La fourmi et la fourmi

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

Le rééquilibrage des comptes courants en Espagne, en Grèce et au Portugal est le signe le plus visible de l’ajustement macro-économique réalisé dans les pays périphériques depuis le début de la crise. Dans ses dernières prévisions d’Automne, la Commission européenne estime que le solde courant en Espagne, en Grèce, et au Portugal est passé respectivement de -9,6%, -18,0% et -12,6% du PIB en 2008 à 1,4%, -2,3% et 0,9% du PIB en 2013.

Hormis en Grèce, l’amélioration du compte courant est allée de pair avec une forte croissance des exportations1, dopées par les gains de compétitivité. Mais, elle s’est également réalisée dans un contexte extrêmement récessif avec des pertes considérables d’activité, d’emplois et donc d’importations. A l’heure où la reprise semble s’amorcer, la question est donc de savoir si la correction des déficits extérieurs est durable ou non.

Dans la dernière parution des Perspectives de l’Economie Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) estime qu’une part significative de l’ajustement des comptes courants des pays périphériques est due à des facteurs cycliques, liés à la récession. Les balances courantes pourraient redevenir à nouveau déficitaires lorsque l’activité, et en particulier l’emploi, se redresseront. Il s’agit donc, selon le FMI, de poursuivre la dévaluation interne au Sud de l’Europe car l’absence de transferts budgétaires en zone euro augmente les risques macroéconomiques et financiers associés à l’existence de déficits courants importants. Depuis la mise en place du six pack, qui a réformé le Pacte de Stabilité et de Croissance, la Commission européenne peut ouvrir une procédure pour déséquilibres macro-économiques si un déficit courant excède 4% du PIB pendant plus de trois ans.

Un déficit courant important n’est pourtant pas systématiquement le signe d’un déséquilibre macroéconomique. Il convient ainsi de distinguer les « bons » des « mauvais » déficits selon leur contrepartie. Un pays en situation de rattrapage, dont le PIB par tête est relativement faible, peut tout à fait enregistrer un déficit courant important pendant plusieurs années si les capitaux extérieurs qui le financent permettent une accélération de la croissance potentielle, c’est-à-dire une hausse des revenus futurs2. En théorie, la création de la zone euro était supposée favoriser la convergence entre les Etats membres via la libre circulation de l’épargne. En pratique cette convergence n’a pas eu lieu. Entre 2000 et 2008, les déficits courants des pays périphériques se sont creusés, mais l’afflux d’épargne étrangère a surtout financé le développement de secteurs abrités (services publics non marchands, construction, services non échangeables) générant peu de gains de productivité.

En conséquence, si la croissance de ces pays (hormis le Portugal) a été supérieure à la moyenne de la zone euro, créant ainsi l’illusion d’une convergence, la croissance potentielle ne s’est pas améliorée. L’épargne a été mal allouée générant souvent des bulles d’actifs. Les modèles de croissance d’avant crise étaient largement insoutenables. Leur effondrement a provoqué une hausse très forte du chômage.

Au final, le rééquilibrage de la croissance des pays périphériques peut s’accompagner de déficits courants si ceux-ci financent l’expansion de secteurs exportateurs compétitifs. Les Investissements Directs Etrangers (IDE), par exemple, sont souvent créateurs d’emplois et porteurs d’innovation. Ils sont un financement stable des déficits courants. Sur ce point, les tendances récentes sont encourageantes.

Le relèvement de la croissance potentielle dans les pays périphériques passe par la réorientation durable des ressources de ces économies vers la production de biens et services échangeables. L’attraction d’IDE permet d’accélérer une telle transformation s’ils sont dirigés vers des secteurs à fortes valeurs ajoutées. La condition sine qua none est donc la poursuite des réformes de structure visant notamment à ouvrir davantage à la concurrence les secteurs protégés de l’économie.

Par ailleurs, si les déficits courants au Sud de l’Europe sont condamnés à ne pas dépasser 4% du PIB sur le long terme, une hausse de la demande intérieure dans les pays affichant des excédents courants est cruciale. L’Allemagne par exemple, affiche des excédents courants supérieurs à 6% du PIB depuis 2006. La zone euro prise dans son ensemble a augmenté ses excédents courants de 3 points depuis 2008 (de -0.7% du PIB à 2.7% du PIB). Des marges de manœuvre existent donc pour relancer la demande et du même coup réduire les pressions sur l’euro.

NOTE

  1. En Espagne et au Portugal, les ventes de biens et services à l’étranger sont supérieur de 12% à leur point haut d’avant crise
  2. En théorie, la productivité marginale du capital est plus forte dans les pays pauvres ce qui attire les capitaux étrangers.

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