commission doivent en effet rendre prochainement leur avis sur la nature de cet accord qui, comme le TTIP, vise notamment à supprimer les droits de douanes, ouvrir le marché des services, favoriser la coopération en matière de règlementation et à mettre fin aux limitations d’accès aux marchés publics.

La Commission européenne et les Etats membres pourraient toutefois bénéficier de quelques éléments de réponse sur la nature des accords commerciaux au cours des prochains mois. La Cour de justice de l'UE devrait en effet rendre son avis sur cette compétence en s'exprimant sur le projet d'accord de libre-échange conclu entre l’UE et Singapour en octobre 2014.

Le différend sur la nature du TTIP constitue donc un obstacle supplémentaire pour les Etats-Unis et l’UE qui doivent déjà se mettre d’accord sur un nombre important de sujets.

NOTES

  1. Voir « Traité transatlantique : beaucoup d’ambition, peu de concrétisation… » Conjoncture décembre 2015
  2. Le TPP ou Trans-Pacific Partnership a été conclu entre douze pays (Etats-Unis, Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande, Singapour, Australie, Pérou, Vietnam, Malaisie, Mexique, Canada, Japon) en février 2016. Il doit, toutefois, passer encore devant le Congrès américain.
  3. Les Etats-Unis représentaient respectivement 9,5% et 6,3% des exportations et importations allemandes de marchandises en 2015.

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