La Fed va-t-elle faire marche arrière ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après avoir bien préparé le public au changement de cap de sa politique monétaire au cours des derniers mois, la Fed a donné quelques signes d’hésitation ces dernières semaines provoquant une forte réaction sur les marchés : recul de la date pour la première hausse de taux à la fin du second semestre 2015, baisse des taux d’intérêt à 10 ans. D’une part, la Fed s’est montrée dovish lors de son dernier FOMC mettant en avant les risques baissiers liés notamment aux tensions en Europe et d’autre part J. Bullard, membre relativement hawkish, s’est exprimé en faveur du maintien du QE3 à court terme. La Fed va-t-elle finalement faire marche arrière ?

A très court terme, nous ne croyons pas à un report de la fin du QE3 lors du prochain FOMC le 29 octobre. L’évolution des nouvelles macroéconomiques ces dernières semaines ne le justifient en aucun cas. Une telle décision serait le reflet d’une grande inquiétude de la part de la Fed sur les perspectives de croissance et provoquerait probablement inutilement plus de volatilité sur les marchés. Par ailleurs, La Fed n’aurait pas l’opportunité d’expliquer un tel changement de cap en l’absence de conférence de presse lors de ce FOMC. En conséquence, nous continuons de penser que le QE3 prendra bien fin à la fin du mois. La Fed ne devrait pas non plus opérer de modification majeure dans son communiqué sur sa perception de la conjoncture ni sur sa forward guidance. Par ailleurs, les tensions récentes sur les marchés devraient la pousser à maintenir un ton dovish.

Quelles sont ensuite les prochaines étapes ?

Comme elle l’a déjà répété depuis longtemps, le timing de la première hausse de taux dépendra de l’évolution des statistiques économiques dans les mois qui viennent.

La croissance devrait rester dynamique au second semestre 2014, sur un rythme annuel proche de 2,5%/2,7%, certes peut-être un peu décevant par rapport à ce qui est actuellement attendu mais supérieur à la croissance potentielle de l’économie. En corollaire, les conditions sur le marché du travail devraient continuer de s’améliorer permettant au taux de chômage de revenir vers son niveau naturel mi-2015 (vers 5,5%). La croissance serait principalement soutenue par la demande interne, que ce soit la consommation ou l’investissement. La progression des salaires devrait progressivement se raffermir en 2015 comparé aux années passées et l'emploi continuerait de croitre à un rythme soutenu. Face à une demande dynamique et au retour du taux d’utilisation des capacités vers sa moyenne de long terme, les entreprises devraient poursuivre leurs investissements.

Le risque inflationniste semble aujourd’hui limité. Les tensions domestiques vont rester modérées et seront compensées par l’impact baissier lié aux facteurs exogènes (pétrole et appréciation du taux de change). L’inflation devrait se maintenir légèrement en dessous de 2% en 2015.

La Fed semble donc faire face à un environnement favorable caractérisé par une croissance supérieure à son potentiel sans tension inflationniste.

Quels sont les risques?

Même si la demande extérieure n’a jamais été le principal moteur de la croissance américaine, la dégradation de l’environnement mondial pourrait toutefois peser sur les anticipations des agents privés, via par exemple une correction baissière sur les marchés actions.

Le risque d'une remontée plus brutale des taux longs est toujours présent même si les évolutions récentes de marché suggèrent le contraire. Il nous semble toutefois que la Fed via sa forward guidance pourrait limiter un tel choc.

L’appréciation du taux de change, si elle s’intensifiait, pourrait également être un facteur déstabilisant, atténuant les tensions inflationnistes mais dégradant la compétitivité des entreprises américaines.

Pour toutes ces raisons, nous continuons de penser que la sortie de la politique monétaire à taux zéro devrait se faire de façon très progressive mais, à ce stade, une première remontée des taux mi-2015 ne sous semble clairement pas remise en cause. Cela laisse le temps à la Fed de jauger l’impact de l’arrêt du QE3 sur l’économie américaine.

Retrouvez les études économiques de Natixis