par Julien Marcilly, Stratégiste chez Amundi Asset Management
La dette locale émergente a particulièrement bien performé depuis le début de l’année. Les taux des emprunts d’Etat émergents en devise locale ont nettement reculé : le taux de l’indice de référence JPM GBI-EM a baissé de 40pb depuis janvier. L’envolée de la demande de titres par les investisseurs étrangers a joué un rôle central. Longtemps négligée par ces derniers, cette classe d’actifs a désormais leur faveur. Plusieurs raisons laissent penser que cette tendance sera durable.
La hausse des investissements étrangers sur la dette locale émergente…
Les investissements étrangers ont augmenté ces dernières années sur cette classe d’actifs. Plusieurs facteurs l’expliquent : 1) une baisse de la prime de risque due à l’amélioration de l’environnement institutionnel, l’assainissement des finances publiques et une baisse tendancielle de l’inflation ; 2) une amélioration de la liquidité de ces marchés, un nombre croissant d’Etats émettant de plus en plus régulièrement en devise locale, au détriment des émissions en dollar.
Cette tendance s’est accélérée ces derniers mois. La part des investisseurs étrangers dans l’encours total de la dette locale atteint ainsi des records en Indonésie (26%) ou encore en Malaisie. Elle est aussi à des niveaux élevés au Mexique, en Turquie, en Pologne et dans une moindre mesure en Corée (7%). Au Brésil, ces investisseurs détenaient en juillet dernier 9,5% du total, là aussi un niveau record. Cette part dépasse même 50% pour certains titres sur la partie longue de la courbe (attirant davantage les fonds de pensions internationaux).
La recherche de rendement des investisseurs dans un contexte de taux bas dans les pays développés joue un rôle central. Les communications récentes de la Fed et de la BoE plaident pour une poursuite de cette tendance(1). Une raison plus fondamentale la renforce aussi : la dégradation actuelle des ratios de dette publique dans la plupart des pays développés(2) et la crise récente en zone euro ont accéléré le processus de diversification des réserves de change des banques centrales. Les autorités coréennes ont ainsi annoncé que le montant des obligations locales acquis par la Chine avait doublé au S1.10.
…est vue d’un bon œil par les autorités locales
Plusieurs décisions récentes indiquent que les autorités locales voient ce changement d’un bon oeil, dans la mesure où il permet d’élargir la base d’investisseurs et d’améliorer la liquidité sur les marchés secondaires. En Chine, le gouvernement a annoncé en août l’ouverture du marché obligataire local. Dans un premier temps, seul un nombre limité d’investisseurs y aura accès(3). La banque centrale de Malaisie a d’ailleurs déjà acheté des obligations en yuan pour diversifier ses réserves de change. L’introduction prochaine de CDS par la Chine s’inscrit aussi dans cette logique. En Inde, l’augmentation des quotas pour les investisseurs étrangers, aussi bien sur le segment des obligations d’Etat que sur celui des entreprises (de USD 5 Mds chacun à respectivement 10 et 20 Mds), témoigne aussi de cette volonté d’ouverture.
Ces changements de régulation favorisent une hausse de la demande étrangère pour ces titres, d’autant plus lorsqu’ils permettent leur inclusion dans les indices de référence : la sup- pression en 2009 par la Corée des taxes sur les profits réalisés par les investisseurs étrangers a ouvert la voie à l’intégration des titres de dette souveraine dans l’indice WGBI de Citigroup (reportée depuis) utilisé par de nombreux fonds indiciels. L’inclusion du Mexique intervenue le 1er octobre devrait aussi conduire à des achats automatiques d’obligations locales(4).
Mais attention aux excès
Toutefois, l’envolée des achats de titres par les étrangers peut poser des problèmes de politique économique. Dans les pays où l’inflation et la croissance du crédit sont à des niveaux élevés, ces flux sont susceptibles d’enrayer les canaux de la politique monétaire.
Ainsi, la courbe des taux brésilienne est aujourd’hui inversée, le taux à 3 ans étant supérieur à celui de 7 et 10 ans, notamment en raison de la forte demande étrangère pour les titres longs. Pour lutter contre l’inflation, les banques centrales émergentes peuvent aussi être tentées de ralentir leur rythme d’intervention sur le marché des changes et de laisser leur monnaie s’apprécier davantage. Mais l’appréciation anticipée attire encore plus les investisseurs étrangers sur la dette locale et favorise les flux spéculatifs. Des mesures de contrôle des capitaux ont donc été introduites ces derniers mois : en juin, l’Indonésie a imposé aux acheteurs étrangers de détenir les titres émis par la banque centrale durant au moins un mois. Les autorités locales doivent donc trouver un compromis entre favoriser l’élargissement de la base d’investisseurs et limiter les risques macro-financiers liés à un excès de flux entrants.
En définitive, malgré les risques (hausses de taux directeurs plus fortes que prévu dues aux pressions inflationnistes, brusque remontée de l’aversion globale pour le risque), les perspectives restent favorables sur la dette locale émergente, notamment sur la partie longue des courbes. Outre la tendance de long terme à la diversification des réserves de change des banques centrales, la recherche de rendement dans un contexte de taux très bas aux Etats-Unis et en Europe devrait se poursuivre dans les prochains mois, et continuer de faire baisser les taux.
NOTES
- Les études sur les politiques monétaires quantitatives menées par ces banques centrales montrent qu’elles ont fait baisser substantiellement les taux.
- Selon les prévisions du FMI, le ratio de dette publique grimperait au-dessus de 100% du PIB en moyenne pour les pays développés à l’horizon 2015, tandis qu’il descendrait sous la barre des 40% pour les pays émergents.
- Les banques centrales coopérant déjà avec la PBoC par le biais d’accords d’échanges de devises, les banques de Hong Kong et Macao autorisées à fournir des services en RMB et les banques étrangères participant aux règlements commerciaux transfrontaliers en RMB.
- Toutefois, l’exemple de la Malaisie en 2007 indique que l’impact sur les taux est plus fort au moment de l’annonce que lors de l’inclusion effective.