La croissance mondiale en péril ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les risques sur la croissance mondiale semblent s’être intensifiés ces dernières semaines après un mois de janvier assez calme. Notre indice de perception du risque a sensiblement augmenté le 3 mars pour atteindre 52% (vs 24% début 2014) pour se détendre quelque peu ensuite à 35% au cours de la semaine. Le pic récent a été atteint avec l’accentuation des risques géopolitiques autour de la crise ukrainienne mais un précédent pic avait également été touché début février (60%) avec l’intensification des tensions dans le monde émergent. Si aujourd’hui le conflit géopolitique ukrainien semble constituer le risque majeur portant sur la croissance mondiale, il y a également d’autres sources potentielles de déstabilisation.

Nous n’avons pas, à ce stade, modifié notre scénario macroéconomique. Notre vue reste celle d’une modeste reprise de la croissance mondiale en 2014 (à 3,0% PPA vs 2,7% en 2013), caractérisée par la poursuite du rééquilibrage entre pays développés et pays émergents. Il nous semble toutefois que les risques sont aujourd’hui asymétriques principalement baissiers. Quelles évolutions depuis le début d’année ?

• Les tensions dans les émergents se sont accentuées dans plusieurs pays, notamment en Argentine, en Turquie, en Ukraine, au Venezuela, avec des causes spécifiques à chacun d’entre eux. Pour faire face aux sorties de capitaux et à la dépréciation de leur taux de change, certains ont été contraints de durcir leur politique monétaire accentuant les répercussions négatives sur leur croissance. Les pays à déficit courant devraient continuer de subir des tensions sur leur taux de change. La crise ukrainienne a pris une dimension mondiale avec l’entrée en jeu de la Russie et les répercussions pourraient être multiples1. A ce stade, nous ne prenons en compte dans notre scénario que l’effet négatif sur la croissance russe. Au total, la croissance sera faible dans les grands pays émergents en 2014, 1,7% au Brésil, 4,9% en Inde, 1,5% en Russie, bien en deçà des rythmes de la décennie passée.

• Si nous maintenons notre prévision de croissance chinoise à 7,5% pour cette année, en ligne avec l’objectif des autorités chinoises, nous n’excluons pas l’irruption de mauvaises nouvelles sur le front financier2. Par ailleurs, les mouvements récents sur le RMB3 sont également une source d’incertitude supplémentaire pour les investisseurs.

• La hausse de la TVA (3pts en avril) reste le principal risque sur la croissance japonaise mais la réappréciation du taux de change pourrait également devenir une contrainte supplémentaire si elle persistait. Le Japon a effectivement profité d’entrées de capitaux (le yen est apparemment toujours considéré comme une valeur refuge malgré la politique quantitative de la BoJ).

• Aux Etats-Unis, le news flow macroéconomique s’est nettement dégradé depuis le début de l’année laissant présager un ralentissement de l’activité au T1-2014. Cette décélération de la croissance américaine est en grande partie imputable aux mauvaises conditions climatiques au cours des premiers mois de l’année. Nous restons positifs sur l’économie américaine avec une prévision de croissance de 2,5% pour 2014. Le policy-mix va continuer d’être accommodant : la politique budgétaire est neutre alors que la politique monétaire continue d’apporter des liquidités (450Md$ attendus sur 2014). Dans ce contexte, la consommation et l’investissement des entreprises progresseront cette année alors que l’investissement résidentiel devrait nettement décélérer avec la remontée des taux longs. Toutefois, la dégradation de l’environnement global pourrait inciter les entreprises à l’attentisme. Le risque fiscal a, en revanche, reculé avec le compromis sur le plafond de la dette (pour 2 ans).

En zone euro, la situation a été plus calme globalement, la conjoncture s’améliore doucement, mais les risques restent bien présents. Si la BCE se montre relativement optimiste à moyen terme avec une croissance de 1,8% en 2016 et une inflation à 1,5%, le risque de déflation n’a pas disparu. Par ailleurs, la revue des bilans bancaires pourrait également être source d’incertitude. Les leviers de politique économique sont faibles avec, d’un côté, une réduction des déficits publics toujours difficile et, de l’autre, une BCE qui ne souhaite pas assouplir davantage sa politique monétaire ce qui nous semble un pari risqué… La conséquence va être une croissance faible pendant encore longtemps.

NOTES

  1. Voir texte « La Russie place l’Occident au pied du mur »
  2. "Chine : scénario 2014 face à un risque financier croissant"
  3. Flash N° 194 "RMB : appréciation ou dépréciation ?"

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