par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Dans une interview au Parisien, Marine Le Pen donne son projet sur le cadre monétaire qui serait mis en place au cas où elle remporterait l’élection présidentielle. Elle indique qu’elle souhaite que l’euro, monnaie unique, se transforme en monnaie commune et que la France puisse disposer d’une monnaie nationale.
Techniquement, comme le suggère Bernard Monot, l’économiste du Front National, cela reviendrait à revenir au Système Monétaire Européen (SME) dans sa version finale avec des marges de fluctuation de +/-15% autour d’un cours pivot. La monnaie unique, euro, n’aurait plus de pouvoir libératoire au quotidien.
Dans une première approche cela pourrait avoir un caractère rassurant puisque le Système Monétaire Européen a plutôt bien fonctionné pendant 20 ans de Mars 1979 à Janvier 1999 lorsque l’euro a été créé.
Rappelons que l’Ecu était une monnaie commune aux pays membres du SME. Chaque monnaie nationale était définie par un cours pivot avec l’Ecu et des marges de fluctuations. Celles-ci étaient au départ de 2.25%. Le cours pivot pouvait être ajusté à la hausse ou à la baisse. L’objectif était néanmoins de rester dans les marges de fluctuation afin de réduire l’incertitude sur le cadre monétaire européen et faciliter les échanges et la croissance. En 1993, les marges de fluctuation ont été élargies à +/-15%.
Cependant, ce n’est pas aussi simple
En France, l’histoire du Système Monétaire Européen doit se lire en trois dates et la mise en place de l’indépendance de la Banque de France par la loi du 4 août 1993.
La première date est Mars 1979 lors de la création du SME. L’Europe monétaire sort du Serpent Monétaire Européen qui avait été mis en place en 1972 pour faciliter les ajustements après la fin du système de Bretton Woods (système monétaire mis en place en 1944 après la seconde guerre mondiale) qui avait pour principale caractéristique d’être calé sur le dollar et l’or. Dans les années 70 encore l’Europe subit le premier choc pétrolier et sa productivité ralentit nettement. Les ajustements sont majeurs; c’est pour cela que le serpent monétaire ne fonctionnera pas. Les économies sont trop hétérogènes pour s’ajuster de la même manière.
La deuxième date est le 21 mars 1983. C’est la troisième dévaluation du franc depuis l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée. Se pose alors la question du maintien du franc au sein du SME. Les discussions sont intenses entre les partisans du maintien et de la sortie du SME. Mitterrand tranchera en disant que la question monétaire est moins importante que l’Europe et que ce qui compte c’est l’Europe. (Voir Jacques Lesourne, Soirs et lendemains de fêtes, Journal d’un homme tranquille (1981-1984) Robert Laffont) En conséquence, il est nécessaire de rester dans le SME mais de tout faire pour que ce SME puisse s’inscrire dans la durée. C’est le premier pas vers la convergence des politiques économiques et notamment des politiques monétaires. C’est à partir de cette période que Jacques Delors met en place une politique désinflationniste.
La troisième date est lorsque, au début des années 90, Pierre Bérégovoy resserre le cadre monétaire en indiquant que la France mettait en place une politique que franc fort. L’idée est alors d’accentuer la convergence des politiques monétaires afin de donner au SME une plus grande cohérence.
Ce qui ressort de cette très courte histoire est que le SME a bien fonctionné car les politiques monétaires qui ont été menées ont convergé. Progressivement, elles ont toutes été conditionnées par les mêmes éléments: une inflation limitée et un mode de fonctionnement convergent afin d’assurer la stabilité du SME. La position de Marine Le Pen dans son interview et de Bernard Monot n’est pas cohérente avec ces éléments.
Dans son interview, Marine Le Pen évoque un protectionnisme intelligent, ce qui dans la proposition 35 du programme de Marine Le Pen, est associé à une dévaluation de la monnaie française. « Soutenir les entreprises françaises face à la concurrence internationale déloyale par la mise en place d’un protectionnisme intelligent et le rétablissement d’une monnaie nationale adaptée à notre économie, levier de notre compétitivité« (proposition 35) Le SME partait du principe que la stabilité des parités était un objectif et que l’amélioration de la compétitivité ressortait de l’amélioration de la productivité.
La deuxième remarque, est dans le propos de Bernard Monot, qui indique la fin de l’indépendance de la Banque de France (celle ci ne serait plus non plus dépendante de la Banque Centrale Européenne). C’est également indiqué dans le point 43 du programme de Marine Le Pen. Le rôle de la Banque de France serait alors de financer directement le Trésor français. (Sortir de la dépendance aux marchés financiers en autorisant à nouveau le financement direct du Trésor par la Banque de France – Proposition 43 ) Bernard Monot va plus loin en donnant un rôle beaucoup plus large à la Banque de France dans la politique économique « La Banque de France, qui pourra de nouveau effectuer des avances au Trésor ainsi que pour le financement de certains grands projets d’intérêt national, telles la réindustrialisation et la transition énergétique, participera à ce renouveau »
La Banque de France fait ainsi disparaître la contrainte budgétaire pour l’Etat français. Elle peut financer tous les projets souhaités par le gouvernement.
Deux remarques finales :
- Le financement monétaire des finances publiques est toujours et partout inflationniste. C’est pour cela que l’Allemagne lors de la création de l’euro ont explicitement interdit cette possibilité. Pour eux le souvenir de l’hyperinflation des années 20 est toujours trop cruel.
- Peut on imaginer que les partenaires européens de la France sont susceptibles d’accepter une telle situation? Certainement pas.
La monnaie commune évoquée par Marine Le Pen et décrite par Bernard Monot ne peut fonctionner que si les politiques monétaires de pays appartenant à cette monnaie commune sont convergentes. Si cela n’est pas le cas, la monnaie commune ne pourra pas exister. Attendre 2018 pour commencer des négociations fait l’hypothèse qu’en Italie, les élections générales du début de l’année 2018 porteront le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo au pouvoir à Rome. L’opposition de Beppe Grillo aux institutions européennes et celle de Marine Le Pen porteraient alors la fin de la construction européenne.