La Fed lie ses mains au chômage

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Alors que Démocrates et Républicains ne sont toujours pas parvenus à un accord quant aux moyens d’éviter le Fiscal Cliff, la Fed a pris la décision historique de lier sa politique monétaire à un objectif chiffré de taux de chômage.

Une croissance trop peu dynamique, où les risques baissiers l’emportent, ainsi qu’une faible inflation, justifient une politique monétaire très souple. Mais, lors de la réunion des 11 et 12 décembre, les membres du FOMC ont décidé d’aller plus loin. Le bilan de la Fed, qui s’élargissait de USD 40 mds par mois depuis septembre (lancement de la troisième vague d’assouplissement quantitatif ou QE3), va croître encore plus rapidement, de USD 85 mds par mois1. 

La Fed justifie cette politique par la nécessité d’abaisser aussi rapidement que possible le taux de chômage. En effet, plus les périodes de chômage durent, plus le risque de perte de compétence augmente. En clair, si le chômage est élevé pour des raisons conjoncturelles, le prolongement sur la durée du phénomène peut conduire à l’apparition d’un chômage structurel. On ne peut qu’être d’accord avec une telle analyse. En revanche, deux questions se posent.

La première est celle de la capacité de la Fed à abaisser le taux de chômage, alors que la faiblesse de l’activité tient à une combinaison d’éléments contre lesquels la politique monétaire ne peut rien (désendettement des ménages, atonie de la demande mondiale, Fiscal Cliff …).

La deuxième question a trait aux instruments utilisés par la Fed. En effet, si l’on peut comprendre en quoi acheter des bons du Trésor de maturité longue, voir très longue (27% des achats portent sur des maturités de 20 à 30 ans, 31% sur des maturités de 7 à 10 ans) aide l’économie, les effets sont forcément plus limités lorsque les rendements sont déjà à des planchers historiques. Sortir du dispositif devient, en outre, de plus en plus compliqué. Il serait relativement facile de piloter le dégonflement d’un bilan essentiellement composé de titres courts. Mais la maturité moyenne du portefeuille de Treasuries de la Fed est comprise entre 7 et 10 ans et est appelée à s’allonger. La Fed pourra-t-elle sortir du QE avant ? Une question cruciale, qui ne semble pourtant pas se poser avec beaucoup d’urgence aux membres du FOMC.

Encore faut-il reconnaître que si la Fed doit procéder à des achats de titres, nous préférons de loin la voir le faire sur la dette fédérale que sur tout autre compartiment. Par ailleurs, cette décision n’est pas la plus mauvaise qui ait été prise ce mercredi.

Les membres du FOMC ont en effet annoncé un objectif chiffré pour le taux de chômage tout en affirmant leur volonté de tolérer une inflation plus élevée que la cible, pourtant fixée de fraîche date (en janvier 2012). Désormais, le taux objectif des fonds restera fixé aux niveaux actuels (0-0,25%) « aussi longtemps que le taux de chômage reste supérieur à 6,5%, que les perspectives à un ou deux ans de l'inflation ne dépassent pas l’objectif d’inflation (2%) de plus d’un demi-point de pourcentage, et que les anticipations d'inflation à long terme restent bien ancrées ».

Les membres du FOMC ont donc tout simplement décidé de se lier les mains : ce sont les données économiques qui décideront du niveau des taux d'intérêt. Bien sûr, le communiqué de presse édulcore quelque peu le propos, comme l’a fait Ben Bernanke durant sa conférence de presse : « Le Comité examinera également d’autres informations, y compris d’autres mesures des conditions qui prévalent sur le marché du travail, des indicateurs de pressions inflationnistes, les anticipations d'inflation ainsi que l’évolution des marché financiers ».

Le problème avec ces seuils numériques est qu'ils peuvent être contradictoires. Qu'arrive-t-il à la politique monétaire, si, malgré un taux de chômage qui reste bloqué au-dessus de 6,5 %, l’inflation accélère vers 3% ou plus ? La Fed redéfinira-t-elle les objectifs ? Celui pour le taux de chômage ou celui de l'inflation, ou bien encore les deux ? Et si la situation se répète, modifiera-t- elle les objectifs de la même façon que la première fois, ou différemment ? Non seulement la crédibilité de la Fed est en jeu, mais aussi la clarté de sa communication. Dans le but de fournir davantage d'informations, les membres du FOMC ont en fait obscurcie celle qui était déjà disponible.

Jusqu’ici, la Fed s’engageait à conserver des taux bas tant que l’économie américaine n’enregistrait pas une croissance assez dynamique pour conduire à une baisse marquée du chômage. Les prévisions des membres du FOMC étaient qu’une telle situation ne serait certainement pas connue avant la mi-2015, lorsqu’ils projetaient un taux de chômage enfin inférieur à 7%. 

Plutôt que de communiquer sur une date, ils ont décidé de communiquer sur un niveau de chômage. Un changement qui peut-être vu comme sans importance : dire qu’on ne partira pas en vacances avant la Saint Jean, n’est qu’une manière de dire qu’on attendra l’été. Mais alors que la Saint Jean tombe à date fixe, le niveau naturel du chômage peut varier. Quelle crédibilité peut-on dès lors donner à un objectif qui évolue au gré des priorités ?

NOTE

  1. La Fed a en effet décider de prolonger ses achats de Treasuries long terme au-dela de l’opération Twist, qui s’achève. Ce sont donc USD 45 milliards non compensés par des ventes de titres courts qui s’ajoutent chaque mois aux USD 40 millirds d’achts de MBS.

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