par Patrick Artus, Chef économiste de Natixis
Une forte majorité de Français souhaite que l’Europe se protège contre les produits chinois (et d’autres pays émergents, Inde, etc…) en imposant des droits de douane à ces pays.
On connaît les conditions d’efficacité d’une telle politique protectionniste :
- capacité à remplacer les importations par des produits domestiques, sinon les droits de douane ne font qu’augmenter les prix des produits importés, donc réduisent le pouvoir d’achat ;
- faiblesse des mesures de rétorsion prises par les pays visés par les droits de douane, ou faiblesse des exportations vers ces pays relativement aux importations depuis ces pays, sinon le recul des exportations vers ces pays réduit l’activité et l’emploi.
Regardant de ces deux points de vue les relations commerciales entre l’Union Européenne et la Chine, nous nous demandons si se protéger par des droits de douane contre les produits chinois, comme le souhaitent les Français, serait une bonne idée. Nous pensons que ce serait une très mauvaise idée :
- la substituabilité entre productions européennes et importations depuis la Chine est très faible, même à moyen terme ;
- la croissance des exportations de l’UE vers la Chine est très forte, et la Chine est coutumière des mesures de rétorsion.
Deux autres facteurs devraient faire réfléchir les partisans du protectionnisme : la plus grande partie des exportations de la Chine est réalisée non par des entreprises chinoises mais par des entreprises étrangères implantées en Chine; le contenu en importations des exportations de la Chine est très important : se protéger contre la Chine revient à se protéger contre toute l’Asie.
Quelles raisons pour protéger l’Europe contre les produits chinois ?
Les raisons apparentes ne manquent pas à ceux qui veulent en trouver :
- hausse forte de la part de marché de la Chine dans le commerce mondial ;
- sous-évaluation réelle du RMB chinois ce qui inclut les salaires plus faibles, la couverture sociale moins généreuse, les effets de la politique de change…
- problèmes de qualité, d’environnement.
Deux points aussi importants
Mais se protéger, en Europe, contre les produits chinois par des droits de douane n’a de sens :
- que si on peut substituer des produits domestiques européens aux produits importés de Chine, sinon les droits de douane ne font qu’augmenter les prix des produits importés de Chine ;
- que si les exportations vers la Chine sont de faible taille, aussi la Chine n’exerce pas de rétorsion contre les mesures de protection prises en Europe.
Avant de regarder ces deux questions (substituabilité, rétorsion), rappelons aussi deux points qui devraient rendre prudents les partisans de la protection :
(1) l’essentiel des exportations de la Chine ne vient pas d’entreprises à capitaux chinois mais d’entreprises étrangères installées en Chine. Se protéger contre les importations depuis la Chine pénalise donc surtout des entreprises européennes, américaines et japonaises.
(2) Le contenu en importation des exportations de la Chine est très élevé. Se protéger contre les produits chinois revient à se protéger contre les productions de toute l’Asie (Japon, autres émergents…), la Chine étant surtout un centre d’assemblage des productions asiatiques.
Substituabilité des productions européennes et des importations depuis la Chine
Taxer par des droits de douanes les importations depuis la Chine a un sens si ceci déclenche une substitution de productions domestiques aux importations. La substitution peut bien sûr venir à moyen terme de relocalisation en Europe de productions délocalisées en Chine.
La question est celle de la spécialisation productive mondiale et de l’irréversibilité des délocalisations. Si le transfert de capacités de production en Chine résulte d’une part de la spécialisation productive normale entre la Chine et l’Europe, d’autre part est fortement irréversible, l’élasticité-prix du commerce extérieur entre la Chine et l’Europe est très faible, et les droits de douane sur les produits chinois importés auraient comme seul effet d’accroître le prix des importations depuis la Chine, donc de réduire le pouvoir d’achat des Européens.
La très forte appréciation réelle de la Chine par rapport à l’UE 27 n’a pas freiné les importations de l’UE 27 depuis la Chine et a voisiné avec une dégradation de la balance commerciale de l’UE avec la Chine : la substituabilité entre produits chinois et produits européens est très faible.
Taille des exportations vers la Chine et possible rétorsions de la Chine
Si l’Europe impose des droits de douane sur les importations en provenance de la Chine, l’effet sur l’Europe peut être positif :
- si les productions domestiques sont substituées aux importations ;
- et si les exportations vers la Chine ne sont pas fortement réduites, ce qui est le cas ;
- soit si elles sont de petite taille ;
- soit si la Chine ne met pas en place des mesures de rétorsion ;
Qu’observe-t-on ?
Les exportations de l’UE vers la Chine sont petites par rapport à ses importations depuis la Chine, mais elles augmentent rapidement grâce à la croissance rapide des importations de la Chine ; de plus, on sait que la Chine procède systématiquement à des rétorsions.
Synthèse : le protectionnisme contre la Chine serait une très mauvaise idée
Nous pensons que le protectionnisme (des droits de douane) vis-à-vis des importations en provenance de Chine serait une très mauvaise idée :
- les exportations de la Chine sont surtout réalisées par des entreprises étrangères ;
- le contenu en importations des exportations de la Chine est très élevé ;
- la substituabilité entre productions européennes et importations depuis la Chine est très faible ;
- le marché chinois croît très rapidement, même si pour l’instant les exportations de l’UE vers la Chine sont de petite taille relativement aux importations depuis la Chine, et le risque de rétorsion est très important.
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