par Thomas Page-Lecuyer, Stratégiste chez CPR AM
En 1979, le gouvernement chinois imposa une politique restrictive sur le plan familial, la politique de l’enfant unique, initiative appliquée dans le but d’améliorer concrètement le niveau de vie. En effet, la limitation du nombre de naissances devait permettre une allocation plus efficace des ressources de l’État, une politique de soutien économique en somme. Pourtant, les couples chinois n’ont pas attendu l’interdiction d’avoir plus d’un enfant pour que le taux de fertilité(1) ne s’effondre, il a chuté bien avant. Il est en effet passé de 5,5 enfants par femme en 1970 à 2,65 dix ans plus tard. En clair, le taux s’était déjà effondré de plus de 50% au cours de la décennie précédant l’instauration de la politique de l’enfant unique.
Devant les graves problèmes sociaux soulevés par cette politique (infanticides, avortements, déséquilibres hommes-femmes), le gouvernement l’assouplit rapidement et ce, dès 1984 dans les campagnes. En effet, l’enfant devait absolument être un garçon, seule garantie pour la famille de bénéficier d’une retraite ou de recevoir des soins, car les filles étaient amenées à se marier et à partir vivre dans leur belle-famille, sans possibilité de subvenir aux besoins de leurs parents. Ainsi, entre 1984 et 1988, le taux de fertilité rebondit, passant de 2,7 à 2,9 enfants par femme.
C’est toutefois à partir de 1988 que le taux va de nouveau reculer, passant de 2,9 à 1,5 enfants pa femme en 2000, en raison notamment de l’urbanisation et de l’émergence d’un nouveau mode de vie. Ce nouvel effondrement remit en question la viabilité de la politique restrictive, notamment la pérennité du système social, sans compter la crainte d’un coup de frein du développement économique et de l’augmentation des coûts de santé. Autre menace, celle d’un déséquilibre dans la société chinoise avec une part de femmes trop faible dans la population totale à cause d’avortements sélectifs. Elles ne représentaient plus que 48,5% de la population en 2014, et ce phénomène continue de s’aggraver ces dernières années avec 118 naissances de garçons pour 100 naissances de filles pour la génération née en 2010.
En conséquence, l’assouplissement de cette politique reprit en 2002 avec le droit à un deuxième enfant contre paiement puis, surtout, en 2013 avec l’autorisation d’avoir deux enfants si l’un des parents était lui-même enfant unique. Néanmoins, cette dernière vague d’assouplissement fut un revers pour le gouvernement qui n’atteignit pas, loin s’en faut, les objectifs espérés : sur les 11 millions de couples éligibles à cette réforme, seulement 700 000 d’entre eux avaient, un an et demi plus tard, demandé l’autorisation d’avoir un second enfant, alors que le gouvernement en espérait près de deux millions.
La modification de la politique de l’enfant unique doit être approuvée par le Parlement lors de sa session annuelle de mars prochain. Elle pourra permettre aux couples d’élever jusqu’à deux enfants, quels que soient leur origine ethnique ou leur domicile, mais l’abandon de cette mesure démographique ne devrait avoir que peu d’effets dans cette Chine urbaine dont la qualité de vie a fortement progressé et où les enfants impliquent désormais des coûts non négligeables, surtout dans les grandes villes. De plus, le contrôle des naissances et l’urbanisation massive des 35 dernières années a entraîné de facto l’accès à l’éducation, la poursuite de longues études, et l’instauration de comportements individualistes, valeurs et habitudes défavorables à une reprise de la fécondité. On peut donc légitimement douter que l’abandon de la politique de l’enfant unique ait vraiment un effet sur la démographie et la viabilité du système de retraite et de santé chinois. La pyramide est déjà largement déformée avec un affinement prononcé de sa base, une politique familiale à deux enfants ne permettrait donc que de poursuivre cette tendance sans pour autant amaigrir son centre, et c’est bien là que le bât blesse.
D’ailleurs, en observant de plus près les taux de fertilité mondiaux, on constate que l’évolution du taux de fertilité chinois n’évolue pas très différemment de celui du reste du monde, politique restrictive ou pas. Depuis 1979, ce dernier n’a pas plus reculé que celui des autres pays, il a seulement chuté plus tard. En regardant de plus près l’évolution récente, depuis 2000, on observe une hausse de ce taux de fertilité de 1,5 à 1,6 enfants par femme alors qu’il a baissé dans le reste du monde. Dernier argument, et non des moindres, relancer la fécondité sans mettre en place des systèmes de retraite et de santé efficaces s’avérera délicat tant que l’enfant unique aura la charge de ses parents. Ses revenus seront insuffisants pour subvenir aux besoins et des parents, et de plusieurs enfants.
La fin de cette politique restrictive, bien qu’elle ne soit qu’une première étape et qu’elle aide à résoudre certaines problématiques locales (avortements et autres), ne semble en aucune façon un moyen de solutionner le problème du vieillissement de la population chinoise, à moyen terme du moins.
NOTE
- Nombre moyen d’enfants qu’ont les femmes au cours de leur vie, entre 15 et 50 ans.